En Libye, longtemps cible des intégristes, les soufis sortent de l’ombre
Les murs sont par endroit éventrés, le minaret criblé de balles et certains esprits toujours traumatisés, mais la vie reprend son cours dans la zaouïa al-Asmariya, le plus important sanctuaire soufi de Libye, partiellement détruit par des islamistes radicaux.
Une poignée d’élèves assis en cercle retranscrivent sur des tablettes en bois les versets coraniques dictés par leur enseignant. Dans une salle adjacente à la madrassa (école d’enseignement coranique), d’autres consultent quelques-uns des vieux manuscrits sur la théologie ou le droit musulman que compte la bibliothèque.
Tous se lèvent quand retentit l’appel à la prière pour rejoindre la mosquée, située dans le même édifice religieux, en passant par une vaste cour entourée d’arcades de céramique moucheté.
Cette zaouïa – nom arabe désignant un lieu soufi de prières, de rassemblements et d’enseignement religieux – a été fondée au XVIe siècle par le théologien soufi Abdessalem al-Asmar.
L’édifice abrite aussi une université, un internat et le mausolée de son fondateur.
Située à Zliten, à 160 km à l’est de Tripoli, « elle est pour la Libye ce qu’est l’université al-Azhar pour l’Égypte, al-Quaraouiyine pour le Maroc ou la mosquée Zitouna pour la Tunisie », trois prestigieux sites musulmans en Afrique du Nord, résume Fathi al-Zirkhani, chercheur et historien au sein de ce sanctuaire.
C’est aussi un haut-lieu du soufisme en Libye, un courant mystique et ésotérique de l’islam qui tranche avec le formalisme des salafistes, wahhabites et autres tenants d’un islam rigoriste qui considèrent le culte des saints comme une hérésie.
Mausolées attaquées
Mais malgré la longue histoire du soufisme à travers l’Afrique du Nord, le plongeon de la Libye dans le chaos après l’éviction du dictateur Mouammar Kadhafi chassé du pouvoir par une révolte en 2011, a laissé le champ libre aux milices, dont certaines sont profondément hostiles aux « hérétiques » soufis.
Après le soulèvement de 2011, « les courants idéologiques dormants, nourris de l’étranger, ont profité du vide sécuritaire pour affaiblir les zaouïas », raconte Fathi al-Zirkhani.
En août 2012, des dizaines d’intégristes armés font exploser une partie du sanctuaire. La tombe de son fondateur est profanée, des ouvrages sont pillés ou brûlés.
D’autres mausolées en Libye sont détruits à coups de pelleteuses et de marteaux-piqueurs. Une violence qui n’est pas propre à ce pays : de l’Irak à l’Égypte en passant par le Pakistan, plusieurs lieux soufis ont été la cible d’attaques ces dernières années.
L’histoire de la zaouïa est faite de turbulences au fil des décennies. Mouammar Kadhafi a combattu les adeptes du soufisme dans leurs lieux de rassemblement et « infiltré la zaouïa en y plaçant ses services secrets, instaurant un climat de peur et de méfiance », raconte un responsable des lieux ayant requis l’anonymat.
« Kadhafi a choisi de diviser les soufis pour mieux les contrôler », résume-t-il.
Fathi al-Zirkhani confirme cette « mainmise de l’ancien régime dès 1986, avant de desserrer l’étau au milieu des années 1990, ce qui a permis aux zaouïas de retrouver leur autonomie ».
Aujourd’hui, des travaux de rénovation sont en cours à la zaouïa de Zliten. Un échafaudage entoure le tombeau de son fondateur, recouvert d’une étoffe de soie dorée et de couleur verte. Des artisans s’affairent à restaurer les carreaux de terre cuite et à reconstruire les parties détruites.
À la bibliothèque, de vieux manuscrits sont rongés par la poussière. « Nous n’avons ni les moyens, ni le savoir-faire pour les restaurer. Nous avons besoin de l’aide de l’UNESCO et des institutions européennes », lance Fathi al-Zirkhani.
La zaouïa a rouvert ses portes en 2018, dans la plus grande discrétion et les soufis commencent peu à peu à sortir de l’ombre. Comme en octobre dernier à Tripoli, quand ils ont célébré dans les rues de la médina la commémoration de la naissance du prophète de l’islam, Mohammed.
Les auteurs des attaques de Zliten n’ont, quant à eux jamais été inquiétés. Qui sont-ils ? « Des extrémistes connus de l’État », élude Fathi al-Zirkhani.
Un autre responsable du sanctuaire est plus explicite : « Des salafistes et wahhabites qui touchaient des salaires des ministères de l’Intérieur et de la Défense », accuse celui qui a dû fuir et vivre en cachette à Tripoli pendant six mois. « Mais leur projet a échoué. »
Par Hamza Mekouar
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