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Les plans européens de bombardements de bateaux ne résoudront pas la crise

La France, la Grande-Bretagne, l’Espagne et la Lituanie ont préparé une résolution à l’ONU autorisant l’UE à intervenir militairement en haute mer
Un bateau chargé de centaines de migrants a fait naufrage aux larges de la côte libyenne en avril (AFP)

NEW YORK, siège des Nations unies – Un haut représentant de la Croix rouge a indiqué à Middle East Eye que les plans européens visant à mener des opérations militaires contre les bateaux de trafic d’être humains traversant la mer Méditerranée étaient immoraux et ne résoudraient pas la crise des réfugiés.

Francesco Rocca, directeur de la Croix rouge en Italie et vice-président de la branche internationale de l’organisation est en visite à New York pour tenter de persuader les diplomates de ne pas adopter une résolution du Conseil de sécurité avalisant l’usage de la force militaire par l’Union européenne (UE) en Libye.

« Nous devons combattre les trafiquants qui détruisent des vies et violent la dignité humaine, mais nous devons trouver une solution plus exhaustive que le simple bombardement de ces petites embarcations », a déclaré Rocca à MEE depuis le siège de l’ONU à Manhattan. 

« Les nations européennes savent que cela ne fonctionnera pas. Il existe d’autres moyens d’accéder à l’Europe par voie terrestre via le Liban, la Turquie et les Balkans ou à travers la mer Egée. Fermer une voie d’accès n’est pas suffisant ; nous devons trouver une solution légale pour ces personnes qui méritent d’être protégées. » 

La responsable de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, doit rencontrer les membres du Conseil de sécurité de l’ONU lundi pour tenter d’obtenir leur accord pour des opérations de saisie et de destruction des bateaux utilisés par les trafiquants de migrants à travers la Méditerranée depuis la Libye.

Inquiétudes suscitées par le bombardement de bateaux

Les dirigeants de l’UE ont décidé le mois derniers d’« identifier, capturer et détruire les embarcations avant qu’elles ne soient utilisées par les trafiquants », et le bloc des vingt-huit nations veut l’autorisation de l’ONU pour mener ces opérations. 

Les membres européens du Conseil de sécurité de l’ONU – la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne et la Lituanie – ont rédigé une résolution permettant à l’UE d’intervenir en haute mer selon le chapitre VII de la charte des Nations unies, qui autorise l’usage de la force. La façon dont celle-ci serait utilisée n’a pas été précisée.

Les Européens se confronteront probablement à l’opposition de Moscou, qui dispose d’un droit de véto au Conseil de sécurité. Les diplomates russes étaient initialement favorables à l’adoption de mesures sévères mais la destruction des embarcations est une limite à ne pas dépasser, selon Reuters.

La Croix rouge n’est pas la seule organisation humanitaire à s’inquiéter de ce projet de bombardement des navires. « Les bateaux détruits peuvent être remplacés. Les vies ne le peuvent pas. Sauver des vies devrait être notre priorité », a déclaré à MEE William Lacy Swing, président de l’Organisation internationale pour les migrations.

L’agence de l’ONU pour les réfugiés, le HCR, a également tiré la sonnette d’alarme. Lors de la publication d’un rapport cette semaine sur les 38 millions de personnes forcées de fuir leur domicile en 2014 – un chiffre sans précédent – Volker Türk, un responsable du HCR, a souligné que « le désespoir conduisait les gens à tenter leur chance quitte à prendre le risque d’un voyage périlleux en mer ».

Les pays européens font face à une forte hausse du nombre de refugiés tachant de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée ou par voie terrestre à travers la Turquie. Nombre d’entre eux fuient les violences en Syrie et en Libye ; d’autres tentent d’échapper aux conflits faisant rage dans des pays comme la Somalie, le Nigeria et le Congo.

L’UE réfléchit à des mesures à mettre en place en Libye car le manque de contrôle gouvernemental dans ce pays permet aux trafiquants d’êtres humains d’opérer en toute liberté. Quatre ans après la chute de Mouammar Kadhafi, le pays a sombré dans une lutte intestine entre factions combattant pour deux gouvernements rivaux.

La milice qui dirige Tripoli, la capitale libyenne située sur la côte méditerranéenne, a annoncé qu’elle « confronterait » toute action prise unilatéralement par l’UE contre les trafiquants. Federica Mogherini a précisé que les actions envisagées pour stopper le flux des migrants ne devaient pas être vues comme une agression à l’encontre du peuple libyen.

Chassés de chez eux

Selon Francesco Rocca, quelque 5 000 personnes ont péri noyées en Méditerranée au cours des dix-huit derniers mois, parquées sur des embarcations de fortune par des gangs de trafiquants impitoyables. Cette année seulement, environ 35 000 migrants ont risqué la traversée, précise-t-il.

Vendredi, des représentants du gouvernement italien ont confirmé la découverte de l’épave d’un navire de 25 mètres de long ayant fait naufrage dans le détroit de Sicile en avril, causant la mort d’environ 800 personnes. Seulement 50 personnes ont survécu à cet incident parmi les plus meurtriers de la crise des migrants.

« J’ai parlé à un grand nombre de ces personnes, droit dans les yeux. Elles m’ont raconté leur histoire. Des personnes fuyant les violence et la guerre en Somalie, un père cherchant à sauver ses enfants, une mère nigériane tentant de mettre sa fille à l’abri de Boko Haram », explique Rocca à MEE. 

« Ces personnes ne veulent pas partir. Elles veulent leurs maisons, leurs enseignants, leurs écoles et leurs amis. Ce sont des histoires terribles de personnes qui ont été chassées de chez elles par la violence en Syrie et dans d’autres zones de conflit. »

Francesco Rocca s’est également joint aux appels à une suspension des bombardements aériens menés par l’Arabie saoudite contre les Houthis au Yémen, où les combats ont provoqué une crise humanitaire et de réfugiés.

Les responsables saoudiens ont annoncé des plans pour un cessez-le-feu de cinq jours à compter du mardi 12 mai, mais ceux-ci dépendent de l’approbation de la trêve par les Houthis.

« Au Yémen, l’aide humanitaire ne peut accéder ; la population a besoin désespérément de matériel médical et de nourriture », a indiqué Rocca à MEE. « Nos collègues sur place travaillent 24 heures sur 24, mais il faut que les parties respectent les accords que nous avons signés avec eux. »

Sa vision de la situation en Syrie est encore plus pessimiste. Là-bas, les combats entre les forces gouvernementales et les différents groupes d’opposition qui ont fait suite aux manifestations pacifiques contre le gouvernement début 2011 ont coûté la vie à plus de 220 000 personnes et déplacé des millions d’autres.

« La situation en Syrie est complètement hors de contrôle », a-t-il indiqué à MEE. « Les familles sont sans cesse forcées de fuir les combats. » 

« L’ampleur de leur souffrance est presque inimaginable. Apporter de l’aide là-bas est extrêmement difficile, impliquant souvent de négocier avec des groupes armés qui ont peu de respect pour les conventions de Genève. »

Traduction de l’anglais (original).

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