Mounir ben Salha, l’avocat qui veut défendre Ben Ali
TUNIS – « J’enregistre tous mes appels avec Ben Ali. Peut-être qu’un jour j’écrirais un livre, sait-on jamais ! » Lunettes noires, chemise blanche et cheveux gominés, Mounir ben Salah, 41 ans, est un avocat aux multiples histoires et ambitions.
« C’est très difficile, vous savez, d’être l’avocat de Ben Ali, moi je demande uniquement à ce qu’il ait droit à un procès équitable en Tunisie », expliquait-il à Middle East Eye au détour d’une audience en février dernier, où il défendait un jeune Tunisien embrigadé par Daech, parti en Syrie, puis arrêté à son retour au pays.
À l’époque, Mounir ben Salha disait même avoir un garde du corps pour le protéger. Aujourd’hui, l’homme ne prétend pas seulement être l’avocat du président déchu Ben Ali. Il défend aussi certains barons présumés de la corruption, tels que l’ancien candidat aux élections présidentielles et homme d’affaires Yassine Chennoufi, arrêté le 23 mai dernier en même temps que l’affairiste Chafik Jarraya, pour implication dans des réseaux de corruption.
À LIRE : Tunisie : sous la lutte anti-corruption, les intrigues politiques
Depuis, l’opération présentée par le Premier ministre Youssef Chahed comme une opération mains propres a conduit à l’arrestation de près d’une vingtaine de personnes dont les noms apparaissent dans des dossiers liés à la corruption.
Et défendre les corrompus n’est pas toujours bien vu. Mais les critiques, Mounir ben Salha s’en moque. Il va dans les tribunaux, pointe les vices de procédures, l’absence de preuves solides pour mettre sous séquestre les biens de ses clients, harponne la moindre défaillance juridique et… gagne souvent, non sans, à chaque fois, médiatiser sa cause.
« Ma première affaire, c’était une femme très pauvre. Je l'ai trouvée perdue au tribunal de Ben Arous [au sud de Tunis], avec un problème de divorce. J’avais 23 ans à l’époque. Je l’ai défendue gratuitement et j’ai veillé à ce que son mari lui verse une pension alimentaire. »
« Le gouvernement ne peut pas juste attraper les gens et les mettre en prison »
-Mounir ben Salha
Plus récemment, il a même crié victoire trop vite en communiquant sur la libération d’Ali Griri, un autre client, contrebandier de Kasserine également arrêté dans le cadre de l’opération anti-corruption. Mais quelques heures après, son client a été de nouveau arrêté pour être placé en résidence surveillée.
Bien qu’il défende de présumées figures de la corruption, l’homme sait quitter sa robe d’avocat pour défendre aussi le gouvernement. Retournement de veste ou acte sincère, il se plaît à jouer sur les deux tableaux.
« C’est une guerre contre la corruption. Le problème, c’est que cette décision, si elle est politiquement juste et dans le bon timing puisque les gens parlent beaucoup de corruption, reste une affaire judiciaire. Le gouvernement ne peut pas juste attraper les gens et les mettre en prison », commente-t-il.
Bourguiba, son modèle
Ami des célébrités, comme le confirme les selfies publiés sur sa page Facebook avec le footballeur Youssef Msakni, l’humoriste franco-marocain Jamel Debbouze ou avec Samir el-Wafi, animateur télé lui aussi interpellé dans le cadre de la lutte anticorruption pour soupçon de corruption et trafic d’influence le 19 juin, l’avocat aime sa notoriété, et sait en user pour repérer des cas importants.
« Samir el-Wafi est un ami mais pour l’instant je n’ai pas été chargé de le défendre par sa famille » admet-il. « Je ne pense pas que cette affaire soit liée à l’opération mains propres. Ce n’est pas une affaire politique même s’il est malheureusement haï par beaucoup de monde », ajoute-t-il.
Tantôt, Mounir ben Salha s’exprime à la radio pour expliquer le choix d’un de ses clients, coupable d’avoir tué sa fiancé, de se remarier en prison avec une Italienne, tantôt il défend un vieillard de Nabeul (nord-est) accusé d’avoir cultivé de la marijuana dans son jardin. « Je ne refuse jamais les affaires qui viennent à moi, c’est un principe » affirme-t-il.
Dans son agenda, les noms des clients en liberté sont surlignés en jaune. Les noms de ceux incarcérés, en rose
Au tribunal, ses plaidoiries sont théâtrales, même quand il défend les combattants de l’EI, fait rare en Tunisie. Pour l’avocat, qui dans son agenda, surligne en jaune les noms des clients en liberté, et en rose ceux encore en prison, les convictions personnelles passent après son métier.
« J’ai voulu devenir avocat car j’admirais beaucoup Habib Bourguiba [président tunisien de 1957 à 1987] et c’était sa profession avant de devenir président », rappelle-t-il.
De père tunisien et de mère algérienne, le petit Mounir reçoit une éducation rigide liée à la qualité de militaire de son père, Ezzedine ben Salha, envoyé à la retraite anticipée par Ben Ali en 1987 lorsqu’il travaillait au ministère de la Défense. Originaire de Lamta, entre Monastir et Mahdia, son père vient d’une famille modeste et lui inculque l’amour de Bourguiba.
