L’histoire d’un fugitif égyptien
Henawy – qui souhaite garder l’anonymat par mesure de sécurité – était autrefois étudiant à l’université et avait un bel avenir devant lui. Il n’aurait jamais pu imaginer les répercussions tragiques qu’aurait sur sa vie son activisme politique, lequel s’est traduit par sa participation aux manifestations après la prise du pouvoir par l’armée égyptienne en juillet 2013.
Henawy n’est que l’un des milliers de jeunes qui ont participé à des manifestations pendant le soulèvement qui a fait suite à l’éviction du premier président égyptien démocratiquement élu, Mohamed Morsi, et qui se heurtent aujourd’hui à un avenir sombre : se cacher et fuir la police.
Il a été condamné à quinze ans de prison par contumace, le forçant à fuir vers une province reculée d’Égypte. Henawy a été reconnu coupable d’avoir planifié et participé à l’assassinat de policiers – des accusations qu’il rejette catégoriquement.
Il a eu peu de contacts avec sa famille et ses anciens amis depuis sa condamnation. Henawy considère que sa situation n’est qu’un exemple supplémentaire de la vague de répression qui s’abat sur tous les activistes qui se sont engagés politiquement dans les manifestations anti-gouvernementales qui ont eu lieu après la dispersion des sit-in pro-Morsi organisés par les Frères musulmans en août 2013.
À l’époque, les Frères musulmans – le plus grand mouvement politique islamique en Égypte – avaient demandé à leurs membres de participer à des sit-in au Caire et à Gizeh. Voyant l’armée manœuvrer pour se hisser au pouvoir une fois de plus, leurs partisans, ainsi que des membres d’autres organisations religieuses, étaient venus en grand nombre sur les sites des deux sit-in.
Les protestations s’étaient élargies au-delà de simples sit-in et plusieurs milliers de personnes, menées par les Frères musulmans, étaient descendues dans les rues de la capitale et d’autres grands gouvernorats d’Égypte.
Le noyau de ces manifestations était constitué de jeunes hommes, généralement âgés de moins de 22 ans, lesquels étaient des membres des Frères musulmans, des islamistes affiliés à d’autres groupes, ou des révolutionnaires mécontents de voir l’armée en passe de dominer la scène en Égypte.
Dix-huit mois plus tard, les manifestations qui étaient autrefois une réalité quotidienne ont aujourd’hui quasiment cessé, même dans les grandes villes et les quartiers, car la plupart des organisateurs ont été jetés en prison, victimes de disparition forcée, tués ou ont fui. Les rares qui restent sont en fuite et vivent désormais comme des fugitifs.
Henawy avait rejoint depuis peu les Frères musulmans lorsqu’il a commencé à prendre part aux manifestations. Il explique qu’il était impossible de prédire ce qui allait se passer.
« J’attendais la publication de mes résultats scolaires quand mon père a annoncé qu’il allait place Rabaa el-Adaouïa ; j’avais à peine 18 ans à l’époque. J’étais très impatient d’y aller et de participer moi aussi. J’étais plein d’espoir, je croyais à la possibilité réelle d’une Égypte islamique, puissante et unie d’où partirait l’élan pour libérer la Palestine. »
Les jours qu’a passés Henawy place Rabaa el-Adaouïa pendant le sit-in sont encore vivaces dans sa mémoire, mais le choc causé par ce qu’il a vu au cours de la descente de police qui a dispersé le sit-in en tuant des centaines de personnes est difficile à surmonter.
« Au cours des six mois qui ont suivi la dispersion, je m’occupais autant que je le pouvais en participant à des manifestations qui se tenaient presque tous les jours dans mon quartier. »
Le quartier de Henawy était un quartier densément peuplé de la classe moyenne inférieure où les Frères musulmans étaient très présents. De ce fait, les manifestations ont perduré pendant un long moment.
C’était à cette époque que Henawy a commencé à jouer un rôle de premier plan dans les manifestations. C’était à lui que revenait la tâche de lancer des slogans au groupe et d’aider à coordonner les jeunes hommes lors de la manifestation.
« Je ne regretterai jamais ce que j’ai fait ces deux dernières années, mais si je pouvais remonter dans le temps, sachant ce que je sais maintenant, je n’assumerais probablement aucune responsabilité. Prendre des responsabilités, voilà ce qui a braqué les yeux [de la police] sur moi. »
Vers la fin du mois de juin 2014, craignant que des manifestations reprennent à l’occasion de l’anniversaire de la contre-révolution, une grande vague d’arrestations a commencé dans le quartier de Henawy. Un avocat l’a appelé et lui a dit de partir. Apparemment, l’avocat avait appris d’un officier que le nom de Henawy figurait dans une longue liste de noms de « suspects » et que la police avait prévu de perquisitionner son domicile cette nuit-là.
