L’instabilité qui règne dans un camp de réfugiés de Cisjordanie risque de hanter Ramallah
NAPLOUSE, Cisjordanie – Les habitations près du cimetière à la frontière sud du camp de réfugiés de Balata sont criblées de balles. C’est à cet endroit que le 20 mars dernier, deux jeunes garçons du camp, dont Mohammad Raed al-Hajj, âgé de 11 ans, ont été pris dans une fusillade entre les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne et un groupe d’hommes armés qui tentaient d’échapper à leur arrestation dans le camp.
Les garçons, qui ont été transportés d’urgence dans deux hôpitaux différents de Naplouse, se remettent aujourd’hui de leurs blessures. « Selon les réfugiés du camp, c’est l’Autorité palestinienne qui a tiré sur les garçons. Celle-ci rétorque que la responsabilité revient à la faction armée. Chacun rejette la faute sur l’autre », constate Abdullah Kharoub, résident de Balata. « C’est toujours ainsi que finissent ces confrontations. »
Cette fusillade vient entacher une nouvelle fois l’opération de « rétablissement de l’ordre » menée par l’Autorité palestinienne depuis maintenant quatre mois dans le camp de réfugiés de Balata, près de Naplouse. Selon les responsables palestiniens, un groupe de « délinquants et de trafiquants de drogues et d’armes » sévissent en toute liberté dans le camp.
L’Autorité palestinienne a été largement critiquée par les résidents du camp dans le cadre de cette intervention. Les résidents estiment être victimes de « punition collective » car les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne n’ont pas su procéder aux arrestations sans épargner – voire blesser – la population civile et respectueuse des lois.
Les factions au sein de l’Autorité palestinienne et du Fatah sont parmi les critiques les plus virulents de la répression incessante que ces derniers infligent à la population de Balata.
Selon les hommes politiques locaux, le groupe armé qui a tenté d’échapper aux arrestations dans le camp est affilié au Fatah et comprend des membres actuels et anciens des forces de sécurité et de renseignement de l’Autorité palestinienne actifs au cours de la deuxième Intifada. Cela voudrait dire que les résidents de Balata sont victimes d’une scission au sein de l’Autorité palestinienne.
Des motivations empreintes de cynisme
Jamal al-Tirawi, un membre du Conseil législatif palestinien et résident du camp de Balata qui se présente comme le représentant de facto de la faction armée alliée au Fatah à Balata, prétend qu’un certain cynisme est à l’origine des objectifs que s’est fixés l’Autorité palestinienne dans le camp.
Dans la pénombre de son bureau, Jamal al-Tirawi montre une vidéo sur son ordinateur portable qui met en scène des résidents masqués du village de Kufr Qaleel, près de Balata, exhibant – et utilisant – des armes automatiques lors d’un défilé à la mémoire d’un martyr du village.
Il s’interroge : « Si l’Autorité palestinienne s’emploie sincèrement à éradiquer les armes illégales en Cisjordanie, pourquoi n’arrête-t-elle pas les trafiquants de Kufr Qaleel ? Pourquoi se focalise-t-elle uniquement sur Balata ? »
Al-Tirawi nie catégoriquement les allégations de l’Autorité palestinienne selon lesquelles les individus recherchés dans le camp seraient impliqués dans un trafic de drogue. Il riposte en alléguant que les efforts déployés par l’Autorité palestinienne pour arrêter la faction alliée du Fatah à Balata ne sont autres que des mesures d’intimidation.
La série de négociations entre les représentants du groupe armé de Balata et les responsables de l’Autorité palestinienne chargés de mener l’opération n’ont pas suffi à ramener durablement le calme dans le camp, chacun s’accusant de faire traîner un accord qui permettrait de mettre fin à l’instabilité.
« J’ai rencontré à plusieurs reprises, avec les représentants du camp, le gouverneur de Naplouse, Akram Rajoub. A ces occasions, nous avons fourni des preuves à l’Autorité palestinienne qui permettent d’identifier les individus du camp réellement impliqués dans des activités criminelles et le trafic de drogue », a révélé al-Tirawi à Middle East Eye, « mais pour le moment, aucun d’eux n’a été arrêté ».
« Pourquoi certains réfugiés du camp, encore en liberté, sont-ils au-dessus des lois, alors que des membres du Fatah – ses anciens combattants et actuels employés – sont-ils toujours en prison ? ».
