Les liens en matière de sécurité entre les Palestiniens et Israël commencent à s’effilocher
Le président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas a décrit la coopération de ses forces de sécurité avec l’armée israélienne comme « sacrée ». Toutefois, une attaque armée contre un poste de contrôle israélien commise par un responsable de la sécurité palestinien la semaine dernière, qui a blessé trois soldats israéliens, suggère que le point de vue d’Abbas pourrait ne pas être largement partagé par les Palestiniens.
Amjad Sukari, âgé de 34 ans, chauffeur et garde du corps du procureur général palestinien à Ramallah, a été abattu dimanche dernier après avoir ouvert le feu sur des soldats israéliens stationnés à un « point de passage VIP », près de Ramallah.
C’est la deuxième fois en quelques mois qu’un agent de sécurité de l’AP ouvre le feu sur des soldats israéliens.
Il y a deux mois, Mazen Ariba, un membre des services de renseignement palestiniens, a blessé deux Israéliens, dont un soldat, au check-point d’Hizme, près de Jérusalem.
Israël a répondu à l’attaque de Sukari en bloquant brièvement Ramallah, la capitale économique et politique effective des Palestiniens, dans ce qui est apparu comme une politique de sanction collective.
Ramallah est également le siège du Service de sécurité préventive, la branche d’élite des renseignements de l’AP qui est censée maintenir ce qu’on appelle la « stabilité interne », mais qui a fini par être réputée pour réprimer la dissidence intérieure et sévir contre les opposants d’Abbas, en particulier le Hamas.
Il est dit que les responsables militaires israéliens craignent de plus en plus que la décennie de ce qu’on appelle la « coopération » en matière de sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne ne s’effondre rapidement.
Amos Harel, analyste militaire du quotidien Haaretz, a rapporté la semaine dernière qu’une plus grande implication des membres des services de sécurité palestiniens dans les attaques était un « scénario catastrophe qui inquiétait la défense israélienne depuis des mois. »
Il a ajouté que le renseignement israélien essayait de trouver des façons d’utiliser les messages postés sur les réseaux sociaux pour identifier de manière anticipée les responsables de la sécurité qui pourraient retourner leurs armes contre Israël.
Ce danger a été exacerbé par la ligne dure promue par le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahou à la suite des attaques de grande envergure comme celle de Sukari, a déclaré Shlomo Brom, un ancien général israélien qui est aujourd’hui chercheur à l’Institut des études de sécurité nationale à l’Université de Tel Aviv.
« Nous assistons à une polarisation entre les échelons politiques et militaires », a-t-il expliqué à Middle East Eye. « Le gouvernement veut prouver à ses partisans qu’il est dur à l’égard des Palestiniens – c’est ce qui a motivé la décision de couper l’accès à Ramallah. Cependant, les militaires redoutent qu’une sanction collective de ce genre puisse avoir un effet contre-productif et motiver davantage de Palestiniens, y compris des responsables de la sécurité, à s’impliquer dans des attaques. Cela pourrait créer un cercle vicieux. »
Brom a précisé que la levée du blocus sur Ramallah au lendemain de son introduction montrait que le point de vue de l’armée primait encore, mais que la pression politique s’intensifiait.
Commerce des armes
La fragilité de la relation en matière de sécurité a été soulignée le mois dernier lorsque Netanyahou a dit à son cabinet qu’Israël se préparait à l’éventualité d’un effondrement de l’Autorité palestinienne d’Abbas, à laquelle les services de sécurité palestiniens rendent des comptes.
La crédibilité de l’Autorité palestinienne décline alors que le processus diplomatique s’est engagé dans une impasse et où de nombreuses personnes se demandent combien de temps Abbas, âgé de 80 ans, pourra continuer à exercer sa fonction.
L’effondrement de l’Autorité palestinienne laisserait des dizaines de milliers d’agents de sécurité palestiniens sans chef et sans salaire et ouvrirait la voie au commerce des armes personnelles qu’ils portent, selon Brom.
« On pourrait se retrouver dans une situation comme en Libye, avec une perte d’armes qui pourraient ensuite être pointées vers Israël », a-t-il ajouté.
Dans ce que certains ont qualifié de nouvelle Intifada, ou soulèvement, plus de 155 Palestiniens et 28 Israéliens ont été tués depuis octobre au cours d’une série d’attaques en Cisjordanie, Jérusalem-Est et en Israël.
