Choléra : le Liban a gagné une bataille, mais pas la guerre
Sur les collines de Bebnine, des serres s’étendent face à la mer. Le long de la route délabrée, des campements de bâches blanches sont parsemés un peu partout, signalant la présence de réfugiés syriens. La plupart travaillent dans les champs alentours, gagnant moins d’un euro par jour et vivant dans des conditions délétères.
Le Akkar, gouvernorat le plus au nord du Liban et frontalier de la Syrie, est connu comme l’un des plus pauvres et abandonnés du pays. Sans coïncidence, c’est ici qu’une sévère épidémie de choléra a fait irruption en octobre dernier. Elle s’y est répandue depuis la Syrie, où elle a fait 105 000 infections et 104 décès.
« Toute notre famille est tombée malade, et notre voisin a failli mourir », se souvient Hala Abdelkarim al-Hay, une syrienne réfugiée vivant à Bebnine. « J’ai été infectée en accompagnant un proche à l’hôpital, j’ai fini par y rester trois jours moi-même avec de graves symptômes », raconte à Middle East Eye la femme originaire d’Alep.
« Le choléra semble avoir disparu et plus personne n’est tombé malade, Dieu merci », souffle-t-elle, soulagée.
L’épidémie s’est résorbée après un pic en octobre-novembre dernier. Le ministère de la Santé décompte plus de 7 000 contaminations accumulées et 23 décès depuis le début de l’épidémie – avec toujours une dizaine de cas quotidiens à ce jour à l’échelle nationale.
Un système à bout de souffle sauvé par l’aide internationale
Diarrhées, vomissements : la bactérie du choléra peut causer une déshydratation totale en quelques heures, jusqu’à la mort. Si ses symptômes sont facilement guérissables avec des solutions de réhydratation, elle se propage à une vitesse quasi exponentielle dans de l’eau contaminée.
« La situation était horrible : on a vite compris que toute la région était infectée », se souvient Suzanne Eid, responsable du pôle choléra de la clinique al-Iman, à Bebnine. Cette petite ville de 20 000 habitants s’était retrouvée à l’épicentre de l’épidémie.
« Les patients venaient de partout, nous traitions des centaines de cas chaque jour », raconte-t-elle à MEE.
« Sans les ONG, le Liban n’aurait pu combattre l’épidémie. […] On manque de tout : matériel, argent, motivation… »
- Georges Hourani, urgentiste à l’hôpital de Halba
Le ministre de la Santé, Firas Abiad, avait lui-même décrié « un déclin effrayant des services de santé » dans le Akkar et appelé la communauté internationale à l’aide.
« On lui est très reconnaissant d’avoir agi vite et de manière décisive, on a rapidement enrayé l’épidémie », se réjouit Mohammad Khadreen, directeur de l’hôpital public de Halba, capitale du Akkar, qui ne recense plus aucun cas depuis des semaines.
Des aides médicales internationales ont afflué : à lui tout seul, l’UNICEF a distribué plus de 250 000 litres de diesel pour faire fonctionner les stations d’eau. Les ONG mobilisées ont vacciné plus d’un million de personnes et déversé des centaines de milliers de doses de chlore pour purifier l’eau du robinet, des puits et des canalisations.
« Sans les ONG, le Liban n’aurait pu combattre l’épidémie », estime Georges Hourani, urgentiste à l’hôpital de Halba.
Empêtré dans l’une des plus graves crises économiques que le monde ait connues depuis deux siècles, le Liban subit une inflation à plusieurs chiffes, causée par l’effondrement du système bancaire néolibéral et la corruption des élites. La livre libanaise a perdu presque 98 % de sa valeur depuis 2019 et le taux de pauvreté atteint 82 % au niveau national… et 92 % dans le Akkar.
« On manque de tout : matériel, argent, motivation… Mais on ne peut pas faire de grève ni fermer l’hôpital, qui est le seul service public de la région », critique Georges Hourani.