Étudiant, Mounir ben Salha se spécialise ensuite dans le droit de la communauté européenne à la faculté de droit de Tunis. Il commence sa carrière d’avocat en 2001, en pleine crise politique, où fusent les premières critiques envers le régime de Ben Ali sur la chaîne de télévision, Al Mustaquilla. La chaîne a été créée par l’homme politique Hechmi Hamdi, ex-candidat aux élections de 2014, depuis 2012 à la tête d’un parti à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Aujourd’hui, Mounir ben Salha se dit blasé par les militants des droits de l’homme et les révolutionnaires. Il aimerait pouvoir travailler sans les lenteurs que connaît la justice tunisienne. « On est passés d’un régime où tout le monde vit dans le silence absolu à un régime où tout le monde réclame. C’est pathologique », analyse-t-il à propos des grèves des magistrats et de ses confrères avocats.
L’homme n’est pas favorable aux droits syndicaux et aime le dire. « Le pouvoir judiciaire doit être indépendant. Il ne peut pas se mettre en grève, c’est un pouvoir trop important », ajoute-t-il.
Une très bonne connaissance des médias
L’avocat ambivalent semble avoir bâti sa carrière et sa réputation sur son image, celle du personnage de plateaux télé, et sur ses victoires judiciaires. Mounir ben Salha est en effet l’un des seuls avocats à avoir obtenu des allègements de peine pour des personnes accusées de « terrorisme », ou empêché la tutelle d’un administrateur juridique pour gérer les biens d’un de ses clients.
L’avocat connaît très bien les médias pour avoir en 2011, animé juste après la révolution, l’équivalent tunisien de « Faites entrer l’accusé » (Roufiaat Al Jalsa) ou encore, pour être l’avocat de la chaîne Nessma, controversée pour sa ligne éditoriale et l’appartenance politique (Nidaa Tounes) de son PDG, Nabil Karoui. Avant la révolution, il passait déjà dans une émission sur la corruption « Aan Hosni Nya » (Sans mauvaises intentions) sur la chaîne Hannibal TV.
Il a aussi défendu le présentateur Moez Ben Gharbia et Wassim Herissi, humoriste aussi connu sous le nom de Migalo, en 2015. Ils avaient été arrêtés pour usurpation d’identité en vue de faire chanter un homme d’affaires.
Maître du fait divers, l’homme aime aussi réécrire l’histoire. Après s’être présenté comme l’un des avocats de l’opposant politique Mohamed Abbou en 2005, la femme de Mohamed Abbou, elle-même avocate et députée, Samia Abbou, avait déclaré ne pas connaître Mounir ben Salha « plus que de vue ».
« Mon mari avait près de 700 avocats à l’époque. Peut-être qu’il a fait partie de cette liste, mais il n’était pas parmi les militants qui nous entouraient. Je ne l’ai vu venir qu’une fois à la maison des avocats pour une visite. »
Ses confrères ne l’apprécient pas beaucoup. Le barreau de Tunis l’a même suspendu en 2015 à cause de ses trop nombreuses apparitions médiatiques
Mounir ben Salha insiste : sous le régime de Ben Ali, il a aussi bien défendu des islamistes que des opposants, ce qui a lui aurait valu des menaces. Autre retournement de situation, il dit défendre aujourd’hui le juge qui a mis en prison Mohamed Abbou, Mehrez Hammami, aussi symbole des procès politiques du régime Ben Ali et exilé en France depuis la révolution.
« Je n’agis pas en tant que militant, j’agis en tant qu’avocat », affirme-t-il pour justifier ces revirements. « Ce juge a été attiré par le pouvoir, comme beaucoup d’autres, et il est devenu le juge du pouvoir » explique-t-il en parlant de son client pour lequel il a obtenu un non-lieu en 2016 alors qu’il était impliqué dans plusieurs affaires de corruption.
Ses confrères ne l’apprécient pas beaucoup. Le barreau de Tunis l’a même suspendu en 2015 à cause de ses trop nombreuses apparitions médiatiques.
Anouar el-Bassi, un autre avocat militant, contacté par MEE se refuse à tout commentaire mais souligne que « l’homme n’existait tout simplement pas avant la révolution ».
La célèbre militante des droits de l’homme et avocate Radia Nasraoui s’en est prise à lui pour sa défense de Ben Ali. « Je suis l’avocate des victimes de Ben Ali. Les droits de l’homme font que chacun a le droit à une défense, mais moi, je ne pourrai jamais défendre Ben Ali », a-t-elle déclaré.
Au sujet de Zine el-Abidine Ben Ali, qu’il dit représenter depuis 2016, il explique : « Ben Ali a le droit à un procès équitable, mais je ne pense pas que dans le contexte tunisien actuel, il puisse rentrer au pays. Le débat sur la loi de réconciliation a déclenché une grande crise. »
Fort de sa célébrité à double tranchant, l’avocat, plein de ressources, continue sa tournée des tribunaux, et a rejoint le parti Nidaa Tounes pour se charger… des orientations politiques du parti.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].