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Maroc : face aux défis de demain, l’université tente de se réformer

Alors que dans son dernier rapport, le Conseil supérieur de l’éducation pointe les lacunes du système universitaire marocain, certaines universités se sont déjà tournées vers de nouvelles formes d’enseignement
Selon les employeurs sondés par l’Université Cadi Ayyad, les étudiants qui arrivent sur le marché du travail ne maîtrisent pas assez bien les langues étrangères (AFP)

CASABLANCA, Maroc – L’université marocaine va mal. Dans son dernier rapport sur le système universitaire, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSRFRS) pointe plusieurs écueils.

L’évaluation relève, entre autres, un faible taux d’encadrement, des infrastructures sous-dimensionnées et une massification des étudiants. Résultat : une baisse de la qualité de l’enseignement provoque de nombreux départs d’étudiants vers le privé. 

Pour pallier ces manques, plusieurs universités innovent et tentent de produire de nouveaux modes d’enseignement. Digitalisation, investissement dans la recherche, réajustement des méthodes pédagogiques… tous les moyens sont bons pour tenter de relever le niveau du système universitaire. 

Le nombre d’étudiants au Maroc est passé de 94 000 en 2009 à 750 000 en 2016, soit une croissance de 155 % (AFP)

Selon le rapport, sur les 90 % étudiants inscrits en licence, seulement 4,9 % poursuivent des cours en master. En cause, notamment, le mauvais taux d’encadrement des étudiants, de plus en plus nombreux : « Il arrive parfois qu’un professeur se retrouve face à 200 étudiants alors que la norme est de dix à quinze étudiants par professeur », explique à Middle East Eye Abdellatif Miraoui, président de l’Université Cadi Ayyad, à Marrakech, première université du Maroc, du Maghreb et de l’Afrique francophone selon le dernier classement mondial du Times Higher Education (mensuel britannique spécialisé dans les études supérieures) pour l’année 2019. 

Avant d’ajouter : « Cela a un impact direct sur la qualité de l’enseignement. On ne peut enseigner correctement les langues à 300 étudiants dans un amphithéâtre. Cela n’est pas réaliste ». 

C’est pourquoi il a décidé de revoir entièrement ses modes d’enseignement en se tournant vers le concept de smart university, un paradigme pour décrire une université « intelligente », tournée vers le digital, le respect de l’environnement, la bonne gouvernance, etc.

« Il arrive parfois qu’un professeur se retrouve face à 200 étudiants alors que la norme est de dix à quinze étudiants par professeur »

- Abdellatif Miraoui, président de l’Université Cadi Ayyad, à Marrakech

« Aujourd’hui tous nos cours sont en ligne. Ce qui permet aux élèves de travailler depuis chez eux. Le nombre d’heures de présence est allégé, permettant d’aller davantage dans le détail. C’est notamment une solution pour désengorger les locaux », défend-il.

C’est dans la même optique que l’Université Mohammed V de Rabat, classée parmi les meilleures au Maroc, a créé un centre de e-learning, autrement dit de la formation en ligne, proposant différents cours ouverts à tous où la salle de classe est remplacée par des forums en ligne – aussi appelé MOOCs (massive online open source) – ainsi que des instruments d’accompagnement pour les enseignants dans la production de contenus en ligne. 

Une digitalisation que le Conseil recommande puisqu’il propose de mettre en place un Plan numérique pour l’enseignement supérieur à l’horizon 2030 qui intégrerait de nouvelles formations plus adaptées aux évolutions technologiques.

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Pour lutter contre l’abandon lors des premières années d’université, les experts du Conseil recommandent également de renforcer l’orientation pédagogique et l’insertion sur le marché du travail.

« Aujourd’hui, on manque de formations dynamiques adaptées aux besoins socioéconomiques, ce qui crée des difficultés pour les étudiants au moment de l’insertion sur le marché du travail », affirme Abdellatif Miraoui. 

Avec son équipe, ils ont interrogé divers employeurs pour savoir quelles compétences manquaient chez les nouveaux diplômés. La maîtrise des langues, les savoirs comportementaux permettant de s’épanouir en équipe et dans ses relations avec l’extérieur (aussi appelés soft skills) ainsi que les compétences informatiques sont principalement avancées.

Une plus grande ouverture sur l’étranger

C’est pourquoi aujourd’hui 20 % de tous les contenus des masters et licences professionnelles à Cadi Ayyad sont consacrés aux langues et aux compétences transversales (développement personnel, projet professionnel, activités associatives, tutorat…). Pour chaque heure de présence, avec des enseignants formés et certifiés par l’université, les étudiants travaillent en autonomie sur une plateforme numérique pendant trois heures.