Au Liban, l’eau n’est pas un service public
Car, en fin de compte, ce n’est pas tant la crise économique que l’abandon du Liban-Nord par l’État qui a propagé l’épidémie. En cause : l’approvisionnement en eau potable particulièrement dégradée dans la région. En l’absence de régulation étatique, des multitudes de fournisseurs se font concurrence.
« À cause de la crise, beaucoup de gens achètent de l’eau potable chez des fournisseurs privés, moins chers mais pas forcément fiables, ou la prennent directement dans des puits contaminés », explique Khaled Obeid, PDG de l’Établissement public des Eaux du Liban-Nord (EALN), chargé en théorie d’assurer le réseau en eau dans le Akkar et Tripoli.
« Dans les faits, seulement 50 % des habitants du Akkar sont abonnés à notre réseau, car beaucoup n’ont pas les moyens ou vivent trop loin des infrastructures existantes », explique-t-il. « L’eau, au Liban, n’est pas un service public », déplore-t-il.
Le chaos des fournisseurs d’eau est propice à la corruption et aux abus. « Tout le monde fait ce qu’il veut : nos installations à Bebnine ont été volées ou détruites, on a renoncé à y établir notre réseau », se désole Khaled Obeid.
Même son de cloche du côté de l’UNICEF, qui gère l’eau des camps de réfugiés du Akkar. « Les puits installés par nos donateurs à Bebnine ont été vandalisés plusieurs fois au cours des trois dernières années, poussant la population à se tourner vers des sources d’eau non protégées », affirme Maya Outayek, porte-parole, par email.
L’EALN ne dispose même pas du gasoil nécessaire pour faire tourner ses machines, et dépend des ONG. En cause : la corruption et le système néolibéral mis en place par l’État libanais, qui n’a jamais assuré une alimentation électrique continue du pays. Depuis la crise, il ne fournit que deux à quatre heures d’électricité par jour.
« L’électricité de l’État est l’une des raisons principales du déclenchement de l’épidémie, et son rétablissement par les ONG a été essentiel dans la lutte contre le choléra », confirme Suzanne Eid, à la clinique de Bebnine.
« Le choléra, ce n’est pas le pire de ce que nous vivons »
Autre problème majeur : la pollution et le déversement de déchets dans l’eau. Alors que la quasi-totalité des cours d’eau du Akkar sont contaminés par la pollution industrielle ou des déchets, la plupart des stations d’épuration étaient hors service l’an dernier.
« Nos toilettes sont un trou dans le sol, qui s’évacue directement dans les champs aux alentours », s’indigne Rakan Hussein Khamis, réfugié syrien habitant le camp 052 près de Bebnine.
« Nous avons souvent fait la demande d’une meilleure infrastructure, mais n’avons rien obtenu », affirme-t-il à MEE. Les déchets s’amoncellent en-dehors de son camp en l’absence de ramassage.
« Nous avons particulièrement peur du rotavirus, qui est similaire au choléra, et qui se répand dans les camps en ce moment »
- Suzanne Eid, clinique al-Iman
« Le choléra, ce n’est pas le pire de ce que nous vivons », assure le vieil homme au visage creusé. Dans son camp, une fillette de 12 ans souffrant de paralysie a perdu la vie après avoir contracté la maladie, en l’absence de soins donnés par des ONG ou l’État.
Dans toute la région, des réfugiés et habitants affirment souffrir de nombreux maux liés à la pollution : irritations de la peau, maladies de type gastroentérite, hépatite A, etc.
« Nous avons particulièrement peur du rotavirus, qui est similaire au choléra, et qui se répand dans les camps en ce moment », avertit Suzanne Eid.
La clinique Iman garde encore quinze lits disponibles pour le choléra, au cas où l’épidémie repartirait de plus belle. « Les autorités pensent qu’il pourrait y avoir une recrudescence les prochains mois. On a entendu qu’il y avait de nouveaux cas », chuchote-t-elle, inquiète.
Avec Hussein al-Freij (fixeur) et Rayanne Tawil (traductrice).
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