« Le tueur au visage fantomatique » : l’indignation turque face au sosie d’Erdoğan sur Netflix
Il est à la fois partout et nulle part, un mal qui traque sa proie, qui ne fait pas de prisonniers et qui tue sans pitié. Et cet ennemi d’un nouveau film de Netflix a fait enrager les partisans de Recep Tayyip Erdoğan, qui y voient un sosie du président turc.
Telle est l’indignation à laquelle le diffuseur d’état TRT a consacré un programme entier, concluant qu’il s’agissait d’un signe de l’animosité de l’Occident envers Erdoğan.
L’allégation est centrée sur une courte scène du film Spectral, où une équipe des forces spéciales américaines affronte le méchant semi-éponyme.
La présentatrice de TRT, Pelin Çift, a couvert de mépris cette ressemblance sur la chaîne phare du diffuseur, TRT1.
Elle a déclaré qu’il s’agissait d’une démarche délibérée visant à dépeindre Erdoğan sous un mauvais jour ; son programme a invité les téléspectateurs à commenter sous le hashtag #Farkettimde (en français, « Je me suis rendu compte »).
Un des experts ayant participé à l’émission a affirmé que la ressemblance avec Erdoğan n’était pas un message subliminal, parce qu’il s’agissait d’un message clair.
Çift et les deux experts présents dans son programme, les auteurs Ali Selman Demirbag et Sinan Canan, ont déclaré qu’ils n’avaient pas regardé le film dans son intégralité.
Le programme était axé sur la manipulation mentale et les divers outils utilisés pour altérer les perceptions.
« C’est un signe très clair et cela sert deux objectifs si la ressemblance est délibérée. C’est un message sombre [...] pas un message subliminal [...] Beaucoup d’argent a sans doute été dépensé pour cela », a déclaré Canan.
Certains utilisateurs de Twitter ont également été prompts à commenter qu’il s’agissait d’un nouveau signe de la haine ressentie pour Erdoğan.
Traduction : « Je me suis rendu compte que la préoccupation de l’Europe est devenue le Chef. Notre préoccupation est de défendre notre président Recep Tayyip Erdoğan. »
Çift et Demirbag ont cependant insisté sur le fait qu’un message subliminal entrait en ligne de compte et qu’il s’agissait d’une démarche visant à représenter Erdoğan comme un ennemi.
L’Internet Movie Database (IMDb) décrit Spectral comme « un récit de science-fiction/thriller centré sur une équipe d’opérations spéciales qui est déployée pour combattre des êtres surnaturels ».
Le thème de l’altération des perceptions à travers diverses techniques de manipulation mentale est un sujet important depuis les protestations antigouvernementales massives du parc Gezi en 2013.
Yiğit Bulut, conseiller en chef d’Erdoğan, a également affirmé dans un enregistrement en 2013 que des agents étrangers envisageaient de tuer Erdoğan « par télékinésie ».
L’ennemi juré d’Erdoğan, Fethullah Gülen – que les autorités tiennent pour responsable de la tentative de coup d’État avortée de juillet – et son mouvement sont également accusés de s’être livrés à des messages subliminaux avant la tentative de coup d’État.
Gülen nie toute implication dans le coup d’État.
« C’est un signe très clair et cela sert deux objectifs si la ressemblance est délibérée. C’est un message sombre »
– Sinan Canan, auteur
Ce n’est pas la première fois qu’une ressemblance cinématographique avec Erdoğan suscite l’émoi.
Un médecin turc, Bilgin Çiftçi, a perdu son emploi et a été passible d’une peine maximale de deux ans de prison pour avoir posté trois photos sur Facebook qui montraient une ressemblance entre Erdoğan et Gollum, le personnage du classique de la littérature et du cinéma Le Seigneur des Anneaux.
Ce n’est qu’en septembre dernier qu’il a échappé à une peine d’emprisonnement pour insulte au président après qu’un tribunal a jugé que Gollum n’était pas un méchant, mais juste une victime innocente.
Dans le même temps, un biopic produit localement et consacré à la vie d’Erdoğan, Reis (« Le chef »), a fait un flop au cinéma et n’a obtenu qu’une note d’1,9 sur IMDb.
À LIRE : Reis : biographie d’Erdoğan ou propagande de l’AKP ?
Le film a également été renié par son directeur, mécontent d’avoir dû procéder à des changements, mais aussi du fait que la société de production ne payait pas le personnel qui travaillait sur le film.
Certains commentateurs ont cité le manque de soutien officiel pour le film et la faible fréquentation des cinémas auprès de la base de soutien du Parti pour la justice et le développement (AKP) pour expliquer les mauvais résultats du film.
Erdoğan et l’AKP développent depuis 2015 un fort accent nationaliste et le thème d’une Turquie entouré d’ennemis et de menaces étrangères est repris en permanence dans les médias pro-gouvernementaux.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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