Les « femmes inébranlables » d’al-Aqsa persévèrent dans leur défi
« Tu nous es tellement chère ! C’est seulement quand tu nous as été enlevée que nous avons réalisé à quel point tu étais indispensable », s’écrie Oum Hussam, en serrant contre son cœur Zinat al-Jallad, plus connue sous le nom d’Oum Ihab.
C’est le premier jour du retour d’Oum Ihab parmi ses « sœurs » à Bab Hutta dans la vieille ville, après quatre jours dans une prison israélienne suivis de cinq jours en résidence surveillée. Nul besoin de demander aux femmes rassemblées autour d’Oum Ihab ce qu’elle représente pour elles : l’accueil qu’elles lui réservent parle de lui-même. À 61 ans, elle joue le rôle d’une mère, y compris pour ses amies plus âgées qu’elle.
« Nous avons perdu le sommeil quand on l’a arrêtée », raconte Ikram al-Ghazzawi à MEE. J’aurais voulu parvenir à faire quelque chose, n’importe quoi, pour la libérer. Nous ne pouvons imaginer nos vies sans elle. »
« Oum Ihab est aimée de tous parce qu’elle aide tous ceux qui sont dans le besoin », explique Zina Amr. « Quand l’une d’entre nous est arrêtée, Oum Ihab est toujours la première à assister à nos audiences et à nous accueillir quand nous sommes relâchées. Sa tendresse et son attitude de défi sont un exemple pour nous toutes », ajoute-t-elle, avant de distribuer des lettres de soutien que les femmes ont reçu d’Algérie, dans lesquelles des femmes algériennes témoignent de leur solidarité avec les Palestiniens de Jérusalem.
Oum Ihab, de même que la vingtaine de femmes présentes à Bab Hutta mercredi dernier malgré le froid, fait partie des 40 Palestiniennes qui se sont vu interdire l’entrée de la mosquée al-Aqsa depuis le mois de septembre. Les noms de ces femmes figuraient sur une liste distribuée par Avi Bitton, chef de la police de Jérusalem, le 3 septembre 2015. Les Palestiniens ont donné à cette « liste noire de perturbateurs » établie par Israël le surnom de « liste d’or ». Au lieu d’intimider les femmes et de les inciter à se soumettre, cette interdiction renforce leur moral.
À l’origine, les femmes se réunissaient quotidiennement devant Bab al-Silsila, ou porte de la Chaîne. Elles expliquent que la répression israélienne, avec ses passages à tabac et son harcèlement physique et verbal, a bien réussi à les déloger de leur lieu de rassemblement habituel à Bab al-Silsila, mais qu’elles ont tout bonnement commencé à se réunir à Bab al-Hutta à la place.
« Nous ne nous sommes pas repliées sur Bab al-Hutta par souci de sécurité ; nous insistons pour réaffirmer notre présence ici, et nous voulons demeurer le plus près possible de la mosquée », dit Oum Ihab.
Le groupe vient chaque matin à Bab al-Hutta, l’une des portes de la mosquée al-Aqsa, et elles y restent jusque dans l’après-midi. Avant de se voir interdire l’entrée de la mosquée al-Aqsa pour une durée indéterminée, les femmes donnaient des leçons d’instruction religieuse qui couvraient aussi bien la récitation et la mémorisation du Coran que l’interprétation des hadiths (les paroles du prophète Mohammed), la jurisprudence islamique et l’histoire – en particulier l’histoire de la mosquée al-Aqsa. Elles sont persuadées qu’il est impossible de contrer le discours des groupes de colons qui revendiquent une autorité sur ce lieu, tels que le groupe du mont du Temple, si l’on ne comprend pas son histoire dans toute sa complexité.
Les femmes considèrent qu’elles ont le devoir fondamental de protéger ce lieu sacré des incursions de plus en plus fréquentes et provocatrices de groupes de colons israéliens qui visitent le quartier. Elles s’écrient régulièrement « Allahu Akbar » (« Dieu est plus grand ») pour rappeler aux visiteurs juifs que l’enceinte est toujours sous contrôle musulman.
Pour beaucoup de femmes dont les noms figurent sur la liste israélienne, il ne s’agit pas de la première interdiction. Oum Ihab elle-même avait été bannie de la mosquée pendant plusieurs mois il y a trois ans. L’âge des femmes interdites d’entrée à al-Aqsa s’échelonne de 18 à 70 ans. Les autorités israéliennes affirment que leur présence est une incitation à la violence et une provocation pour les colons et la police, tandis que les femmes sont convaincues de leur droit inaliénable de prier à al-Aqsa et de défendre la mosquée contre ce qu’elles perçoivent comme une invasion de groupes de colons, soutenus par la police et l’armée israéliennes.
