« L’horreur totale » : des survivants de la répression à Kerbala décrivent le chaos et l’effusion de sang
Des Irakiens pris au piège d’une opération de répression meurtrière, lundi, dans la ville sainte de Kerbala, ont décrit des scènes d’« horreur totale » dans lesquelles des forces de sécurité masquées utilisaient des munitions réelles, des matraques électriques et du gaz lacrymogène contre des manifestants en panique.
Au moins dix-huit personnes ont été tuées et environ 800 autres ont été blessées dans l’assaut, selon la Commission irakienne des droits de l’homme, un organisme semi-officiel.
Mardi, Amnesty International a condamné les violences, accusant les forces irakiennes d’avoir ouvert le feu « de manière irresponsable et illégale ». L’organisation a dressé un bilan de quatorze morts et de plus de 100 blessés.
Dans le même temps, un médecin de l’hôpital al-Hussein, le principal établissement hospitalier de la ville, a également averti que des membres présumés des forces de sécurité recueillaient des informations sur les personnes blessées qui étaient amenées à l’hôpital.
Traduction : « Situation préoccupante à Kerbala, où les manifestants sont la cible de balles réelles et le nombre de blessés/de morts n’est pas encore connu »
Nawras Adnan, un activiste local âgé de 38 ans qui a participé à la manifestation antigouvernementale, indique que des hommes armés ont ouvert le feu sur des personnes alors qu’elles tentaient de fuir des forces de sécurité non identifiées qui recouraient à la violence pour disperser la foule.
Adnan explique à Middle East Eye que la répression a commencé lorsque des paramilitaires masqués et vêtus de noir sont arrivés sur le site de la manifestation, dans le centre de Kerbala, avec des voitures civiles.
« Ils ont détruit les tentes du sit-in et arrêté de nombreux manifestants. Ils ont dispersé les manifestants avec des matraques électriques et du gaz lacrymogène. Une fois que les manifestants ont commencé à courir, ils ont essuyé des tirs à balles réelles », raconte-t-il.
Adnan affirme avoir vu une personne être tuée sur le coup et des centaines d’autres être blessées. Sur des images publiées sur les réseaux sociaux, on voit des personnes fuir le site de la manifestation en courant alors que des coups de feu retentissent en fond.
Collecte d’informations
Abbas Hussein, un autre manifestant, indique que les violences ont commencé juste après 20 h et accuse aussi les forces de sécurité d’avoir ciblé des manifestants non armés avec des balles réelles.
« Au bout d’un moment, des miliciens en noir se sont intégrés aux manifestants et ont commencé à récolter des données sur nous, à recueillir des informations sur les manifestants pour les cibler ou les arrêter ultérieurement », affirme-t-il.
Ali al-Baroon, un ami de Mustafa Faris Fadhil, abattu au cours de l’attaque, se remémore l’enthousiasme de l’homme de 23 ans à l’idée de prendre part aux protestations.
« Mustafa était mon ami depuis l’enfance », confie à MEE l’homme de 22 ans à propos de Fadhil, enterré mardi après-midi.
« Je l’ai vu pour la dernière fois quelques heures avant qu’il ne soit tué. Je lui ai demandé : “Où vas-tu, Mustafa ?”. Il m’a répondu : “Manifester et réclamer mes droits”. »
Baroon indique que Fadhil a été touché à deux reprises alors qu’il se trouvait sur la place où les manifestants étaient rassemblés.
« Ils lui ont tiré deux balles, une dans la tête et une dans l’épaule. Un chauffeur de tuk-tuk l’a conduit à l’hôpital al-Hussein, mais il est mort avant d’arriver. »
Traduction : « Le père d’un des martyrs à #Kerbala parle de ce qui s’est passé la nuit dernière »
Fadhil était marié et père de deux enfants et travaillait comme homme d’entretien, ajoute-t-il.
