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Lassés de la vie de réfugiés en Jordanie, des Syriens rentrent chez eux

Alors que les rebelles syriens reprennent de plus en plus de secteurs dans le sud du pays, les réfugiés quittent la Jordanie voisine pour retourner dans leur ville d'origine
Réfugiés syriens dans le camp d'Azraq, dans le désert de l'est de la Jordanie, le 30 avril 2014 (AFP)

Alors que le sud de la Syrie est de plus en plus sous le contrôle de l'opposition armée, un nombre croissant de Syriens retournent chez eux après des années, des mois et des jours passés à vivre une vie de réfugiés en Jordanie.

D'après les habitants des camps de Zaatari et d'Azraq, en Jordanie, des dizaines voire des centaines de Syriens partent des camps quasiment quotidiennement. Les Syriens quittent aussi les petites et grandes villes jordaniennes.

Les réfugiés en question affirment comprendre l'étendue des risques liés à un retour en Syrie, où les combats se poursuivent au quotidien, les bombardements sont constants et les conditions de vie sont difficiles, et où les ressources de première nécessité les plus basiques ne sont souvent pas accessibles.

D'après des militants du sud de la Syrie, entre 2 000 et 3 000 réfugiés sont rentrés chez eux en mars et avril 2015. La plupart étaient originaires des villes récemment prises par l'opposition, dont principalement la ville de Bosra al-Cham, reprise par les combattants de l'opposition dans la dernière semaine de mars.

Abou Qasim a récemment pris le chemin du retour. Originaire de Bosra al-Cham, il est retourné en Syrie avec sa famille début avril, après plus de deux ans passés dans le camp de Zaatari ; au cours de cette période, il a appris par des voisins que les militants du Hezbollah étaient entrés dans sa ville.

« Les gens s’obstinent à vivre »

« Je connais bien les risques liés à un retour en Syrie, et en particulier les bombardements continus, mais je préfère vivre à la maison sous les bombardements plutôt qu'être un réfugié », a-t-il dit.

Les tirs d'artillerie, les pilonnages et les snipers ne sont pas les seuls risques : il y a également le déluge actuel de bombes barils, qui touchent en particulier les zones contrôlées par l'opposition. Malgré les risques et le chaos, les gens continuent de rentrer chez eux et d'essayer de vivre une vie normale.

« Il y avait des ruines partout et des bombardements quotidiens. J'ai été surpris de voir des enfants jouer dans la rue et quelques magasins ouverts. C'était comme si rien ne s'était passé en Syrie ! », s'est-il exclamé.

« La vie en Syrie ne s'est pas arrêtée, malgré ce qui est arrivé pendant les années de guerre, de massacres et de désordre. Les gens s’obstinent à vivre et à se livrer aux rituels de la vie quotidienne, à célébrer les mariages, s'engager dans leur travail, aller à l'école, mais nous attendons tous la mort à un moment ou à un autre. Les roquettes et les bombes barils ne font pas la distinction entre un enfant, une femme et une personne âgée. »

Lorsque l'on s'adresse aux Syriens vivant en Jordanie ou récemment revenus au pays, la même formule revient inlassablement : « Je me sens en sécurité en Jordanie, mais je suis à l'aise en Syrie. » Dans le camp de Zaatari, où les Nations unies, les ONG internationales et le gouvernement jordanien fournissent de la nourriture, des abris, des soins médicaux et un service éducatif à tous les habitants, l'aimant de ce confort exerce son attraction mais les Syriens font la queue pour entrer dans le bus à destination de la Syrie, mis en service par le gouvernement jordanien sur une base quasiment quotidienne.

L'attente d'une prise de contrôle par l'opposition

Beaucoup de réfugiés à Zaatari disent qu'ils ont décidé de retourner en Syrie, mais qu'ils attendent que l'opposition prenne le contrôle de leur village.

Abou Yacoub, un réfugié originaire de Deraa qui vit depuis plus de deux ans avec sa famille dans le camp de réfugiés de Zaatari après avoir quitté sa ville natale prise par l'armée régulière en mai 2013, raconte : « Je suis parti de Khirbet Ghazaleh lorsque les forces militaires ont pris la ville et empêché quiconque d'entrer. A ce jour, Khirbet Ghazaleh est sous leur contrôle. »

Il a vu récemment sur Google Earth des images montrant sa maison encore debout. Pour lui, c’est une motivation suffisante pour y retourner, dès que l'armée sera partie. Chaque jour, il attend des nouvelles d'un assaut de l'opposition sur Khirbet Ghazaleh.