Bien que l’Autorité palestinienne ait arrêté plus de trente résidents dans le camp depuis le début de l’opération lancée fin janvier – dont la moitié vient d’être libérée – aucun d’entre eux n’a été inculpé pour les activités illégales mentionnées par l’Autorité palestinienne pour justifier l’opération.
Arrestations non justifiées
Selon al-Tirawi, ceci est la preuve que les objectifs affichés par l’Autorité palestinienne ne sont pas fondés et que ces accusations servent de prétexte pour arrêter l’opposition du Fatah. Il fait également remarquer que cinq employés actuels des services de sécurité et de renseignement de l’Autorité palestinienne sont parmi les prisonniers toujours incarcérés.
« Ils n’ont jamais commis de crime, n’ont jamais rien fait de mal », insiste al-Tirawi. « Ils sont dans le collimateur de l’Autorité palestinienne simplement parce qu’ils viennent du camp de Balata. »
Des responsables de l’Autorité palestinienne contactés par Middle East Eye ont réfuté les nombreuses spéculations autour du financement des trafics d’armes et de munitions à l’origine de l’instabilité dans le camp par l’ancien homme fort du Fatah, Muhammad Dahlan.
Muhammad Dahlan a été expulsé de Palestine en 2006 à la suite d’accusations de meurtre et de corruption au moment où sa relation avec le Premier ministre Mahmoud Abbas se détériorait. Un tribunal de Ramallah a récemment rejeté la plainte de corruption qui avait été déposée contre lui.
Le général al-Damiri, porte-parole des forces de sécurité palestiniennes, a reconnu que l’épouse de Muhammad Dahlan, qui a présidé une cérémonie de mariages collectifs à Gaza en avril dernier, avait, par le passé, transféré des fonds pour le compte de partisans de son mari en Cisjordanie, notamment des réfugiés des camps de Naplouse, Jénine et Ramallah.
Bien que le général ait déclaré qu’il « n’avait pas d’information concernant la participation de Muhammad Dahlan » dans le financement de l’agitation qui secoue Balata, il a toutefois souligné que ce dernier tirait parti de l’instabilité au sein de l’Autorité palestinienne. Il a admis en outre que l’homme politique exilé, qu’il dit dépourvu de toute chance de succès politique, est manifestement l’un des rares à pouvoir trouver les fonds nécessaires au financement des principales armes circulant dans le camp.
Dr Sattar Kassem, professeur de sciences politiques à l’université d’an-Najah à Naplouse, a indiqué à Middle East Eye que Muhammad Dahlan préparait son retour sur la scène politique palestinienne, ajoutant : « il est probable qu’il se présente à la présidence ».
Des conditions de vie de plus en plus difficiles
Le camp de Balata a été créé en 1950 pour accueillir les réfugiés en provenance de Jaffa, près de Tel-Aviv. C’est devenu aujourd’hui le camp de réfugiés le plus étendu et densément peuplé de Cisjordanie. Près de 27 000 réfugiés cohabitent sur une surface de moins d’un kilomètre carré.
L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), qui dispense des services de premières nécessités dans le camp, dénonce « la surpopulation, les problèmes d’eau potable et d’eaux usées, et un fort taux de chômage » parmi les principales difficultés du camp.
« Balata est l’une des zones les plus marginalisées de Cisjordanie », souligne Abdullah Kharoub. « Le taux de chômage est élevé. La pauvreté est importante. Les services sont inexistants dans le camp. Que sommes-nous censés faire ? ».
Selon les hommes politiques locaux, le budget de l’UNRWA consacré au camp de Balata a été réduit de plus de 80 % ces dernières années. Alors que l’UNRWA continue de dispenser une aide humanitaire aux réfugiés les plus vulnérables, l’Autorité palestinienne n’est pas en mesure d’endosser des responsabilités supplémentaires pour améliorer les conditions dans le camp.
