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L'élection présidentielle française et l'obsédante guerre d’Algérie

Pas un seul candidat – parmi ceux susceptibles de passer au second tour – n’ont échappé au sujet « colonisation/guerre d’Algérie », qui traverse encore aujourd’hui une bonne partie des débats de société, du chômage à l’insécurité en passant par l’immigration
Plusieurs centaines de rapatriés d'Algérie (pieds-noirs, harkis, fils de harkis et anciens combattants d'Algérie) manifestent, le 13 mai 2008 à Marseille, pour réclamer « la reconnaissance officielle par la France de sa responsabilité dans les drames et souffrances » que cette population a subies (AFP)

« La droite française joue la carte de ‘’l’Algérie française’’ » a titré ce jeudi le quotidien arabophone El Khabar. Le journal algérien réagissait aux propos, tenue la veille sur BFMTV-RMC, de la candidate à la présidentielle française, Marine Le Pen, présidente du Front national (extrême droite) : « Je pense - et chacun d’ailleurs qui est de bonne foi admet - que la colonisation a beaucoup apporté, notamment, puisqu’on parle de l’Algérie, à l’Algérie : des hôpitaux, des routes, des écoles... Même des Algériens qui sont de bonne foi l’admettent ».

« La majorité des candidats à la présidentielle française évoquent les questions historiques polémiques, surtout celles liées à la colonisation en Algérie, pour gagner l’estime des nostalgiques de cette époque », commente El Khabar.

« La colonisation a beaucoup apporté, notamment, puisqu’on parle de l’Algérie, à l’Algérie : des hôpitaux, des routes, des écoles »

-Marine Le Pen

Une semaine avant, François Fillon, candidat du parti Les Républicains (droite) s’était déplacé au Centre de documentation des Français d’Algérie à Perpignan (sud-ouest) pour rencontrer les associations d’enfants de harkis (auxiliaires algériens de l’armée française pendant la guerre d’Indépendance) et de rapatriés, appelés aussi pieds-noirs ou anciens d’Algérie.

Surfant sur les revendications de reconnaissance de ces deux communautés mémorielles, Fillon affirme que « la France n’a pas fait assez » pour eux.

Une semaine plus tard, Marine Le Pen surenchérit en déclarant que son parti « a soutenu de toutes ses forces les rapatriés de l’Algérie ». « Je défends les harkis, les rapatriés, je pense qu’ils ont été maltraités, mal accueillis dans leur pays. Les harkis ça a été encore pire, ils ont été mis dans des camps dans des conditions épouvantables », a-t-elle appuyé sur BFMTV-RMC.

Nostalgie de l’Algérie française

Le Front national, fondé par Jean-Marie Le Pen, un ancien d’Algérie qui a participé aux séances de tortures d’Algériens durant la terrible bataille d’Alger (1956-1957), a toujours défendu la nostalgie de l’Algérie française et se voulait porte-voix des « perdants » de la guerre d’indépendance : les rapatriés et les harkis, qui auraient été trahis par la France officielle en abandonnant l’Algérie aux indépendantistes, selon la doxa du FN.

« La France n'est pas coupable d'avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Nord »

-François Fillon

Évoquer la colonisation est aussi une manière pour la droite et ses extrêmes de revenir à l’idée de la « grandeur de la France », de sa « mission civilisatrice », de sa « puissance d’antan », afin d’opposer cette vision « décomplexée » de l’histoire à la morne réalité d’une nation aux prises avec la mondialisation et le « déclin ».

François Fillon, pour ne citer que lui, avait déclaré dans son fief à Sablé-sur-Sarthe, le 28 août 2016 : « La France n'est pas coupable d'avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Nord » !

C’est donc sur ce crédo que le parti d’extrême droite se voit concurrencé depuis plusieurs décennies par une droite qui veut siphonner un électorat FN de plus en plus important.

À Perpignan, une ville qui a accueilli massivement harkis et pieds-noirs fuyant l’Algérie en 1962, François Fillon a choisi sa cible et les mots qu’il faut : « Entre ceux qui parlent de crimes, ceux qui nient l'histoire et ceux qui la teintent d'une vision marxiste, je suis le seul candidat à la présidentielle qui veillera à notre fierté nationale. Le seul qui marchera pour vous sur le chemin de la réparation ».

