Un an après l’explosion, que deviennent les débris et déchets du port de Beyrouth ?
Ce 4 août 2020, le Liban s’apprête à subir l’une des pires catastrophes qu’il ait connues ces dernières années. Vers 18 heures, l’incendie d’un hangar contenant – officiellement – quelque 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium provoque une explosion qui ravage le port de Beyrouth et les quartiers d’habitation de la zone. Bilan : au moins 210 personnes sont tuées et plus de 6 500 autres blessées, dont certaines dans un état très grave. Environ 300 000 personnes se retrouvent sans abri.
Aux conséquences humaines extrêmement lourdes viennent s’ajouter des dégâts matériels de grande ampleur. Fin octobre, un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) remis aux autorités libanaises faisait état de plus d’un million de tonnes de déchets de construction, de plus de 14 000 tonnes de verre et d’environ 204 000 mètres cubes de débris de toutes sortes, répartis sur l’ensemble des zones touchées.
C’est le coup de grâce pour le pays du Cèdre, déjà très affecté par une crise interne minant son économie depuis octobre 2019, puis par la crise sanitaire mondiale du COVID-19.
Aux abonnés quasi absents, le gouvernement libanais est cependant rapidement épaulé, voire remplacé, par des associations, des ONG et autres organisations internationales. Celles-ci s’activent pour reloger les sinistrés et déblayer les rues.
Fermé au public, le port ne bénéficie que peu de cet élan de solidarité, et les amoncellements de décombres se figent avec le temps. Un an après, où en sommes-nous ?
Collecter et recycler les matériaux de base
« La plupart des débris provenant des habitations ont été récupérés et entreposés à Bakalian, une zone attenante au port, en attendant d’être un jour traités », indique à Middle East Eye un responsable du PNUD au Liban, souhaitant rester anonyme.
« Dans l’enceinte du port par contre, absolument aucune décision n’a encore été prise et rien n’a bougé », déplore-t-il. Environ 30 000 tonnes de déchets en tous genres – ferraille, carcasses et matériaux de construction – s’amoncelleraient ainsi depuis août 2020.
« Dans l’enceinte du port […], absolument aucune décision n’a encore été prise et rien n’a bougé »
- Un responsable du PNUD
Rien n’a changé… pour l’instant. En janvier 2021, le gouvernement libanais a signé un contrat avec Recygroup, un groupe français basé dans la région de Lille et spécialisé dans la gestion des déchets. D’un montant de plus de 800 000 euros, entièrement financé par la France, l’accord implique la réalisation d’une étude sur le traitement et la valorisation des débris situés dans le port.
« La première étape consiste à déterminer quels types de déchets se trouvent sur place, et dans quelles quantités », explique à MEE Jérémy Coudrais, président et co-fondateur de Recygroup. « Il faudra ensuite trouver comment les valoriser le plus efficacement, notamment en recyclant et réutilisant ceux qui peuvent l’être. »
Pour cela, le groupe français espère la formation de boucles d’économie circulaire locales. Préexistantes ou crées pour l’occasion, des entreprises libanaises se chargeront de collecter et de recycler les déchets, avant de revendre le tout à d’autres sociétés qui pourront s’en resservir, notamment dans le secteur du bâtiment et de la construction.
Un projet ambitieux, dont les résultats finaux doivent être présentés aux autorités libanaises d’ici la fin du mois d’août.
En mai 2021, Recygroup a également obtenu un deuxième contrat concernant les silos du port de Beyrouth. Leur explosion a entraîné le déversement d’environ 30 000 tonnes de grains qui pourrissent désormais à même le sol.
« Il va d’abord falloir hygiéniser le grain, c’est-à-dire se débarrasser des rats et des charançons. Ensuite viendra le criblage, une opération visant à retirer les déchets minéraux de la fraction compostable », ajoute Jérémy Coudrais.
Comme pour le premier contrat, l’accent sera mis sur l’emploi local, avec si nécessaire des formations pour le personnel libanais. Une installation de criblage a été inaugurée au port de Beyrouth le 2 juillet. Une nouvelle fois financé par la France à hauteur de 1,4 million d’euros, le projet doit prendre fin d’ici l’hiver 2021.
Les déchets hautement toxiques ont quitté Beyrouth
L’explosion du 4 août a permis de mettre au jour la présence de nombreuses autres matières hautement dangereuses stockées dans le port, sans que personne ne sache vraiment depuis combien de temps.
