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Les falafels aident à construire des ponts entre la Chine et le Moyen-Orient

Alors que la Chine courtise la région à l’aide d’initiatives économiques et d’exercices militaires conjoints, la nourriture est devenue un outil de compréhension mutuelle
Un groupe d'amis chinois et arabes dégustent les saveurs du Moyen-Orient à Shami House, dans le quartier de Xiaobei à Guangzhou (photo offerte par Shami House)

GUANGZHOU, Chine – Vêtu d’une tenue formelle, un portier syrien accueille des commerçants du Moyen-Orient. Flanqué de ses hôtes chinois, le groupe monte les escaliers jusqu'à la salle à manger.

« Bienvenue à Shami House », annonce le portier en souriant aux invités.

Dans l'arrondissement de Xiaobei, à Guangzhou, il est difficile de ne pas remarquer le panneau d'affichage clignotant de ce restaurant du Moyen-Orient. Écrite en arabe, en chinois et en anglais, l’enseigne invite les clients locaux et internationaux à venir y déguster ses produits méditerranéens.

Lorsque le propriétaire, Khaled Birouti, a visité la Chine pour la première fois en 2000, il a été choqué par le manque d'établissements du Moyen-Orient, une cuisine déjà populaire en Europe, en Amérique du Nord et dans d'autres parties d'Asie.

« Je pouvais trouver des spécialités du Moyen-Orient seulement dans les hôtels cinq étoiles, et les prix étaient incroyablement élevés », se souvient-il. « Mes amis arabes avaient l'habitude de faire passer en douce du pain à travers la frontière pour avoir quelque chose de familier à manger pendant leurs voyages d'affaires en Chine », dit-il en riant.

Ce Syrien de 53 ans a décidé d'ouvrir un restaurant pour offrir à la communauté grandissante du Moyen-Orient en Chine des saveurs rappelant leurs origines tout en espérant attirer également les clients locaux. Malgré l’absence de chiffres officiels, les experts estiment que la communauté arabe se chiffre en dizaines de milliers.

Alors que la Chine accroît sa visibilité au Moyen-Orient, de plus en plus de Chinois développent un intérêt pour la région. Pour cette nation dotée d’un riche patrimoine culinaire, la nourriture aide à combler le fossé culturel et le nombre d'établissements offrant de la cuisine du Moyen-Orient a fortement augmenté au cours des deux dernières décennies.

Le vice-prince héritier d'Arabie saoudite, Muhammad bin Salman al-Saud, serre la main du président chinois Xi Jinping avant la photo de famille des dirigeants du G20 à Hangzhou le 4 septembre 2016. (AFP)

Mariage de houmous, taboulé et fatteh

Après avoir grimpé les escaliers, les clients sont assis à l'une des longues tables qui dominent la salle. Des panneaux de bois sombre encadrent les murs, tandis que les plantes et l'éclairage placé stratégiquement ajoutent à l'ambiance du restaurant.

Un buffet est adossé au mur à l'arrière de la grande salle à manger. L’arôme du pain pita fraichement cuit au four qui s’élève des plateaux de service en métal danse avec les différentes épices qui infusent l'air. Diverses salades - taboulé, fattouche, salade grecque – se disputent la place dans l’assiette du client.

L’objectif de Birouti était de recréer l'atmosphère des restaurants qu'il avait vus à Damas, sa ville natale.

« Pour moi, c'est une façon très spéciale d'introduire notre culture », a-t-il déclaré à MEE. « Notre culture est très différente pour les Chinois, même pour les Européens, avec lesquels nous partageons une histoire romaine et méditerranéenne commune. »

Jasmin Mohamed dîne régulièrement au restaurant quand elle est à Guangzhou pour affaires. Cette native du Caire apprécie la nourriture et le service de style moyen-oriental, qui, dit-elle, est plus accueillant que certains restaurants chinois.

« Je mourais d’envie de manger de la nourriture égyptienne, alors j'ai décidé de commander de l'agneau et du riz », a-t-elle expliqué. « Ma mère cuisine quelque chose de semblable. »

D’après Mohammed al-Sudairi, chercheur sur l'immigration du Moyen-Orient vers la Chine, « les restaurants jouent un rôle essentiel en tant qu'espace social pour la communauté du Moyen-Orient ».