« L’UNWRA est responsable des problèmes du camp de Balata », assure le général al-Damiri. « Le camp relève de l’autorité de l’UNWRA, il n’est pas sous la juridiction de la municipalité. »
Abdullah Kharoub n’est « pas surpris par l’instabilité récente qui règne dans le camp. » Et d’ajouter : « Vous ne pouvez pas entasser 29 000 personnes dans un endroit pareil et leur demander de vivre en paix. »
Selon lui, les tentatives de l’Autorité palestinienne pour rétablir le calme dans le camp n’ont pas tenu compte des problèmes humanitaires et sociaux qui sont à la base de l’instabilité. « Si l’Autorité palestinienne souhaite trouver une solution à ces problèmes, elle doit d’abord en comprendre la nature. »
« J’éprouve une réelle frustration quand je pense à l’Autorité palestinienne. Elle me déçoit terriblement. C’est le cas de la plupart des réfugiés dans le camp. Ces personnes qui possèdent des armes, je suis étranger à ce problème et aucune excuse ne peut justifier leurs agissements, mais elles essaient de s’en sortir par leurs propres moyens. »
Abdullah Kharoub croit-il que l’Autorité palestinienne a fait des efforts réfléchis pour comprendre et s’attaquer aux causes des problèmes d’instabilité dans le camp ou améliorer la vie de ses résidents ? « Bien sûr que non. D’après ce que je vois, il n’en est rien », assure-t-il à Middle East Eye.
Le rôle de premier plan qu’a joué Balata au cours des deux Intifadas, et les pertes humaines endurées alors, ont aggravé la frustration des résidents face à l’opération sécuritaire prolongée de l’Autorité palestinienne et son refus apparent d’engager les moyens nécessaires pour améliorer la situation à l’intérieur du camp.
Les martyrs de l’Intifada
« Au cours des deux Intifadas, Balata a perdu 385 martyrs », indique al-Tirawi. « Des milliers de résidents du camp ont été incarcérés dans les prisons d’Israël. Entre 1 000 et 1 200 ont été blessés durant les Intifadas. Et qu’ont fait les dirigeants palestiniens pour les citoyens du camp ? »
Al-Tirawi accuse les responsables de l’Autorité palestinienne chargés de mener l’opération à Balata de ne pas être « au fait de la réalité que vivent les réfugiés dans les camps, de la pauvreté et de leur souffrance ».
Les contradictions dans la version de la fusillade de Mohammad Raed al-Hajj avancée par l’Autorité palestinienne ont encore davantage entamé la confiance que lui portent les résidents de Balata.
Alors que le gouverneur de Naplouse, Akram Rajoub, a indiqué à Middle East Eye que les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne n’avaient tiré aucune balle pendant l’opération, le général al-Damiri a rapporté qu’elles avaient en fait tiré plusieurs balles réelles le jour où Mohammad et son camarade ont été touchés. Aucun d’eux n’a jugé l’Autorité palestinienne responsable.
Le père de Mohammad, un haut gradé des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne et résident du camp de réfugiés de Balata, a confié à Middle East Eye qu’il jugeait l’Autorité palestinienne responsable d’avoir tiré sur son fils.
« Nous, les familles des enfants, sommes allées voir al-Haq, un groupe palestinien de défense des droits de l’homme basé à Ramallah, afin de demander l’ouverture d’une enquête indépendante sur l’incident. Ils sont venus auditionner les témoins oculaires. L’enquête a révélé l’identité de l’officier de l’Autorité palestinienne qui a tiré sur l’enfant », explique-t-il.
La vie est de plus en plus dure
« L’Autorité palestinienne est-elle responsable ? Bien entendu ! », assure-t-il.
Mais, dans le camp, rares sont ceux qui pensent que les conclusions d’al-Haq – ou de toute autre enquête – entraîneront des poursuites pénales à l’encontre de ceux qui ont tiré sur Mohammad et son camarade. Les officiers locaux n’ont fourni aucune indication sur de possibles procédures pénales en cours ou à venir.
Le général al-Damiri pense que l’opération conduite par l’Autorité palestinienne à Balata sera conclue sans tarder. De son côté, le gouverneur de Naplouse, Akram Rajoub, s’engage à arrêter tous les criminels, « en leur tirant dans les jambes s’il le faut ».
Le professeur Kassem affirme quant à lui que l’Autorité palestinienne trouvera une solution à court terme à l’instabilité qui règne à Balata mais qu’en fin de compte, « chaque partie campera sur ses positions. Les tirs cesseront, mais rien ne changera. »
Pour les résidents aussi, les perspectives de changements réels dans le camp ne sont guère encourageantes. « Ça fait maintenant soixante-six ans que les gens souffrent dans les camps, depuis 1948 », constate Abdullah Kharoub. « L’Autorité palestinienne nous avait redonné de l’espoir, ils étaient censés prendre notre avenir en main, être porteurs d’un avenir meilleur. Mais depuis sa création, rien n’a changé. La vie est de plus en plus dure. Tout va de plus en plus mal. Que pouvons-nous y faire ? Il n’y a plus d’espoir. »
Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.
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