« J’ai immédiatement quitté ma maison et je suis allé dans un appartement appartenant à ma mère dans un quartier voisin. Il se trouve que le tuyau de mon ami était exact et ma maison a été perquisitionnée plus tard ce soir-là.
« Les policiers ont menacé mon père de me tuer si jamais je revenais. »
Craignant pour la sécurité de son fils, le père de Henawy a ordonné à son fils de ne pas revenir dans le quartier, quelles que soient les circonstances.
« Imaginez un officier debout dans votre entrée, son fusil à la main, vous avertissant qu’il tuerait votre fils si jamais il le voyait. Je ne m’étais jamais senti aussi impuissant de ma vie », a raconté le père de Henawy à MEE.
Henawy s’est donc tenu à l’écart du quartier, ne participant qu’aux manifestations du vendredi et essayant de se concentrer davantage sur son éducation, une tâche particulièrement éprouvante mais importante vu qu’il avait raté sa première année à l’université, étant trop occupé et distrait par le soulèvement.
Malheureusement pour Henawy, son objectif de se recentrer sur ses études ne devait pas se réaliser. Alors que commençait l’année scolaire, les forces de police ont lancé une vaste campagne d’arrestations à l’université al-Azhar. Le nom de Henawy aurait été mentionné à plusieurs reprises tandis que la police arrêtait les étudiants. Henawy a finalement été exclu de l’université pour deux ans.
Cela non plus n’a pas marqué la fin de ses ennuis : Henawy a été inscrit sur une liste de personnes recherchées dans son quartier. Il était dorénavant ouvertement accusé d’être un membre des Frères musulmans désormais interdits et suspecté d’avoir commis plusieurs crimes, y compris d’avoir planifié et participé à l’assassinat d’un officier de police. Henawy a été condamné à 15 ans de prison par contumace après avoir été accusé du meurtre du fils de l’officier de police.
« La personne qu’ils me reprochent d’avoir tuée, le fils du policier, est en fait morte dans un accident de voiture », insiste Henawy, clamant toujours son innocence.
Peu de temps après son exclusion de l’université, Henawy a quitté Le Caire. Il vit actuellement dans un gouvernorat reculé, dans un appartement qui appartenait à un membre des Frères musulmans, lequel vit maintenant en Turquie. Il ne peut pas vivre avec sa famille ou prendre des nouvelles de ses amis, et encore moins poursuivre ses études.
« Je ne peux pas aller au Caire après 22 heures en raison des barrages de police. Je n’ai vu ma mère et ma sœur que deux fois l’année dernière, et la seule façon pour moi de voir mes amis qui ont échappé à la prison comme moi, c’est lors d’occasions sociales comme les mariages », a-t-il dit.
« Je n’ai aucune idée de ce qui se passera quand j’essayerai de retourner à l’université dans un an. Si quelqu’un vérifie ma carte d’identité, je serai immédiatement envoyé en prison. D’un autre côté, je dois au moins tenter de retourner à l’université puisque je n’ai pas d’autre choix. Que puis-je faire d’autre ? Chaque jour, je prie Allah de remédier à cette situation intolérable. »
Ahmed Abdul Hakim*, un chercheur travaillant au Conseil national pour les droits de l’homme, a déclaré à MEE : « Henawy n’est qu’un cas parmi des milliers d’autres jeunes islamistes, qui vivent aussi en cavale en raison de leur participation aux manifestations anti-gouvernementales.
« Comme me l’ont confié nombre d’entre eux, ils espèrent désormais être réintégrés dans la société, mais le gouvernement s’y oppose. Au début de cette année universitaire, j’ai suivi cinq cas de disparition forcée concernant des étudiants inscrits à l’université Ain-Shams, deux d’entre eux étaient à l’université lorsqu’ils ont été arrêtés. Bien qu’il n’y ait aucune protestation en ce moment dans les universités, les policiers s’en prennent toujours vivement aux étudiants. »
Abdul Hakim estime que le gouvernement a pris la pire décision possible de sa lutte contre « l’extrémisme ». « Quand il y avait des manifestations, les jeunes hommes avaient au moins une façon d’exprimer leur frustration et leur désapprobation croissantes. Aujourd’hui, sans les manifestations, de plus en plus de jeunes hommes mécontents sont facilement attirés par des groupes radicaux et extrêmes, et honnêtement, peut-on les en blâmer ? »
* Le nom a été changé pour protéger l’identité de la personne interviewée.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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