Jusqu’à présent, la plupart des attaques ont été menées par des Palestiniens isolés à l’aide de couteaux ou précipitant des voitures sur des Israéliens – des incidents spontanés perpétrés par des « loups solitaires » qu’il a été impossible de combattre pour les forces de sécurité israéliennes et palestiniennes.
Toutefois, signe possible que la nature des attaques est peut-être en train de changer, trois jeunes Palestiniens de Qabatiya, près de Jénine dans le nord de la Cisjordanie, ont organisé ce qu’un analyste israélien a qualifié d’opération « complexe et sophistiquée » à Jérusalem-Est mercredi dernier.
Ils ont utilisé une mitraillette pour tirer sur deux policières israéliennes à la porte de Damas, l’entrée principale de la vieille ville, tuant l’une des deux. Le groupe n’a pas réussi à faire exploser des bombes artisanales.
200 attaques déjouées
Du point de vue d’Israël, le rôle des services de sécurité palestiniens est d’aider à déjouer les attaques exigeant un tel niveau de planification, en utilisant ses services de renseignements sur le terrain contre les groupes armés avant que ceux-ci atteignent leur cible.
Majid Faraj, qui dirige les services de renseignement palestiniens, s’en est précisément vanté le mois dernier à un journal américain. Il a confié à Defense News que ses forces avaient empêché plus de 200 attaques contre des Israéliens depuis octobre, confisqué un grand nombre d’armes et arrêté plus de 100 Palestiniens.
Il a ajouté que l’effondrement de l’Autorité palestinienne et de ses services de sécurité se traduirait par « l’anarchie, la violence et le terrorisme ».
Ses commentaires lui ont valu une vague de réprimandes de la part des dirigeants palestiniens, un député du Hamas demandant même son procès pour « haute trahison ».
Les remarques de Faraj ont contribué aux accusations croissantes de Palestiniens selon lesquelles, en l’absence d’un processus politique pour établir un État palestinien, les services de sécurité palestiniens collaborent simplement avec Israël pour perpétuer l’occupation.
Abbas n’a visiblement pas condamné l’attaque de Sukari, qui a bénéficié d’un enterrement militaire.
Les critiques concernant le rôle des services de sécurité palestiniens qui assistent l’armée israélienne alors qu’un grand nombre de Palestiniens sont tués ont probablement exacerbé une forte pression sur des agents comme Sukari.
Selon Brom, les responsables israéliens craignent que l’attaque de Sukari puisse être imitée par d’autres responsables de la sécurité palestinienne.
Tariq Dana, professeur de sciences politiques à l’Université d’Hébron, a indiqué que de nouvelles attaques « constitueraient une menace majeure pour l’AP, étant donné que celle-ci est fondée sur une doctrine de sécurité qui exige son hégémonie sur la société palestinienne. »
Adel Samara, un analyste politique basé à Ramallah, a déclaré à MEE : « Je ne doute pas que l’AP examinera ses propres rangs à la recherche de ceux qui sont comme Sukari ou sont susceptibles d’agir comme lui et les licenciera, mais elle ne peut rien faire de plus. »
Rôle de la formation par les États-Unis
Au printemps dernier, le Conseil central de l’OLP a voté la suspension de la coordination de sécurité avec l’armée israélienne, l’accusant de faire des « raids quotidiens dans tout l’État de Palestine ».
Abbas n’a cependant pas réussi à mettre en œuvre cette décision. Après une série de menaces apparemment en l’air, il a affirmé en décembre que la coordination se poursuivrait.
Du côté d’Israël, l’attaque de Sukari a suscité la crainte que la vague de violence actuelle puisse commencer à ressembler à l’époque de la deuxième Intifada, qui a éclaté en 2000.
La coopération en matière de sécurité introduite par les accords d’Oslo de 1993 s’était alors rapidement effondrée. Les responsables de la sécurité palestiniens s’étaient trouvés entraînés dans le soulèvement tandis que l’armée israélienne recourait massivement à la force pour réprimer les manifestations.
L’invasion israélienne des zones sous contrôle palestinien dans les territoires occupés avait conduit à la destruction généralisée des commissariats et des prisons.
La coopération n’a repris que lorsqu’Abbas a accédé à la présidence palestinienne en 2005, après la mort de Yasser Arafat.
Abbas a désarmé les groupes de la résistance palestinienne et transformé les forces de sécurité en moyen d’assurer la « stabilité », celle-ci étant définie comme la protection des colonies juives et des autres intérêts israéliens dans les territoires occupés face à la résistance palestinienne, ainsi que la protection de l’élite de l’AP, a déclaré Dana.
