L’extension du parc national d’Israël touche durement les familles palestiniennes
JERUSALEM – Wa’ad Mustafa et Baha’a Turk n’ont pas été choqués de voir des bulldozers en face de leur maison à Issawiya, un quartier de Jérusalem-Est.
Il n’y avait rien que les garçons puissent faire pour arrêter les véhicules israéliens qui ont rasé leur quartier mardi, laissant derrière eux une traînée d’argile aplatie et de boue épaisse. Après tout, les engins étaient escortés par des soldats armés qui ont tiré des gaz lacrymogènes sur ceux qui essayaient de les arrêter : un octogénaire, souffrant déjà de problèmes de santé, a été transporté à l’hôpital après avoir inhalé de la fumée.
« Nous vivons sous occupation, c’est la vie », déclare Wa’ad Mustafa avec un sourire pincé. L’adolescent a vécu une grande partie de son existence dans la périphérie d’Issawiya, un des quartiers les plus difficiles de Jérusalem-Est. « C’est comme ça en permanence – ils viennent ici tout le temps et retournent la terre. »
Tous les quartiers de Jérusalem subissent fréquemment des démolitions de maisons, mais Issawiya et al-Tur sont parmi les plus gravement touchés : Baha’a Turk affirme qu’il peut se souvenir d’au moins une centaines de bâtiments démolis. La plupart des incidents sont justifiés au motif que les structures ont été construites illégalement, mais il est de notoriété publique que, pour les Palestiniens de Jérusalem-Est, les permis pour l’extension ou la construction de maisons sont difficiles à obtenir.
Hier, cependant, les dégâts ne se sont pas limités aux maisons. Les véhicules israéliens ont rasé plusieurs murs, des entrepôts et des étables utilisés pour les animaux. Ils ont également détruit des chemins de terre que les familles locales empruntent pour atteindre leurs maisons. Plus haut sur la colline, deux oliviers ont été déracinés et poussés à travers la crête. En début d’après-midi, les habitants du village fouillaient les restes pour évaluer les dégâts. Un homme, en essayant de conduire sa voiture en bas de la colline, s’est vite embourbé.
Ici, les autorités justifient les destructions de structures par leur illégalité. Cependant, de meilleures raisons pourraient expliquer que la zone entre Issawiya et al-Tur soit particulièrement touchée par les démolitions. Cette colline verdoyante qui descend vers le sud à partir de l’Université hébraïque se trouve entre Jérusalem et la Cisjordanie, en bordure de la Route 1 vers Ma’ale Adumim. Ses pentes sont également en passe de devenir le parc national du mont Scopus.
Un projet controversé de l’Autorité israélienne des parcs nationaux autour du mont Scopus est actuellement envisagé dans la région de Jérusalem. Prévu pour être construit sur environ 75 hectares de terres entre Issawiya et al-Tur, il transformera une zone dont les habitants palestiniens ont cruellement besoin pour l'essor de leurs communautés en espace vert protégé à l’échelle nationale.
Aujourd’hui, ces terres sont principalement utilisées pour le pâturage et l’agriculture. Le litige sur leur utilisation, qui remonte à 2004, a empêché tout développement important. A l’époque, les habitants d’Issawiya et d’al-Tur avaient commencé à élaborer un projet sur la façon dont ils pourraient utiliser la terre au mieux pour développer leurs communautés. Au même moment, l’Autorité des parcs nationaux d’Israël commençait à concevoir dans la même zone ses propres projets pour le parc national du Mont Scopus.
Les 75 hectares qui séparent les quartiers arabes présentent certaines caractéristiques qui les qualifient comme espace naturel conventionnel. De l’Université hébraïque, la région possède une vue imprenable vers la Jordanie et présente un certain intérêt archéologique : ces deux arguments ont été avancés par les partisans de la création d’un parc national dans la zone.
Des objectifs stratégiques
Cependant, les opposants au projet affirment que l’emplacement du futur parc sert des objectifs plus profonds, plus stratégiques, que la simple création de pistes cyclables et de zones paisibles.
Selon eux, les autorités israéliennes tentent de stopper l’essor des communautés palestiniennes en désignant de grandes superficies de terres comme étant des espaces verts juridiquement protégés. Ainsi, l’accroissement démographique de la population arabe de la ville est entravé et la contiguïté judéo-israélienne entre Jérusalem et les colonies en Cisjordanie est conservée.