« La véritable provocation, c’est le comportement de la police israélienne », dit Shamiyeh Muhtassib, qui a essayé de pénétrer dans la mosquée plus tôt ce matin, mais qui a été refoulée après avoir présenté sa carte d’identité. « Ils nous frappent, font exploser des grenades assourdissantes, nous traînent par terre et prétendent ensuite être eux-mêmes les victimes », affirme-t-elle, exaspérée.
La brève arrestation d’Oum Ihab en décembre dernier constitue un épisode supplémentaire dans le ciblage par Israël des femmes accusées d’appartenir aux mourabitat, les « femmes inébranlables » d'al-Aqsa.
« Je ne suis affiliée à aucun groupe, parti ou organisation politique », insiste Oum Ihab. « Ma seule et unique affiliation, c’est Jérusalem et la mosquée al-Aqsa. »
Zina Amr insiste sur le fait que ce groupe de femmes n’a pas de dirigeants ni de structure centralisée. « Les soldats israéliens et les colons armés assimilent notre chant de Allahu Akbar au terrorisme parce qu’ils veulent effacer notre identité et nos racines de ce lieu. »
Zinat al-Jallad, qui habite le village d’Issawiyeh à Jérusalem-Est, a été arrêtée par la police israélienne la semaine dernière. Elle a passé trois nuits et quatre jours dans la prison de Ramla ; on ne l’a pas autorisée à prendre ses médicaments le premier jour.
On l’a interrogée sur le fait qu’elle procurerait de l’aide à des groupes interdits et qu’elle recevrait des fonds de groupes interdits – deux accusations que Zinat al-Jallad dément énergiquement.
« Pour finir, elle a été libérée sous caution sans avoir été inculpée de quoi que ce soit, mais il est probable qu’Israël continue à la harceler, ainsi que les autres femmes », a déclaré à MEE Khaled Zabarqa, l’avocat de Zinat al-Jallad.
Alors que Zinat al-Jallad a vécu sa première arrestation à l’âge de 61 ans, son fils Wassim n’avait que 17 ans quand on l’a arrêté pour la première fois.
Mercredi aurait dû être le jour de la visite mensuelle de Zinat à son fils, mais à cause de son arrestation et du fait qu’elle a maintenant un dossier criminel, elle n’a pas pu lui rendre visite.
Le premier séjour de Wassim en prison avait duré quatre ans ; il avait été accusé d’appartenir au Hamas. Peu de temps après sa libération et son mariage, il fut de nouveau arrêté et condamné à 15 ans de prison pour avoir transporté un kamikaze palestinien.
« Il a maintenant 39 ans et il a passé un total de 15 ans derrière les barreaux. En comparaison, mes trois jours en prison semblent vraiment peu de chose », constate Oum Ihab. « Il me dit toujours que la fermeté dont nous faisons preuve ici lui donne de la force. »
Ce qui a donné de la force à Oum Ihab lors de son arrestation, c’est la solidarité dont les autres femmes ont fait preuve à son égard. Durant sa dernière audience, le tribunal de district de Jérusalem grouillait de reporters. « L’un des interrogateurs nous a dit que le grand nombre de personnes qui étaient venues me soutenir prouvait que j’étais une meneuse », se remémore-t-elle. « Je lui ai rétorqué que cela prouvait seulement que j’étais aimée. Mais il semble qu’être aimée soit aussi un crime aux yeux de la loi israélienne. »
Oum Ihab est convaincue que les autorités israéliennes emploient différentes tactiques pour contrer leur activisme, et que leurs stratégies ne se limitent pas à l’usage de la force.
« Après avoir vainement tenté de briser notre résistance par la force, ils ont eu recours à d’autres tactiques : nous faire chanter, ternir nos réputations, punir les membres de nos familles, menacer de geler notre sécurité sociale, et ainsi de suite. »
De nombreuses femmes ont affirmé à Middle East Eye que non seulement elles étaient personnellement visées, mais que leurs maris et leurs pères étaient également sur la sellette.
« Il n’y a rien de nouveau dans cette tactique dirigée contre les femmes. Ils pensent que puisque nous vivons dans une société patriarcale, ils peuvent contraindre nos maris et nos pères à nous contrôler. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’ici pour la plupart des femmes, rien n’est plus important que leur devoir envers la mosquée al-Aqsa », répète Zina Amr.
Oum Ihab admet que la stratégie qui consiste à punir leurs proches a parfois fonctionné et que certaines femmes ont été contraintes de rentrer chez elles à cause de la pression exercée par leur famille, mais elle pense que d’une façon générale, ce stratagème a eu l’effet inverse sur la plupart d’entre elles.
« Toutes les tactiques de vengeance et de punition collective qu’ils ont employées n’ont pas réussi à affaiblir notre détermination. Au contraire, ces stratégies nous ont encore plus galvanisées et ont accru notre solidarité et notre cohésion. »
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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