Un « crime contre l’humanité »

Fillon ne s’attaque pas seulement au candidat socialiste, Benoît Hamon, qui assurait que, président, il présenterait des « excuses » aux peuples colonisés, mais surtout à l’outsider Emmanuel Macron.

En déplacement en Algérie, en février dernier, le leader du mouvement « En marche » et ancien ministre de François Hollande a provoqué quelques semaines plus tôt une tempête en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité » sur une chaîne de télévision privée algérienne, Echourouk TV.

Des propos qui provoquent immédiatement un tollé en France, même si, quelques jours plus tard, Macron tente de nuancer on propos.  « Parce que toutes ces mémoires sont complexes, parce qu'il y a ce fracas des mémoires, je sais que j'ai blessé. Je suis désolé de vous avoir blessés, de vous avoir offensés, de vous avoir fait du mal. Pardon pour les passionnés, pardon de vous avoir fait mal, parce que ça n'est pas ce que je voulais », a lancé le candidat de « En marche » lors d’un meeting à Toulon, vivier électoraliste pour le FN et « terre » de pieds-noirs comme une bonne partie du sud de la France.

Caricature de Dilem dans le journal Liberté, paru le 18 février 2017 (Liberté)

Le sénateur des Républicains, Bruno Retailleau, estima qu'« en accusant la France de crime contre l'humanité depuis l'étranger, Emmanuel Macron avait commis une faute politique ». François Fillon jugea, lui, les propos de son concurrent « indignes d'un candidat à la présidence de la République », ajoutant : « cette détestation de notre histoire, cette repentance permanente est indigne d'un candidat à la présidence de la République ». Plus radical, le trésorier du Front national, Wallerand de Saint-Just, accusa Macron de « tirer dans le dos de la France » depuis l'Algérie !

Le « non-dit collectif »

Un seul candidat se distingue dans cette âpre guerre mémorielle. Le leader du mouvement La France insoumise (extrême gauche), Jean-Luc Mélenchon qui, dans une interview au Monde mi-avril précise sa pensée : « Nous faisons partie du camp politique qui était contre le colonialisme et pour l’autodétermination des peuples. Nous savons les malheurs endurés, mais nous considérons que c’est aux historiens d’écrire l’histoire et pas aux politiques de l’instrumentaliser ». 

Si cette histoire encore non apaisée, est toujours convoquée pour réinterpréter le présent, c’est parce qu’elle relève, comme l’explique Benjamin Stora, du « non-dit collectif ».

« Nous considérons que c’est aux historiens d’écrire l’histoire et pas aux politiques de l’instrumentaliser »

-Jean-Luc Mélenchon

Un autre historien, Pascal Blanchard, résume parfaitement le pourquoi de cette obsession bien française chez les politiques de l’Hexagone : « La question coloniale touche encore le présent car elle interpelle notamment sur l’immigration postcoloniale, sur la République, sur la manière dont on se pense Français, sur nos identités collectives et sur la manière dont on s’attache au récit national. Elle a toujours été un débat idéologique parce qu’en France, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne, la page coloniale n’a pas été tournée ».

Les relations franco-algériennes sont aussi dépendantes du poids de la mémoire : François Hollande lors de la journée nationale d'hommage aux harkis en septembre 2016 (Élysée)

De l’autre côté de la Méditerranée, où la légitimité historique des gouvernants, les déchirements sur les questions identitaires et les tabous sociaux dans l’Algérie d’aujourd’hui sont nourris par l’absence de récit national consensuel et apaisé, l’histoire reste aussi à écrire. La guerre d’Algérie n’est apparemment pas terminée pour beaucoup.

« Pour avoir un récit, il est important qu’on ait l’impression que ‘’c’est du passé’’, explique l’historienne Malika Rahal, chargée de recherche à l'Institut du temps présent au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Mais les enjeux du présent sont tellement pressants qu’ils empêchent l’histoire de tomber dans le passé ».

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