Ces arguments ne sont pas seulement mis en avant par ceux qui s’opposent au parc : bien que les autorités nient ces motifs, les partisans du projet promeuvent clairement ses objectifs politiques. Dans sa couverture de l’approbation du parc l’année dernière, Arutz Sheva, la source d’informations des colons, soulignait qu’un parc national « empêcherait l’expansion » d’Issawiya et d’al-Tur. Un rapport du Jerusalem Centre for Public Affairs publié en 2010 affirme également que relier les zones arabes de la ville pourrait « affermir la demande palestinienne en ce qui concerne la reconnaissance de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est comme étant une seule et même entité contiguë ». Il exhortait à ne pas autoriser de telles mesures.
Les conséquences de telles réflexions, ont mis en garde les critiques, sont des projets visant à limiter le développement palestinien, avec de profondes répercussions sur les communautés de Jérusalem-Est.
« Les plans sont établis sans aucune considération pour la réalité locale. Ils sont là pour limiter la croissance de la population et vont à l’encontre de la réalité », déclare à Middle East Eye Sari Kronish, coordinatrice de la politique du logement pour Jérusalem-Est au Bimkom (une ONG israélienne spécialisée dans le droit au développement urbain). Le résultat, explique-t-elle, c’est une communauté à l’étroit et défavorisée, avec des infrastructures médiocres et aucune marge de croissance.
« Cela signifie que les gens sont constamment aux prises avec les démolitions et vivent dans la crainte de celles-ci. Il n’y a pas un seul parc à Issawiya, les enfants doivent jouer dans la rue », ajoute-t-elle.
Selon une étude du Bimkom datant de 2012, les raisons de ce genre de projet se trouvent dans le schéma directeur « Jérusalem 2000 ». Esquissant la vision des autorités israéliennes pour toute la ville, ce document a pour « point de départ » un objectif démographique : la population juive doit rester une nette majorité, plus précisément 60 %, face aux perspectives de croissance de la population arabe.
Le plan de l’an 2000 n’a pas encore été officiellement approuvé et il ne comprend pas les détails du projet de parc sur le mont Scopus. Mais les observateurs estiment que la dimension démographique guide le développement de Jérusalem-Est, au détriment des habitants palestiniens qui se voient refuser l’espace nécessaire pour développer leurs propres communautés.
« Toutes les politiques d’aménagement de Jérusalem sont des dérivés de la politique démographique », affirme Sari Kronish à MEE. « En ce sens, l’aménagement de parcs nationaux dans un environnement urbain dense est destiné à entraver tout développement. »
En suspens
Aujourd’hui, Bimkom et plusieurs ONG travaillent avec les habitants d’Issawiya et d’al-Tur pour protester contre la saisie des terres de ces quartiers. L’année dernière, ils ont remporté un recours en justice contre les propositions des parcs nationaux : par conséquent, le sort de la zone est désormais en suspens et l’Autorité des parcs nationaux a l’interdiction de développer la zone selon ses plans.
Toutefois, ce que la situation actuelle n’empêche pas, ce sont les démolitions justifiées, officiellement, par l’absence de permis de construire. Sur le papier, l’absence de permis pour ces bâtiments signifie que les démolitions comme celles qui ont eu lieu mardi sont considérées comme relevant simplement de l’application de la loi, non comme des démolitions. Mais à Issawiya, cette application de la loi est exécutée de manière « agressive » par les autorités, selon Sari Kronish.
Les batailles juridiques offrent peu de réconfort aux habitants palestiniens.
« On est à l’étroit dans le village, alors on est venu ici pour prendre l’air, pour voir un autre horizon », déclare à MEE Rabeeha, une habitante d’Issawiya qui se baladait hier à la périphérie de son quartier, observant les dégâts des bulldozers. Se frayant un chemin à travers la poussière et la boue, les habitants sont résignés. « Nous ne pouvons que constater qu’ils ont tout rasé ici aussi. »
« Nous vivons dans une prison. Nous sommes entourés par une base militaire de deux côtés, par des colonies de l’autre et par la route ici », poursuit Abou Mohammed, le frère de Rabeeha. « Et maintenant, ils vont faire un parc de ce côté également. Nous sommes encerclés. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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