Le pouvoir iranien à l’épreuve des protestations sociales
La première manifestation a commencé le 28 décembre à Mashhad, une ville religieuse située dans le nord-est de l’Iran. Cette manifestation a été organisée sous la pression des milieux conservateurs hostiles à l’administration de Rohani, selon Jonathan Piron, historien et spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient.
« Les différentes positions de Rohani, notamment sur la question du budget, ont provoqué une grande colère, en affirmant que les différentes fondations religieuses qui n’étaient pas jusque-là soumises à l’impôt devraient participer financièrement au budget de l’État », analyse-t-il lors d’une interview accordée à MEE.
« Il y a eu une volonté des milieux conservateurs de déstabiliser l’administration de Rohani en provoquant des manifestations, qui justement insistaient sur le fait que les réponses économiques promises par le pouvoir n’avaient pas été apportées », poursuit-il.
L’élection de Rohani en 2013, les accords sur le nucléaire de 2015 et la fin de l’embargo qui a suivi étaient censés améliorer la situation économique du pays. Pourtant, l’Iran est secoué assez régulièrement depuis la réélection de Rohani en 2017 par des manifestations à teneure sociale. Le pays est frappé par un chômage endémique, qui concerne 11,4 % de la population active et jusqu’à 26,4 % des 15-24 ans, d’après les données de la Banque mondiale.
« Beaucoup de récriminations de la part de la population envers le régime sont d’ordre économique, liées au manque d’emplois », indique le chercheur.
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Une crise sociale doublée d’une crise environnementale se cristallisant sur la question de l’eau, puisque « les sécheresses chroniques réduisent les ressources en eau. Le lac d’Ourmia, dans le nord-ouest du pays, a vu sa surface chuter de 10 % et son volume de 80 % depuis le début des années 1990 », ajoute-t-il.
« La fille de l’avenue de la Révolution »
L’Iran connaît également une crise sociétale avec le « mouvement de la fille de l’avenue de la Révolution ». Tout a commencé lorsqu’une jeune Iranienne de 31 ans, Vida Movahed, est montée sur un générateur électrique à Téhéran le 27 décembre dernier et a suspendu son voile au bout d’une branche d’arbre.
La vidéo de son geste est devenue virale et le hashtag iranien « La fille de l’avenue de la Révolution » a été massivement partagé sur les réseaux sociaux. Malgré les risques, de nombreuses Iraniennes ont rejoint le mouvement sur les réseaux sociaux et ont reproduit son geste dans les rues de Téhéran mais aussi en province.
Le geste de Vida Movahed a été en outre médiatisé mondialement par la campagne White Wednesdays (Mercredis blancs), lancée en mai 2017 par Masih Alinejad une militante iranienne exilée aux États-Unis.
« La nouvelle génération d’Iraniennes reprend le combat pour la dignité et l’égalité. Je ne suis pas la première à faire campagne contre le hijab obligatoire, et de nouvelles combattantes apparaissent », a déclaré Alinejad sur son compte Twitter.
« Il y a eu une récupération de ce mouvement à l’étranger, en assimilant les deux mouvements qui sont pourtant distincts », observe pour sa part Jonathan Piron.
« Ce qui est intéressant, c’est de voir comment le mouvement de la fille de l’avenue de la Révolution est perçu par le pouvoir en place », souligne-t-il. Si, pour les conservateurs, ce mouvement est « puéril », dans le sens où il y a des « sujets plus prioritaires », il a en revanche suscité des remous du côté des réformateurs.
Le spécialiste de l’Iran rappelle en effet que ces milieux, proches de la présidence, « ont récemment relayé une étude de 2013 de Mohammad Maljoo, membre d’un think tank proche du président », allant dans le sens d’une levée de l’obligation du port du voile.
« C’est tout à fait neuf, car une autorité centrale incontournable comme la présidence, à travers plusieurs déclarations, est en train de reconnaître ouvertement qu’il peut y avoir ce débat sur le port du voile, que la population y est favorable »
- Johnathan Piron, historien et spécialiste de l’Iran
Dans le cadre de cette étude, un sondage sur la question du port du voile a montré qu’une large majorité de la population dans la quasi-totalité des grandes villes d’Iran est en faveur de la levée de l’obligation du port de voile.
« C’est tout à fait neuf, car une autorité centrale incontournable comme la présidence, à travers plusieurs déclarations, est en train de reconnaître ouvertement qu’il peut y avoir ce débat sur le port du voile, que la population y est favorable », soutient Johnathan Piron.
Le chercheur révèle également que d’autres sondages, notamment celui du Centre d’études stratégiques, un think-tank proche de la présidence, ont étudié les motivations des manifestations de décembre-janvier. Il en ressort que la frustration économique joue un rôle central et pèse lourdement au sein d’une génération percevant son horizon comme fortement bouché, commente le spécialiste de l’Iran.
« Ces sondages ont été publiés et relayés en mettant en avant, encore une fois, les critiques à l’intérieur du régime sur les questions économiques, principalement, sur les questions environnementales, mais aussi sur le fait que le régime peut se réformer », pointe Jonathan Piron. « Le pouvoir des modérés, du coté de la présidence, est en train de tester les limites du système. »
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