Les saveurs traditionnelles du Moyen-Orient sont servies à Shami (MEE/Kait Bolongaro)

La recherche de relations plus étroites

« L'approche de la Chine au Moyen-Orient est très prudente. Elle n'a jamais pris de risques dans la région », a déclaré Yoram Evron, expert de l'Université israélienne de Haïfa.

Stimulée par des considérations économiques et politiques, l’implication de la Chine au Moyen-Orient s’est accrue au cours des cinq dernières années. L'économie robuste de la région a entraîné une demande en projets d'infrastructure, énergie et biens de consommation – toutes choses que Beijing peut fournir.

Annoncée en 2013, l'initiative One Belt, One Road du président chinois Xi Jinping vise à accroître le commerce entre la Chine et le Moyen-Orient. Selon Evron, il s’agit d’« une pierre angulaire de la stratégie de Beijing  en matière de politique étrangère».

L'initiative One Belt, One Road du président chinois Xi Jinping vise à accroître le commerce entre la Chine et le Moyen-Orient

Du point de vue politique, le tournant de la Chine vers le Moyen-Orient sert de contrepoids à l'implication dans la région des États-Unis et de la Russie, deux pays ayant tendance à prendre parti dans des conflits militaires ou politiques. La Chine, au contraire, a courtisé à la fois Israël et la Palestine, l'Arabie saoudite et l'Iran. 

« Ils ont réussi à ne pas être perçus comme une puissance extérieure hostile en raison de leur approche consistant à être amis avec tout le monde », a déclaré Mathieu Duchâtel, directeur adjoint du programme Asie et Chine au Conseil européen des relations internationales.

Cependant, avec ses récents exercices conjoints avec l'Arabie saoudite contre le terrorisme, la Chine est en train de perdre sa réputation de non-ingérence. L'une de ses principales préoccupations est de protéger ses ressortissants à l’étranger de groupes tels que l'État islamique.  

Avec ses récents exercices conjoints avec l'Arabie saoudite contre le terrorisme, la Chine est en train de perdre sa réputation de non-ingérence

« Cet exercice conjoint est un exemple du fait que la Chine renonce au profil bas qu'elle a adopté au cours de la dernière décennie », a déclaré Duchâtel. « Sa posture est en train de changer. »

Alors que la Chine soutient traditionnellement la reconnaissance d'un État palestinien indépendant, Pékin cherche également à développer des relations de plus en plus étroites avec Israël. Evron explique : « La Chine pense qu'elle doit être considérée comme un acteur du conflit israélo-palestinien et qu’elle doit être impliquée dans sa résolution ».

La Chine : une nation immigrante et musulmane

À partir des années 1950 et 1960, des intellectuels arabes - comme la romancière syrienne Hanna Mina et le marxiste irakien Hadi al-Alawi – ainsi que des étudiants ont fondé la première communauté du Moyen-Orient en Chine. Tandis que certains se sont installés définitivement, d'autres s’en sont retournés chez eux pour soutenir les partis communistes et les mouvements de gauche de leurs pays.

L'expert Mohammed al-Sudairi affirme que les Arabes ont commencé à s'établir de façon plus permanente à la fin des années 1990.

 « Cet afflux important est le résultat du statut économique ascendant de la Chine et du désir de certaines personnes de profiter des réseaux de la mondialisation, de sorte qu'une communauté émerge dans des endroits comme Guangzhou et Yiwu », a-t-il expliqué.

Bien que généralement acceptée par les gens du pays, la communauté du Moyen-Orient doit souvent lutter pour assurer sa place en Chine, où les voies menant à la naturalisation sont limitées.

Les stéréotypes sur les peuples du Moyen-Orient sont par ailleurs répandus. Anas Birouti, le fils de Khaled Birouti, a eu affaire à des stéréotypes sur les Arabes et les musulmans.