Ainsi, en novembre 2020, le Liban a signé un contrat avec l’entreprise allemande Combi Lift – déjà présente sur le site pour le retrait d’une carcasse de navire – pour le traitement de ces déchets toxiques.
La société a découvert la présence de 59 conteneurs entreposés à ciel ouvert et sans aucune mesure de sécurité, comme le raconte le 9 février 2021 le média libanais L’Orient-Le jour. À l’intérieur, diverses substances corrosives, voire inflammables et explosives, comme du bromométhane, un pesticide interdit en Europe depuis 2011, du méthanol, de l’hydroxyde de sodium et différents autres acides. De quoi, selon les experts sur place, provoquer une nouvelle explosion dévastatrice.
D’un montant total de 3,6 millions de dollars, le contrat a été financé par le Liban à hauteur de 2 millions, le reste étant assuré par l’entreprise allemande elle-même.
Alors qu’ils étaient prêts depuis février, les conteneurs n’ont quitté Beyrouth – direction l’Allemagne pour y être pris en charge – que le 6 mai, la faute au gouvernement libanais, qui a mis plusieurs mois de plus que prévu pour payer Combi Lift.
Traduction : « Jetez un dernier coup d’œil aux 59 conteneurs de matières dangereuses quittant Beyrouth. Le capitaine Oleg et son équipage arriveront à Wilhelmshaven dans environ 10 jours. Il faudra des semaines pour détruire ces produits chimiques entassés au port de Beyrouth depuis des décennies. »
« Cela a pris du temps, mais c’est une excellente nouvelle que ces substances aient quitté Beyrouth », commente le responsable du PNUD. « Cela ne veut cependant pas dire que tous les déchets toxiques ou contaminés ont disparu. »
Contacté par Middle East Eye, Combi Lift n’a pas souhaité s’exprimer. De leur côté, ni le ministère de l’Économie libanais, ni celui des Transports n’ont donné suite.
La problématique de l’amiante
Reste un problème de taille : l’amiante. En théorie, la totalité du minéral fibreux trouvé dans les zones d’habitation a été envoyée à Bakalian, avec le reste des débris. « Bien qu’on ne puisse pas encore la quantifier, la majeure partie de l’amiante se trouve encore dans le port, sans, une fois de plus, que rien n’ait été décidé pour la prendre en charge », semble se désoler le responsable du PNUD.
« Nous espérons vraiment qu’une fois notre travail terminé, un véritable marché émergera, basé sur le recyclage et la valorisation »
- Jérémy Coudrais, président de Recygroup
Les Nations unies envisagent plusieurs solutions. La première consiste en la collecte de tous les matériaux contaminés pour les envoyer dans un pays à même de pouvoir les prendre en charge.
La seconde implique la création d’une décharge spéciale. Rendue hermétique au vent et à la pluie par exemple, elle permettrait de contenir l’amiante pour une durée indéfinie.
La dernière propose l’intervention d’une entreprise spécialisée dans la décontamination.
« Il s’agit d’une tâche compliquée et risquée. De nombreuses précautions humaines et environnementales doivent être prises au préalable, d’autant plus que l’amiante devra être déplacée vers une zone de traitement adéquate », ajoute le responsable du PNUD.
« Chacune de ces options nécessite beaucoup d’argent… encore faut-il que le gouvernement libanais prenne une décision. »
Une nouvelle fois, la solution pourrait venir de Recygroup. Dans son étude, le Français prévoit d’identifier et de quantifier tous les débris contaminés à l’amiante, avant de proposer un plan pour s’en débarrasser.
« À chaque fois que l’on détecte un morceau de fibre, on le note dans le rapport », détaille Jérémy Coudrais. « Le tout, rassemblé, pourra être placé dans des alvéoles de stockage totalement hermétiques, avant d’être pris en charge par une entreprise de notre groupe, habilitée à traiter l’amiante. »
L’objectif serait à nouveau de trouver l’option la plus efficace, d’un point de vue économique et sécuritaire. Les matériaux seraient par exemple décontaminés sur place. Les envoyer en France serait, selon Recygroup, beaucoup trop coûteux.
« Selon le cours du marché et les quantités récupérées, la ferraille présente dans le port pourrait, en étant vendue à des sociétés libanaises, financer les opérations de décontamination », suggère Jérémy Coudrais. « Nous espérons vraiment qu’une fois notre travail terminé, un véritable marché émergera, basé sur le recyclage et la valorisation. » Affaire à suivre dans les prochains mois.
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