Dans le camp d'Azraq, à 80 km au nord-ouest de Zaatari, Abou Khaled explique que le désespoir de la vie de réfugié, l'ennui, la frustration et le fait de savoir que sa ville natale, al-Musayfirah, est contrôlée par les rebelles, l'ont poussé au départ. Le manque de revenus et d'aides, en particulier ces derniers temps, et l'impossibilité de quitter le camp d'Azraq sans parrainage pour aller travailler en Jordanie et gagner sa vie, sont des éléments qui l’incitent à penser à un retour à la maison.

Malgré les tirs de bombes barils qui sévissent à al-Musayfirah, Abou Khaled a enregistré son nom et ses intentions auprès des autorités du camp afin de retourner dès que possible en Syrie, avec sa famille.

Les organisations humanitaires affirment que les mauvaises conditions de vie en Jordanie (le manque de revenus pour de nombreuses familles, le manque d'emplois, le manque d'aide de la part des organisations internationales et des institutions de défense des droits de l'homme) sont ce qui pousse de nombreux réfugiés à envisager un retour chez eux. Le fait qu’un nombre croissant de leurs maisons se trouve désormais dans le giron des rebelles rend leur rêve de retour possible.

Le « rétrécissement de l'espace humanitaire »

Adam Coogle, chercheur spécialiste du Moyen-Orient pour Human Rights Watch, a indiqué que les difficultés rencontrées par les Syriens pour travailler légalement en Jordanie sont une raison importante qui les pousse à envisager un retour en Syrie.

« Beaucoup de retours volontaires de réfugiés de la Jordanie vers le sud de la Syrie, alors que les combats continuent d'y faire rage, sont en partie le reflet du rétrécissement de l'espace humanitaire pour les réfugiés en Jordanie, où les Syriens font face à des difficultés pour travailler légalement, à la baisse du niveau de l'aide alimentaire et à l'augmentation des coûts des soins médicaux », a-t-il expliqué.

La Jordanie et les pays donateurs doivent veiller à ce que la Jordanie reste une zone de sécurité pour les réfugiés et doivent répondre à leurs besoins fondamentaux, a-t-il ajouté.

Pour ces réfugiés de longue date qui décident par frustration de retourner dans leur ville natale contrôlée par les rebelles, le risque de mourir dans les explosions de bombes barils est de plus en plus grand.

Le gouvernement syrien continue de bombarder les zones contrôlées par l'opposition armée dans le sud de la Syrie, pilonnant les civils et larguant des barils explosifs à l’aide d’hélicoptères de l'armée de l'air syrienne. Selon le Bureau de documentation sur les martyrs, un groupe d’activistes lié à l’opposition et basé à Deraa qui compte le nombre de personnes tuées dans cette ville, environ 350 civils ont déjà été tués en 2015, dont 91 enfants et 53 femmes, la plupart suite à des attaques de bombes barils. Les habitants affirment que d'année en année, de plus en plus de bombes barils touchent Deraa, contrôlée par l'opposition.

D'après des sources du gouvernement jordanien, en mars 2015, les camps de Zaatari et d'Azraq abritaient au total 107 244 réfugiés syriens. Alors que de nouveaux réfugiés arrivent et que d'autres se fondent dans les villes jordaniennes, des centaines de réfugiés syriens décident volontairement de retourner en Syrie, tandis que les autorités jordaniennes supervisent leur retour en les menant en bus à la frontière syrienne.

Le coût de l'accueil des réfugiés

Fin mars, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a estimé à 1,4 million le nombre de réfugiés syriens en Jordanie, dont seulement 627 295 réfugiés enregistrés auprès de l'ONU. Les Syriens constituent désormais 20 % de la population de la Jordanie, et la grande majorité d'entre eux sont des femmes et des enfants. Cette situation exerce une pression économique considérable sur le gouvernement jordanien : le coût de l'accueil des réfugiés syriens a été estimé à 2,99 milliards de dollars pour la seule année 2015. La Jordanie n'a reçu que 854 millions de dollars en 2014, soit seulement 38 % des 2,28 milliards de dollars nécessaires selon l'ONU.

Le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) a lancé un appel à l'aide pour répondre aux besoins des enfants déplacés à l'intérieur de la Syrie et des plus de 345 000 enfants enregistrés en tant que réfugiés en Jordanie. L'organisation, qui demande 179 millions de dollars, n'a toutefois reçu que 32 millions de dollars jusqu'à présent. Elle fait état d'un déficit de 147 millions de dollars.
 

Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.

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