Non au tabac et au sexisme : un village irakien progressiste espère devenir un modèle national
DIWANIYA, Irak – La province de Diwaniya, dans le sud de l’Irak, est l’une des régions les plus pauvres du pays. La majorité de la population se compose d’agriculteurs, ce qui a rendu la sécheresse d’avril d’autant plus dévastatrice.
Les rues de la ville de Diwaniya, comme une grande partie du reste de l’Irak, sont couvertes de détritus et envahies par les gaz d’échappement et le ballet interminable des coups de klaxon.
Mais à proximité de la ville, dans le village d’al-Bu Nahid, les habitants cherchent à créer une nouvelle idée de ce à quoi l’Irak pourrait ressembler.
À l’entrée du village se trouvent deux panneaux – un en anglais et un en arabe – qui définissent un certain nombre de règles (libéralement imposées) à respecter dans le village :
Les règles :
1. Ne pas fumer
2. Ne pas engager de controverse religieuse
3. Ne pas klaxonner
4. Ne pas engager de débat sur les partis politiques
5. Respecter le code de la route
6. Ne pas couper d’arbres – « La protection de l’environnement est notre responsabilité »
Dans un pays où 30 % des hommes sont cliniquement obèses, al-Bu Nahid a interdit les sodas et organise un festival annuel de course à pied qui attire des milliers de participants.
Dans un pays où le pétrole est au cœur de l’économie et de la politique, al-Bu Nahid célèbre la Journée mondiale de l’environnement le 5 juin et organise des initiatives écologiques.
Dans un pays où le prix de l’essence est de 0,63 dollar le litre, à al-Bu Nahid, les vélos prennent la place des voitures en tant que moyens de transport privilégiés.
Les initiatives lancées par le village sont principalement le fruit de l’imagination de Kadim Hassoon, un ingénieur local qui a commencé à mettre en œuvre un certain nombre de projets dans le village après avoir voyagé en Europe et au Moyen-Orient, où il a découvert de nouvelles idées liées à la santé, aux attitudes sociales et à l’environnement.
Hassoon est rentré en 2014 après avoir passé dix-huit ans à Dubaï ; il a alors tenté de maintenir un programme physique axé sur la course à pied, malgré l’incrédulité des autres habitants.
« Tout le monde me regardait comme si j’étais une personne étrange, mais j’ai continué », a-t-il déclaré à Middle East Eye.
Paré d’un survêtement et de chaussures de course, il a poursuivi une routine régulière de course à pied dans le paysage rural.
« Au bout d’un mois, des personnes m’ont rejoint. Au bout de deux mois, cinq personnes couraient avec moi. Et honnêtement, au bout de six mois, la plupart des gens ici – en particulier les adolescents et les jeunes d’un peu plus de vingt ans – venaient courir avec moi. »
Alors que les sessions de course à pied gagnaient en popularité, les participants ont finalement eu l’idée de créer un « festival » consacré à la course à pied. Chaque année, des gens viennent de l’extérieur du village, notamment de la ville de Diwaniya, pour participer à l’événement – selon Hassoon, 3 000 s’y présentent régulièrement.
Le succès surprenant du festival, qui a également attiré l’attention des médias, a incité Hassoon à créer d’autres projets pour aborder ce qu’il considérait comme les différents maux sociaux affligeant son village et l’Irak dans son ensemble.
Des panneaux interdisant les coups de klaxon et le tabagisme – deux pratiques omniprésentes en Irak – sont disséminés dans le village. Hassoon tient à souligner que ces interdictions ne font pas l’objet d’une application autoritaire, mais que tout contrevenant encourt le risque d’être ostracisé par le reste du village, qui a soutenu ces changements avec enthousiasme.
C’est dans un petit bâtiment délabré proche de la rivière que la Maison de la Culture a été établie. À l’intérieur, des étagères contiennent des ouvrages de fiction ou autre qui couvrent une grande variété de sujets, ainsi que des supports créatifs pour des activités de peinture et des travaux manuels.
