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Une alliance entre islamistes et soufis peut-elle refaçonner le Moyen-Orient ?

Un rapprochement pourrait orienter la sphère publique islamique vers la lutte contre l’autoritarisme
Des soufis égyptiens célèbrent le Nouvel An islamique au Caire en 2018 (AFP)

En avril dernier, d’éminents cheikhs soufis du monde entier se sont réunis à Istanbul pour une conférence tenue en présence de dirigeants islamistes palestiniens et turcs.

Au premier abord, les deux groupes pourraient apparaître comme de curieux compagnons de route étant donné le soutien apporté par certains cheikhs soufis aux régimes autoritaires qui mènent la contre-révolution contre le Printemps arabe et les islamistes.

Cependant, il semble que les violations des droits de l’homme commises par les régimes autoritaires arabes – et la légitimité religieuse que certains cheikhs leur ont conférée – aient ouvert la voie à un nouveau discours.

Ceci est dû, d’une part, au sentiment d’aliénation croissant que ressentent les jeunes soufis face à la légitimation des gouvernants autoritaires par leurs responsables religieux et, d’autre part, à la prise de conscience par les islamistes de l’importance de renforcer les liens avec les soufis.

Ces efforts visant à renforcer la coopération entre islamistes et soufis pour lutter contre l’autoritarisme porteront-ils leurs fruits ?

Dans le contexte politique post-printemps arabe, la contre-révolution, dirigée par les Émirats arabes unis et l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi, a été soutenue par certains soufis, dont le discours religieux a légitimé la répression contre les islamistes.

Ceci est le résultat d’une politique de longue haleine visant à impliquer les soufis dans la lutte contre l’influence des islamistes. Remontant à l’époque de Nasser en Égypte, celle-ci a gagné du terrain aux Émirats arabes unis avec le soutien apporté à l’« islam modéré » dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme » post-11 septembre 2001.

Grâce à un financement généreux de ses activités de lutte contre les islamistes, le réseau soufi aligné sur les régimes autoritaires a prospéré par le biais d’institutions telles que le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes, le Conseil musulman des aînés, le Secrétariat général des autorités de la Fatwa et la Fondation Tabah.

Une nouvelle vague de jeunes chercheurs éprouvant de la sympathie pour le soufisme ont dénoncé publiquement les problèmes éthiques posés par le silence de certains cheikhs soufis face aux injustices flagrantes perpétrées par les régimes répressifs. En Égypte, de jeunes islamistes et soufis ont créé de nouveaux centres de savoir indépendants des institutions étatiques.

L’union fait la force

J’ai eu l’occasion de discuter avec des soufis occidentaux et turcs très critiques à l’égard de l’alliance de leurs pairs soufis avec des régimes meurtriers.

Certains ont évoqué le cas d’un cheikh soufi arabe, apolitique, qui s’est montré de plus en plus mal à l’aise vis-à-vis des prises de position de l’un de ses éminents étudiants, lequel a mis en péril, selon lui, la crédibilité de la doctrine soufie en s’investissant de manière excessive dans le soutien à des régimes autoritaires.

Afin de favoriser la coopération, les islamistes ont tendu la main à ces soufis qui ne sont ni alliés des régimes autoritaires ni antagonistes des islamistes. Ceci est intéressant dans la mesure où les islamistes, du moins dans certains pays arabes, ont jusqu’à présent accordé peu d’attention aux soufis et ont quelque peu critiqué leur quiétisme.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi arrive au Japon le 27 juin (AFP)
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi arrive au Japon le 27 juin (AFP)

Sous la bannière du Forum pour la coopération et le développement, Mounir Said, un dirigeant islamiste palestinien, a lancé l’idée de créer un réseau islamo-soufi. Il a reçu le soutien du dirigeant du Hamas, Khaled Mechaal, et de l’AKP au pouvoir en Turquie.

Deux thèmes semblaient unir soufis et islamistes lors de la conférence de lancement du forum. Le premier était l’invocation du passé d’activisme politique des soufis, qui s’est manifesté par leur résistance à la colonisation, autorisant un parallèle avec l’activisme des islamistes. Le deuxième était celui de Jérusalem, considéré par les dirigeants du Hamas comme un sujet pouvant unir tous les musulmans.

La voie à suivre

Ces efforts visant à renforcer la coopération entre islamistes et soufis pour lutter contre l’autoritarisme porteront-ils leurs fruits ? Nul ne sait ce que l’avenir nous réserve, mais quelques indicateurs peuvent être pris en compte.

D’une part, le clivage entre soufis et islamistes n’est pas aussi profond dans tout le monde musulman, ce qui est un signe positif en vue d’une coopération. Dans le cas turc, par exemple, la conception religieuse des islamistes est fortement influencée par le soufisme et les islamistes sont soutenus par de nombreux soufis.

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En outre, la plupart des musulmans du monde entier ont considéré le Printemps arabe comme un mouvement d’espoir susceptible de leur permettre de recouvrer leur liberté et leur dignité violées par des régimes autoritaires illégitimes. Cette perception positive peut potentiellement unir les musulmans de différents courants islamiques.

Beaucoup de jeunes musulmans appartenant aux branches soufies, islamistes ou même salafistes, entre autres, s’accordent ainsi sur l’injustice et l’illégitimité du camp contre-révolutionnaire.

En définitive, l’agressivité du camp de la contre-révolution peut se retourner contre lui. À long terme, le rapprochement entre islamistes et soufis pourrait réorienter la sphère publique islamique vers la lutte contre l’autoritarisme.

- Muhammed Amasha est chercheur à l’Université Şehir d’Istanbul (collège des sciences humaines et sociales). Ses recherches universitaires portent sur les liens entre islam et politique ainsi que sur les questions politiques aux Moyen-Orient.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

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