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« Ma famille est partie » : les troupes irakiennes trouvent des villages désertés vers Mossoul

L’État islamique a forcé des milliers de villageois à entrer dans Mossoul pour servir de boucliers humains, ce qui a vidé des pans entiers de la province de Ninive et contraint des familles à rechercher leurs proches
Une Irakienne raconte ce qu’elle a vécu après avoir fui les militants de l’État islamique (MEE/Andrea DiCenzo)

RASEAF, Irak – Il n’y a personne dans les rues de ce petit hameau situé à 50 km de Mossoul, bastion du groupe État islamique (EI). Le bruit d’une voiture en approche met les soldats de l’armée irakienne en alerte, avant qu’il ne devienne clair que ce sont des camarades qui livrent les rations du jour plutôt que des militants de l’État islamique qui sèment la mort.

Le conducteur du véhicule klaxonne à quelques reprises tandis que l’armée se précipite à l’extérieur pour récupérer les rations du jour. Tout le monde, sauf Mohammed Abou, 24 ans. Son appétit l’a fui.

« C’est chez moi ici, confie Abou à Middle East Eye. Je suis venu pour me battre et retrouver ma famille. Mais lorsque je suis arrivé, ils étaient partis. »

Abou, dont le nom de famille a été changé pour protéger son identité, affirme qu’il n’a rejoint l’armée irakienne que le lundi 17 octobre, le jour où les forces irakiennes ont lancé l’opération visant à reprendre Mossoul.

Son unité, qui fait partie de la 15e division de l’armée irakienne, a combattu les militants de l’État islamique dans les champs à l’extérieur de Raseaf, mais la ville en elle-même était vide. Les villageois avaient été contraints de partir.

Des soldats irakiens patrouillent dans les rues de Shura, un village désert sur la route de Mossoul (MEE/Andrea DiCenzo)

Abou explique qu’il a parlé à sa famille quatre jours plus tôt, après son arrivée à Hammam al-Alil, le bastion de l’État islamique sur la rive occidentale du Tigre. Mais après le premier appel, le téléphone semble avoir été coupé.

« L’État islamique tirait sur les familles pour les faire partir. Ma famille avait une voiture. Ils les ont emmenés en voiture », a raconté Abou.

La prise de conscience d’Abou est survenue quelques jours avant que l’ONU ait rapporté que l’État islamique avait forcé des milliers de civils à partir de chez eux pour les utiliser comme boucliers humains et tuait ceux qui refusaient d’obtempérer.

Le rapport, publié vendredi dernier, indique que les militants avaient déplacé des civils vers des lieux d’importance stratégique, tels qu’Hammam al-Alil, mais aussi plus au nord, jusque Tall Afar et Mossoul même.

« Des informations font état de l’enlèvement par l’EI d’au moins 5 370 familles du sous-district de Shura, 160 familles du sous-district d’al-Qayyarah, 150 familles du sous-district d’Hamam al-Alil et 2 210 familles du sous-district de Nimrud dans le quartier al-Hamdaniya », a précisé le rapport.

Et les auteurs ont tenu à souligner que leurs chiffres n’étaient nullement exhaustifs.

Dans un enregistrement publié jeudi, le chef de l’État islamique Abou Bakr al-Baghdadi a appelé ses adeptes à se battre jusqu’à la fin. « Tenir ses positions dans l’honneur est mille fois plus aisé que de se replier dans la honte », a-t-il déclaré.

Ses propos surviennent deux jours après l’entrée des forces irakiennes dans la périphérie de Mossoul, où elles ont rencontré une résistance féroce lorsqu’elles ont fait leurs premiers pas réels pour récupérer et réoccuper une ville qui est depuis plus de deux ans à la merci de l’État islamique.

Et la stratégie du groupe consistant apparemment à construire une masse de boucliers humains a laissé étrangement vide une grande partie du territoire qui a été capturé en plus de deux semaines de combats.

Des Irakiens fuient un village contrôlé par l’État islamique en traversant le Tigre pour rejoindre une zone contrôlée par l’armée irakienne (MEE/Andrea DiCenzo)

Dans le petit village rural de Shura al-Jadida, la situation reflète celle de Raseaf. Une seule famille occupe la ville.

Ahmed Abou, un ancien étudiant anglais de 20 ans à l’Université de Mossoul, mince et au visage abîmé, présente les choses simplement : « Ici, toutes les familles ont été capturées par l’État islamique. »

Ahmed et sa famille ont eu de la chance en saisissant l’occasion d’échapper à leurs ravisseurs dans un village à 7 km au sud d’Hammam al-Alil.

Ils ont marché trois jours sans eau ni nourriture, mais ont pu retourner dans leur village natal.

Pour Ahmed, le retour au village est un mélange d’émotions. « Aujourd’hui, je suis heureux et triste, parce que nous ne retrouvons pas de nombreuses familles dans ce village », a expliqué Ahmed.

Les enfants d’Ahmed roulent à vélo dans la cour de l’entrée et demandent à ce qu’on les prenne en photo ; ils affichent une curiosité générale devant les nouveaux arrivants dans leur village qui entre en contraste flagrant avec l’inquiétude avec laquelle Ahmed parle des atrocités qu’il a vues sous l’État islamique.

« Si vous faites partie de l’armée ou de la police irakienne, ils vous tuent, a expliqué Ahmed à MEE. De nombreux jeunes ont été capturés. »

Les Irakiens ont été menacés de mort s’ils cherchaient à fuir l’État islamique, mais beaucoup ont tenté de s’échapper (MEE/Andrea DiCenzo)

Le long de la route pour retourner à Raseaf, on aperçoit des familles transportant des sacs de voyage remplis d’effets personnels, en train de se diriger vers le sud et Qayyarah, la ville riche en pétrole libérée par l’armée irakienne à la fin du mois d’août de cette année.

Fatiguées et effrayées, les familles sont réticentes à parler. Elles ont affirmé venir d’Hammam al-Alil.

« Il y a beaucoup de nouveaux là-bas. Les familles sont dans des bâtiments abandonnés. Elles sont dans la rue », a affirmé un homme.

Et l’État islamique n’en a pas terminé.

Lors d’une conférence de presse de l’ONU ce mardi, Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a détaillé des préoccupations supplémentaires concernant la surveillance de longs camions et de minibus à destination d’Hammam al-Alil, soupçonnant « une tentative de transfert par la force de quelque 25 000 civils vers des endroits situés à Mossoul et aux alentours ».

« Nous sommes profondément inquiets pour la sécurité de ces personnes et des dizaines de milliers d’autres civils qui auraient été déplacés de force par l’EI au cours des deux dernières semaines », a déclaré Shamdasani.

Alors que les forces de sécurité irakiennes se déplacent vers les limites orientales de la ville de Mossoul depuis l’est, les forces qui poussent vers le nord depuis le front méridional ont encore environ 30 km à parcourir et une foule de petits villages et hameaux à traverser avant de s’approcher de Mossoul.

La division campée chez Abou ne restera pas longtemps. Elle continuera sa progression vers Mossoul, mais pour Abou, le voyage vers le nord a pris fin pour le moment.

« Je les ai cherchés : mon frère, ma mère, ma sœur. L’enfant de ma sœur n’a que trois ans, confie-t-il. Je vais rester ici. Je ne ressens rien. »

Des soldats irakiens posent avec leurs véhicules marqués par les combats, à Shura al-Jedida (MEE/Andrea DiCenzo)

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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