« J’ai créé la Maison de la Culture, puis j’ai ouvert une bibliothèque – beaucoup de gens dans le pays et à l’étranger me sont venus en aide en envoyant des livres, même depuis le Royaume-Uni, les États-Unis et la Suède, a raconté Hassoon. La plupart des bibliothèques de Bagdad m’ont envoyé des livres. »
En déambulant dans la Maison de la Culture, il a montré des œuvres créées par des enfants du village. Un artiste est récemment venu de Bagdad pour aider les enfants à produire une peinture célébrant le rôle de l’UNICEF.
Le mur est orné de photos de certains des mécènes d’al-Bu Nahid, dont l’auteure irako-britannique Emily Porter, qui a apporté un soutien financier aux initiatives du village.
« J’admire réellement les nouvelles choses qui se passent dans ce village – tout cela grâce aux efforts de Karim pour améliorer la situation avec l’aide des villageois », a confié Ali Ghanem, l’un des 750 habitants du village.
« Nous sentions que le sport nous était vraiment bénéfique, alors nous avons fait le championnat de 200 mètres. Ensuite, nous avons changé d’autres choses, nous avons interdit les sodas et le tabac.
« Nous sentions et nous sentons quelque chose de bon ici, dans ce village, et nous le voyons de nos propres yeux, alors que sur le terrain, nous voyons ce grand changement se produire dans ce village. »
« J’admire réellement les nouvelles choses qui se passent dans ce village – tout cela grâce aux efforts de Karim »
– Ali Ghanem, villageois
Le sectarisme et la marginalisation des femmes sont deux questions que Hassoon considère comme des points de friction majeurs dans la construction de sa communauté idéale.
« Dans cette région [le Moyen-Orient], je pense que les principales questions au sujet desquelles nous nous battons sont dues à la religion », a-t-il indiqué.
Selon lui, tous les problèmes majeurs qui affectent la région sont très souvent passés au prisme de la religion. Empêcher cette pratique constitue l’un des objectifs principaux du village.
« Certains me disent que je m’oppose à la religion – je leur réponds que non, que je ne suis pas contre la religion, que j’essaie de protéger leur religion. Je leur demande de laisser cette question de côté », a-t-il expliqué.
« Je leur dis qu’ils peuvent parler de religion s’ils le veulent, mais qu’ils doivent d’abord aller à la Maison de la Culture, prendre n’importe quel livre sur la religion et le lire. Après, ils pourront revenir et discuter de cette question. »
Quant à la question des femmes, la lutte a été selon lui encore plus difficile, en particulier compte tenu de la « mentalité » des habitants des villages du sud de l’Irak.
« Je réserve deux journées aux femmes à la Maison de la Culture, a-t-il expliqué. Pendant ces deux journées, les hommes n’ont pas le droit d’entrer, seules les femmes y sont autorisées. »
Les femmes du village ont accès à de nombreuses conférences et à des visites régulières de travailleurs d’ONG portant sur des questions sociales, médicales et psychologiques.
Par rapport aux autres villages, la ségrégation rigide entre les sexes qui affecte de nombreux domaines de la vie est assouplie.
Les femmes d’al-Bu Nahid vont dans la salle polyvalente du village, chose que l’on n’observe pas dans les autres communautés, où ces lieux sont réservés aux hommes, a indiqué Hassoon, en référence au grand bâtiment avec un toit en chaume situé à l’entrée du village.
« Nous avons enrayé cette problématique. Nous avons dit : “Non, il n’y a pas de différence entre elle et vous. Elle vit de la même manière, comme vous.”
« Mais cette problématique demande encore du temps », a-t-il ajouté.
« Ce n’est pas facile. Mais j’essaie. Au moins, j’essaie »
– Kadim Hassoon
Le succès et la diffusion progressive de la renommée d’al-Bu Nahid ont incité d’autres villages et villes à venir apprendre de ses initiatives.
Avec la défaite du groupe État islamique, l’Irak semble enfin sortir de l’ombre de la violence sectaire et de l’atmosphère de peur et de répression qui l’accompagne.
Alors que la guerre et la violence s’éloignent, les esprits irakiens ont commencé à se tourner vers les nombreux maux sociaux et économiques qui affligent leur pays.
Pour Hassoon, al-Bu Nahid présente un plan possible grâce auquel l’Irak pourrait commencer à se reconstruire et créer des communautés plus ouvertes et saines.
« Ce n’est pas facile, a-t-il confié. Mais j’essaie. Au moins, j’essaie. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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