« On me demande souvent si les hommes arabes ont vraiment quatre femmes ou pourquoi certaines femmes se couvrent », a-t-il expliqué. « Les Chinois pensent aussi que nous sommes riches. »

L'islam est arrivé en Chine avec les commerçants musulmans il y a plus de 1 437 ans. Alors que les musulmans huis forment la majorité des 23,3 millions de musulmans du pays, les ambitions d'indépendance des Ouïgours ont provoqué des tensions entre le gouvernement central et la minorité.

Alors que les musulmans huis forment la majorité des 23,3 millions de musulmans du pays, les ambitions d'indépendance des Ouïgours ont provoqué des tensions entre le gouvernement central et la minorité

« La réponse de l'État chinois à l'islam dans la province du Gansu où vivent les Huis est nettement différente de celle de la région autonome ouïgoure du Xinjiang », explique le Dr Sean Roberts, de l'Université George Washington.

Roberts affirme qu’à partir de 2001, l'État chinois a adopté un discours sur le terrorisme islamique qui rappelle le récit de la guerre contre le terrorisme aux États-Unis.

« L'État s'est largement concentré sur la pratique de l'islam en tant que problème derrière ce qu'ils perçoivent comme une menace terroriste ouïghoure », a-t-il déclaré à MEE.

De la prohibition du jeûne pendant le Ramadan pour les fonctionnaires et les étudiants à l'interdiction des barbes, couvre-chefs et autre vêtements considérés comme islamiques dans les autobus publics, la plupart des mesures restreignant la pratique de l'islam ont été limitées à la région du Xinjiang.

Selon Duchâtel, l’inquiétude suscitée par le terrorisme national est au cœur de l’empressement de la Chine à obtenir un soutien politique pour ses efforts de lutte contre le terrorisme à l'étranger.

« Il est important pour la Chine de dire en interne que son approche du Xinjiang est approuvée par les États musulmans », a-t-il soutenu. « Cela explique de plus en plus comment elle mène ses relations avec ses partenaires au Moyen-Orient. »

Une savoureuse compréhension

De retour à Shami House, Fanny Li prend un morceau de baklava sur la table à dessert nichée sous un pilier recouvert de bois et l’ajoute à son assiette. Elle fait partie des 20 % de la clientèle chinoise du restaurant, et ce chiffre ne cesse de croître. C’est avec son patron saoudien que cette native de Guangzhou a goûté pour la première fois à la nourriture du Moyen-Orient.  

« Au début, je ne savais pas à quoi m'attendre, mais maintenant j'aime vraiment cette nourriture – je suis amoureuse du houmous et du baba ghanoush », s’exclame-t-elle.

Comme Li, la plupart des clients chinois viennent pour la première fois avec leurs partenaires d'affaires du Moyen-Orient, qui les initient aux différents types de cuisine de la région.

Des équipes de danse traditionnelle chinoise se produisent lors de la cérémonie d'inauguration du projet Yanbu Aramco Sinopec Refining Company (YASREF) le 20 janvier 2016 à Riyad (AFP)

« La nourriture du Moyen-Orient est un mystère pour beaucoup de Chinois », a déclaré Anas Birouti, le patron du restaurant. « Mais ils sont de plus en plus ouverts à l’idée d’essayer de nouvelles cuisines. »

Goûtant pour la première fois les plats du Moyen-Orient, Mengxue Wu remplit son assiette au buffet pour une deuxième tournée. Elle ajoute trois kebbeh sur un petit monticule de taboulé, de fettah et d'olives.

« La nourriture est si fraîche – il y a tellement de légumes », explique-t-elle. « Je pense qu'il y a un peu trop d'huile [d'olive], mais on m'a dit que c'est un aliment de base de cette cuisine. »

Jen Lin-Liu, spécialiste de la culture culinaire chinoise, affirme qu'un basculement générationnel vers la nourriture internationale a lieu en Chine.

« Traditionnellement, les Chinois ont l’esprit très fermé quand il s’agit de leur nourriture, a-t-elle dit à MEE. Mais la jeune génération est définitivement plus ouverte d'esprit. »

Alors que la Chine et le Moyen-Orient forgent des liens plus étroits, il semble que le développement de la compréhension mutuelle commence avec l'estomac.

Traduit de l’anglais (original).

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