Non jeûneurs marocains : « Au secours, le Ramadan, c'est ce week-end ! »
RABAT – Mourad, 19 ans, avait tout juste fumé sa cigarette matinale et sirotait tranquillement son café, à l’étage de la maison, lorsqu'il entendit la clé dans la serrure de la porte d’entrée. « J'ai paniqué. La porte s’est ouverte », raconte-t-il à Middle East Eye. « Ne sachant que faire, j'ai jeté le gobelet à moitié plein par la fenêtre. Un cri a retenti. C’était mon père. Il venait de recevoir le café sur la tête. »
Issu d'une famille qu'il qualifie de « traditionaliste mais pas particulièrement pieuse », Mourad n'avait jusqu'alors, jamais avoué à son entourage qu'il ne jeûnait pas durant le Ramadan.
Celui qui rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du Ramadan est puni d'un emprisonnement d'un à six mois
« Pendant ma première année à la faculté de lettres de l’Université de Casablanca, je fréquentais assidûment des étudiants gauchistes et je me suis peu à peu éloigné de la religion pour devenir athée », confie-t-il.
Inquiet des réactions de sa famille, il n’en avait rien dit. Du moins « jusqu'à ce jour où, face à mon père dégoulinant de café dont le regard disait toute sa désapprobation, et à ma mère qui me secouait en demandant des explications, j'ai dû prendre mon courage à deux mains pour tout leur avouer ».
Quelques semaines plus tard, ils ont fini par accepter que leur fils se détourne de la religion et ne jeûne pas pendant le Ramadan.
Une pratique punie par la loi
Comme de nombreux non jeûneurs, Mourad s’inquiète de l’approche du Ramadan, qu’il doit « vivre à l’abri des regards des voisins et des étudiants ». Car son cas, comme celui des autres non jeûneurs marocains, relève de l’exception, l'observation du jeûne étant une obligation strictement respectée au Maroc. Même si, depuis quelques années, les non jeûneurs revendiquent l'abrogation de l'article 222 du Code pénal, qui criminalise la rupture du jeûne en public.
« Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du Ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni d'un emprisonnement d'un à six mois », précise l'article.
Cet article de loi, que l'on retrouve dans la toute première version du Code pénal marocain, est entré en vigueur en 1963. Le législateur le justifiait alors par la nécessité de « réprimer une infraction grave aux prescriptions de la religion musulmane qui peut être l'occasion de désordre sérieux en raison de l'indignation qu'elle est susceptible de soulever dans le public. »
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La juriste Michèle Zirari, précise que « le code pénal marocain a été essentiellement rédigé par des magistrats français restés au Maroc après l'indépendance en 1956. Il a donc été grandement influencé par le droit français ».
D’après les témoignages qu’elle a recueillis auprès des rédacteurs du Code pénal marocain, la juriste relève qu’« ils ont pris la peine de rajouter des infractions spécifiques « pour qu'il soit vraiment marocain ». Et pour sanctionner ces infractions « exotiques », l’article 222.
Malgré cela, dans les années 1960, « les gens rompaient le jeûne en public. Il y avait encore beaucoup d'étrangers au Maroc et les cafés et restaurants étaient ouverts pendant le Ramadan. Les premières arrestations ont eu lieu vers 1965-1966 et au début, ça étonnait tout le monde ! », se souvient-elle. Mais au fil des années, « l'article 222 s'est peu à peu imposé, non seulement du fait de la crainte de poursuites judiciaires mais aussi de l'agressivité de certains jeûneurs qui réagissaient avec violence contre les non jeûneurs. »
Le poids de la société
En 2012, le mouvement Masayminch (Nous ne jeûnons pas) a été très médiatisé. Porté par des jeunes revendiquant leur droit à ne pas jeûner, le mouvement exigeait l'abrogation de l'article 222. Si le mouvement s'est quelque peu essoufflé, ses revendications sont désormais relayées par des activistes défendant les droits et les libertés individuelles.
Pour Younes, 30 ans, cinéaste marocain, « la fixette sur le Ramadan est culturelle et non religieuse ». « Au Sénégal, par exemple, ne pas faire le Ramadan est courant, mais ne pas faire la prière est mal vu. Au Maroc, c'est le contraire ».