« Je ne m’attendais pas à ce qu’il meure ainsi. Mustafa était un jeune apprécié et il avait très bon cœur. Il n’a jamais blessé personne dans sa vie. Sa famille et ses amis sont sous le choc. »
Sur une vidéo postée sur Twitter, on voit le père de Fadhil pleurer son fils et reprocher sa mort aux forces de sécurité.
« Il ne faisait que porter le drapeau irakien, rien de plus. Pourquoi ont-ils tué mon fils Mustafa de cette manière criminelle ? », a-t-il lancé.
Une « campagne d’assassinat et de liquidation »
Les forces de sécurité ont également été accusées d’avoir arrêté des journalistes pour perturber la couverture des manifestations, notamment Haider Hadi, correspondant d’I-News, Tariq al-Tarfi, correspondant d’Al-Rasheed TV, Mohammad Abdul Hussein al-Asadi, cameraman d’Al-Ittijah TV et Mohammad al-Kaab, poète. Tous ont été relâchés depuis.
Un médecin travaillant à l’hôpital al-Hussein, souhaitant conserver l’anonymat, explique que l’hôpital s’occupe quotidiennement de manifestants blessés depuis le début des manifestations, la plupart des cas étant liés à l’inhalation de gaz lacrymogène.
Il ajoute que l’hôpital a également soigné des membres des forces de sécurité blessés.
« D’autres ont été gravement blessés par des balles réelles ou des matraques électriques », précise-t-il. « Il y a une pénurie de médicaments à l’hôpital. Parfois, les membres du personnel collectent eux-mêmes de l’argent pour acheter des médicaments pour les patients. »
Le médecin accuse les forces de sécurité de mener une « campagne d’assassinat et de liquidation » contre les manifestants.
« Même les blessés qui se présentent à l’hôpital voient toutes leurs informations personnelles être relevées à leur arrivée par des responsables de la sécurité non identifiés. J’ai demandé à certains d’entre eux qui ils étaient. L’un d’eux m’a répondu qu’il était des services de renseignement, tandis qu’un autre a prétendu qu’il était de la Commission des droits de l’homme », témoigne-t-il.
« Je ne pense pas qu’ils étaient ce qu’ils prétendaient être. Je pense qu’ils sont avec les milices qui veulent collecter des informations sur les gens pour les attaquer ensuite. »
Une indignation généralisée
Les pertes subies lors des manifestations ont provoqué une indignation généralisée, y compris parmi les responsables politiques. Mercredi, l’éminent ecclésiastique chiite Moqtada al-Sadr a réclamé la démission du Premier ministre Adel Abdel-Mahdi, dont le gouvernement est confronté à des manifestations à Bagdad et dans d’autres villes, à cause des violences.
« Si le Premier ministre Adel Abdel-Mahdi ne démissionne pas, l’Irak pourrait se transformer en une nouvelle Syrie ou un nouveau Yémen », a déclaré Sadr sur Twitter.
En tant que chef de la plus grande faction au sein du Parlement irakien et puisqu’il a fait partie de ceux qui ont initialement proposé Abdel-Mahdi pour le poste de Premier ministre, sa dénonciation aura probablement un impact.
« [La démission du Premier ministre] n’est plus qu’une question de temps »
- Diyari Salih, analyste
« Cela signifie qu’Abdel-Mahdi est désormais pratiquement évincé du pouvoir », indique à MEE Diyari Salih, spécialiste en géographie politique à l’université al-Mustansiriya, en Irak. « Sa démission n’est plus qu’une question de temps. »
Alors que l’identité des forces de sécurité responsables de l’attaque de lundi n’a toujours pas été confirmée, Nawras Adnan a accusé le Premier ministre.
« Abdel-Mahdi a envoyé des forces à Kerbala pour réprimer les manifestants », soutient Adnan. « Je tiens à dire à Abdel-Mahdi que nous ne cesserons jamais de manifester tant que tout le gouvernement n’aura pas démissionné et ne nous aura pas présenté les snipers qui ont tué les manifestants.
« Nous parlerons après », a-t-il ajouté.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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