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Nice : les services de sécurité sont impuissants devant la « militarisation de la vie quotidienne »

Les observateurs affirment que le carnage du 14 juillet 2016 souligne les défis insurmontables que les agences de renseignement doivent relever pour tenter d'arrêter les agresseurs « invisibles »
Policiers en faction devant le ministère de l'Intérieur à Paris, suite à l'attentat meurtrier à Nice (AFP)

Suite à l'attentat perpétré à Nice par un homme qui, au volant d'un camion, a foncé dans la foule, tuant au moins 84 personnes et en blessant beaucoup d'autres, les analystes ont exprimé cette mise en garde : les services de sécurité sont confrontés à des défis insurmontables pour prévenir des attaques ad hoc par des individus « invisibles au sein de la société » et qui transforment en armes les objets de la vie quotidienne.

Patrick Skinner, directeur des projets spéciaux au sein du groupe de réflexion Soufan Group, spécialiste de sécurité, a déclaré à Middle East Eye que les services de sécurité ne pourraient pas faire grand-chose pour empêcher « des attentats de faible envergure mais néanmoins spectaculaires », perpétrés par des individus « invisibles au sein de la société ».

Le conducteur a été abattu pendant son attentat, et la police l'a identifié. Il s'agit d'un citoyen français d'origine tunisienne, Mohamed Boulel. L’acte a été revendiqué par l’État islamique (EI). Le groupe incite sans cesse ses partisans à se servir de n'importe quoi pour perpétrer des attentats.

Dans un message diffusé en janvier 2015, un porte-parole de l'EI, Abou Mohammad al-Adnani, a exhorté les partisans de l’organisation à tuer en utilisant « bombes, balles, couteaux, voitures, pierres, ou même coups de pied ou coups de poing ».

Dans une analyse publiée vendredi, le Soufan Group a déclaré que l'attentat de Nice constituait « l'une des agressions sans explosif les plus meurtrières jamais subies » ; cette agression a fait la démonstration de l'inefficacité des méthodes traditionnelles de sécurité face à la menace que pose la « militarisation de la vie quotidienne », où chaque espace public devient une cible potentielle.

« Ces attaques, intentionnellement spontanées, sont un cauchemar pour la sécurité », a déclaré Skinner.

« Des indicateurs qui nous semblent évidents aujourd'hui ne sont évidents que rétrospectivement. En l'absence d'une motivation convaincante et légale, les fonctionnaires de sécurité ne sont pas en mesure de creuser profondément les motivations et tendances de tout un chacun, et personne, dans une société libre, ne devrait être en mesure de le faire. »

Raffaello Pantucci, directeur des études internationales sur la sécurité au groupe de réflexion du Royal United Services Institute et chercheur spécialiste des terroristes isolés, a déclaré que les méthodes traditionnelles de collecte d'informations se sont avérées le plus souvent inefficaces contre des attaques apparemment aléatoires.

« On a à faire à quelque chose de totalement imprévisible et qui, en plus, transforme en armes tout ce qu'on a sous la main », a déclaré Pantucci à MEE.

« Jadis, les agences de sécurité s'appuyaient sur le traçage des réseaux et la mise sous écoute des communications. S'il s'agit de bombes, il suffit de s'intéresser aux produits chimiques pour remonter aux fabricants de bombes. S'il s'agit de fusils, il faut suivre la piste des armes à feu.

« Par contre, quand on a à faire à quelqu'un qui ne parle à personne de ce qu'il fait, qui reste tranquillement chez lui et tout d'un coup se dit ‘’Je vais prendre un camion et foncer avec dans la foule’’, quelle piste une agence de sécurité peut-elle suivre ? »

Skinner a déclaré que ce genre d'attaques a également remis en question l'efficacité des programmes de lutte contre la radicalisation, parce que les auteurs de ces actes sont souvent « des marginaux qui n'ont guère de contacts avec leur famille ».

« Cela les rend socialement invisibles, ce qui pose des défis énormes aux programmes de contre-radicalisation. Les gens qui ont le plus besoin d'aide, ceux qui relèveraient le plus des programmes de prévention, sont précisément ceux que ces programmes n'atteindront jamais. »

Pantucci affirme que des recherches récentes sur les attentats menés par des assaillants isolés avaient révélé certaines tendances discernables et montré que, dans la moitié des cas environ, on trouvait des preuves tangibles que les criminels avaient fait part à quelqu'un de leurs intentions.

« Dans certains cas, c'était vraiment très spécifique, mais personne n'y prêtait attention. La question devient donc celle-ci : jusqu'où voulons-nous aller dans la sur-sécurité et la surveillance policière de la société pour faire face à une menace qui va se concrétiser au hasard si souvent ? »

En réponse à l'attaque de jeudi, le président français François Hollande a promis d'intensifier la campagne de bombardements aériens menée par son pays contre l’EI en Irak et en Syrie pour participer aux efforts de la coalition dirigée par les États-Unis, et de prolonger en France l'état d'urgence imposé depuis novembre dernier en réaction aux attentats perpétrés à Paris à l'arme lourde et à la bombe par l’EI, qui ont fait 130 victimes.

Skinner a déclaré que la France ainsi que d'autres pays ont du mal à trouver un équilibre entre préservation des libertés sociales et nécessité de répondre à la menace posée par l'EI.

Il a déclaré qu'attaquer le groupe en Irak et en Syrie ne permettrait pas de mettre fin à la menace posée par les militants de l'EI, mais que cela pourrait sérieusement diminuer son « attrait pour ceux qui veulent prendre part aux attentats ».

Cependant, il a rappelé aussi que les états d'urgence avaient la « mauvaise habitude de ne jamais finir ».

« Je ne vois pas beaucoup de mesures juridiques antiterroristes susceptibles d'empêcher un attentat comme celui de Nice », a-t-il déploré.

« Un sentiment de résilience et de coopération entre société et gouvernement reste la meilleure arme contre le terrorisme. »

Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.

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