Younes considère que « la ‘’radicalisation’’ des Marocains sur cette question s’est faite en réaction aux provocations d'une certaine gauche des années 1960, qui a transformé le Ramadan un terrain de combat idéologique. »
« On a m’a raconté qu’à l’époque, des jeunes de Fès qui entraient pour se rafraîchir dans l'enceinte des mosquées avaient droit à un ‘’Que Dieu vous guide sur le droit chemin, vous n'êtes plus en âge de manger durant le Ramadan’’, mais ça n’allait pas plus loin », raconte-t-il.
Nabil affirme qu’aujourd’hui, la police se charge de rappeler à l’ordre les touristes ou les Marocains étourdis. « Un jour, après un voyage particulièrement long en avion, j’ai allumé une cigarette en passant à la douane. Un douanier est venu vers moi pour me demander si j’étais juif. Quand je lui ai répondu que non, je n’étais pas juif, il m’a ordonné d’éteindre ma cigarette. »
« Je découvre que ma famille ne fait pas le Ramadan »
Les Marocains qui ne se conforment pas à l'obligation sociale du jeûne doivent donc… la contourner. Et à l’approche du Ramadan, ils se préparent, chacun à leur manière, à « endurer un calvaire » de trente jours.
« Durant le Ramadan, je jeûne en présence d'autrui et je me dépêche de rentrer chez moi pour vivre à mon aise », raconte Islah, qui a cessé de jeûner depuis... ses 15 ans.
« Un jour, alors que j’essayais de voler quelques restes dans la cuisine, je suis tombée nez à nez sur mon père qui tentait de faire la même chose ! »
-Islah, non jeûneuse
« Je n'étais pas à proprement parler athée mais j'avais de sérieux doutes sur ma foi. Une fois, j’ai rompu le jeûne en pleine journée, et puis j’ai recommencé. Plus je le faisais, plus le jeûne me semblait absurde », confie-t-elle à MEE.
« La religion n’a jamais occupé une grande place dans la famille et mes parents étaient plus progressistes que la plupart des autres adultes que je connaissais mais je les pensais musulmans. Un jour, alors que j’essayais de voler quelques restes dans la cuisine, je suis tombée nez à nez sur mon père qui tentait de faire la même chose ! »
En leur avouant qu’elle ne croyait pas en Dieu, Islah découvre alors que ses parents maintenaient l'artifice du Ramadan uniquement pour son frère et elle.
« Ces révélations nous ont permis de vivre le Ramadan en famille avec plus de transparence, sans mascarade, même si mon frère a choisi de jeûner. »
Hypocrisie sociale ?
« Je n'ai pas reçu d’éducation religieuse et très tôt, j'ai renié l’existence de Dieu », confie Sarah, 26 ans. « Lycéenne, je n’ai pas accepté qu'on m'impose le jeûne alors que dans la famille, on ne le pratiquait pas vraiment. C'est d’ailleurs l'excuse que j'ai donnée à ma mère le jour où elle a découvert que je ne jeûnais pas. Je trouvais cette manière de s’attacher au jeûne et de délaisser la prière un peu hypocrite », relate-t-elle.
Un avis partagé par Mourad. « Mon père fume, consomme occasionnellement de l’alcool et ne fait jamais la prière. Ma mère porte le voile et prie. Elle a plus facilement accepté le fait que je ne jeûne pas que mon père, qui me répétait que si je voulais aller en enfer, ça n’engageait que moi, mais que je n’avais pas le droit de ne pas jeûner sous ce toit », raconte-t-il.
Malgré les menaces de la loi, quelques restaurants et cafés dans les grandes villes contournent cette obligation et servent nourriture et boissons (non alcoolisées) aux non jeûneurs, en particulier dans les chaînes internationales.
« Quand je fréquentais encore le lycée, je prenais mon déjeuner chez McDonald’s », raconte Sarah. « Je me souviens encore de la serveuse. Les trois premiers jours, tout allait bien. Mais le quatrième jour, son regard a changé. Au bout du dixième jour, elle a dû se dire que je ne pouvais pas être indisposée aussi longtemps [les femmes sont autorisées à ne pas jeûner pendant leur cycle menstruel] alors elle ne m’a plus souri. Mais elle a continué à me servir ! »
D’autres sont moins chanceux. Pour casser la croûte en toute discrétion, au domicile familial, à l’université ou au travail, ils se retrouvent souvent dans… les toilettes, cachette de prédilection du non jeûneur marocain. Au point que le sujet est devenu un motif d’(auto)dérision.
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