Les experts du Conseil préconisent également une meilleure ouverture sur l’étranger. En effet, le rapport du Conseil souligne le manque d’attractivité de nos universités pour les étrangers. En 2015-2016, uniquement 1,2 % des étudiants étaient d’origine étrangère.

Une université est également jugée à la qualité de sa recherche et de sa production scientifique. Or, aujourd’hui, les doctorants représenteraient 4,1 % de l’ensemble des étudiants dans les universités du royaume. 

« L’écosystème de la recherche n’existe pas encore au Maroc » 

- Mehdi Alioua, sociologue

Selon Mehdi Alioua, sociologue et président de la chaire Migrations, mobilités, cosmopolitisme à l’Université internationale de Rabat (UIR), « l’écosystème de la recherche n’existe pas encore au Maroc » : « Il existe des laboratoires et des centres d’études doctorales. Mais les équipes ne sont pas assez nombreuses et actives pour faire vivre cet écosystème permettant une production régulière de qualité ».

Dans un entretien donné au journal marocain L’Économiste, le président de l’Université Hassan II, Idriss Mansouri, explique que l’université compte 123 laboratoires de recherche mais que le nombre de publications par enseignant se situe en dessous de 0,5 par an. « Il y a beaucoup de déperdition », estime-t-il. 

Or, selon Mehdi Alioua, sans cette production scientifique produite en amont, les choses ne pourront pas changer. « Tous les vrais changements arrivent par le haut, depuis une élite de pensée qui arrive à se connecter au reste de la société. Les savoirs et les innovations se font par le bas, mais la diffusion par le haut », explique-t-il. 

Digitalisation, investissement dans la recherche, réajustement des méthodes pédagogiques… Certaines universités tentent de relever le niveau du système universitaire (AFP)

Enfin, le rapport pointe du doigt un financement insuffisant. Si le budget dédié à l’enseignement supérieur a augmenté de près de 3 milliards de dirhams (275 millions d’euros), passant de 7,5 milliards de dirhams (690 millions d’euros) à 10 milliards (900 millions d’euros), entre 2009 et 2017, cette hausse est jugée insuffisante face à l’augmentation du nombre d’étudiants : 294 000 inscrits en 2009, contre 750 000 en 2016. Soit une croissance de 155 %, tandis que le budget de l’enseignement supérieur, n’a été augmenté que de 21 %. 

C’est pourquoi le Conseil recommande d’augmenter les ressources financières réservées aux universités et à ce que l’université soit exonérée d’impôts, tout en améliorant ses ressources propres. 

Cibler les frais d’inscription

Dans le même entretien, Idriss Mansouri propose quant à lui d’introduire des frais d’inscription pour les ménages ayant les moyens de les payer. 

« À l’inscription, nous collectons des données sur le profil familial de chaque étudiant : profession des parents, lieu de résidence, revenu, etc. Les boursiers – ceux dont les revenus des parents ne dépassent pas 6 000 dirhams mensuels [552 euros] – seraient d’emblée exonérés », explique-t-il. 

Le but selon lui n’est pas « d’introduire une sélection par l’argent mais de responsabiliser les familles et de continuer à améliorer la qualité de l’enseignement et de la recherche ».

« Il y a une volonté politique d’améliorer le système universitaire » 

- Rahma Bourquia, sociologue et directrice de l’Instance nationale d’évaluation auprès du CSRFRS

Pour Abdellatif Miraoui, au contraire, il ne s’agit pas d’argent mais de « volonté stratégique » : « Le ministère de l’Éducation nous a toujours suivis. Mais il a fallu que l’on accompagne activement tout le monde – parents, professeurs, politiciens – vers le changement ». 

Rahma Bourquia, sociologue et directrice de l’Instance nationale d’évaluation auprès du CSRFRS, le ministère de l’Éducation semble en effet aller dans ce sens : « Il y a une volonté politique d’améliorer le système universitaire », explique-t-elle à MEE. « Le ministre, Saïd Amzazi, l’a d’ailleurs annoncé dans plusieurs de ses discours. Maintenant pour que les choses se concrétisent sur le terrain, il faut mettre en place des actions concrètes. Quoiqu’il en soit, dans le milieu éducatif les changements prennent toujours du temps ». 

Selon la sociologue, le Conseil prépare un second rapport proposant des « solutions et orientations stratégiques » pour relever le système universitaire. 

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