Cette réorganisation, qui a créé une série d’unités de sécurité à partir des forces de police, des diverses agences de renseignement et d’une garde présidentielle forte de 6 000 membres, a été soutenue avec enthousiasme par les États-Unis et l’Europe.
Les chiffres américains montrent qu’entre 2007 et 2010, les États-Unis ont dépensé près de 500 millions de dollars pour reconstruire, former et équiper les services de sécurité de l’AP.
Les États-Unis ont également compté sur l’aide de l’Égypte, qui fournit des armes, et de la Jordanie, qui forme les forces palestiniennes. Israël approuve les nouvelles recrues.
Un milliard de dollars de budget pour la sécurité
Tariq Dana a indiqué que quelque 65 000 Palestiniens étaient payés sur le budget de la défense. Le ratio d’1 responsable de la sécurité pour 70 civils est l’un des plus élevés au monde.
Les dépenses annuelles de l’AP d’un milliard de dollars pour la sécurité représentent environ 30 % de son budget total, soit plus que ses dépenses pour l’éducation, la santé et l’agriculture réunies. Proportionnellement, l’AP dépense beaucoup plus que les États-Unis pour la défense et trois fois plus que le Royaume-Uni.
Les Palestine Papers, des documents internes couvrant plus d’une décennie de négociations israélo-palestiniennes divulgués par Al Jazeera, ont révélé qu’Israël s’était initialement opposé à l’appui américain aux forces de sécurité de l’AP.
Même en 2010, un commandant israélien de haut rang, Avi Mizrahi, doutait publiquement de la sagesse de cette politique. Il avait déclaré : « C’est une force entraînée, équipée et formée par les Américains. Cela signifie que, au début d’une bataille, nous payerons un prix plus élevé. Ils ont des capacités d’attaque et nous ne nous attendons pas à ce qu’ils abandonnent facilement. »
Cependant, en pratique, l’armée israélienne a trouvé cette coordination bénéfique, des rapports faisant état de plus d’un millier d’opérations conjointes chaque année.
Mieux armés
Les politiciens israéliens, de Netanyahou au chef de l’opposition, Isaac Herzog, ont insisté sur le fait que, si un État palestinien devait voir le jour, il devrait être démilitarisé.
Brom a déclaré que les services de sécurité palestiniens étaient mieux armés et entraînés après l’intervention américaine, mais ne constituaient qu’une menace limitée pour Israël.
« Ils portent des armes personnelles légères qui sont utiles pour maintenir l’ordre, mais ne seraient pas d’une grande aide pour lutter contre une véritable armée comme celle d’Israël », a-t-il dit.
Il a ajouté qu’Israël avait pris soin de ne pas laisser les forces de sécurité palestiniennes trop croître et leur avait fourni uniquement des renseignements limités.
« En fin de compte, nous préférons agir par nous-mêmes », a-t-il conclu.
Jeff Halper, un militant et universitaire israélien dont le récent livre, War Against the People, examine les stratégies militaires d’Israël, a déclaré qu’il serait plus juste de décrire la relation en matière de sécurité entre Israël et les Palestiniens comme une « externalisation ».
« L’essentiel pour Israël est de conserver le contrôle à tout moment », a-t-il déclaré à MEE. « Il sous-traite à l’Autorité palestinienne sur le terrain, car cela crée une zone tampon entre les Palestiniens et les forces d’occupation et facilite la vie d’Israël. »
La mort d’Abbas ou l’effondrement de l’Autorité palestinienne, a-t-il ajouté, créerait un grand vide qu’il serait très difficile de combler pour Israël.
« Israël pourrait essayer de le combler avec un homme fort comme Faraj ou [Mohammed] Dahlan, mais ils auraient du mal à conserver leur crédibilité, surtout en l’absence d’horizon politique. »
Il a ajouté qu’Israël pourrait aussi essayer de recruter des collaborateurs palestiniens locaux pour contrôler les principales villes palestiniennes, mais en cas d’échec, ce qui semble probable, Israël devrait réoccuper la totalité de la Cisjordanie.
Pour Brom, ce scénario créerait de grandes difficultés pour Israël : « Il faudrait que des forces beaucoup plus importantes opèrent dans les territoires et soient directement engagées dans les zones habitées. Ce qui créerait sans aucun doute beaucoup plus de frictions. »
Reportage additionnel de Linah al-Saafin à Ramallah
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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