À Paris, la jeunesse interroge le « vivre-ensemble »
Paris se réveille glacée et pour tout dire endolorie par les attentats qui ont ensanglanté ses rues. Dans le métro, on demeure frappé par le silence, les ombres fugitives qui glissent et fuient rapidement. Des soldats lourdement armés sont postés au coin des couloirs blafards, le regard fixe, la mitraillette aux aguets. Les regards qui d’habitude s’évitent se font scrutateurs. À chaque fois que les portes s’ouvrent, tous sont sur le qui-vive. Les parisiens si grondeurs parfois, sont calmes et précautionneux dans ces rames de métro étonnement vides. Reviennent alors en tête les mots de Brel, qui parlait « de ces métros remplis de noyés ».
Partout la peur, les mots, les bougies
Dans la rue, une fois sorti à l’air libre, les téléphones crépitent, pour rassurer, pour se rassurer : « Oui j’ai pris le métro, mais ça va, je suis arrivée », glisse Anne, employée de bureau de 33 ans, qui marchant le long de la rue Lafayette, rassure ainsi sa mère à Lyon. « On doit continuer à vivre, faire les choses normalement, sinon, ça signifie qu’ils ont réussi. J’ai peur, je suis même terrifiée, je regarde tout le monde dans le métro, mais je n’ai pas le choix aussi », explique-t-elle à MEE.
Dans le quartier d’Oberkampf, cosmopolite et jeune, à quelques rues des lieux des attentats, deux trentenaires sont installés à la terrasse devant une pinte de bière. Il est à peine 9h30, l’air est frais. « On sait, ça peut paraître pas grand-chose, mais boire un verre en terrasse fait partie de ces petits actes qui font qu’on dit à ces gens : "on ne se laissera pas faire ". On va travailler là, mais on tenait à faire ce geste symbolique». Et les deux parisiens de lever leur verre en direction des passants.
Rue Charonne, des monceaux de fleurs, de bougies, de mots épars devant le restaurant La Belle équipe, où 19 personnes ont trouvé la mort. Ilyes est venu avec son amie Marie. Ils tiennent à deux un bouquet de fleurs soigneusement emballé : « Quand j’ai dit au fleuriste que c’était pour les victimes des attentats, il a ajouté des lys blancs », murmure Marie. Ilyes, d’origine marocaine, 25 ans, finit ses études d’ingénieur. Il habite à quelques pas, connaissait bien ce restaurant où il avait même eu l’occasion de fêter son anniversaire : « Le patron a perdu sa femme et 8 autres proches, amis ou employés. C’est un village ce quartier, on se connaissait tous. C’est comme ça Paris, des petits villages agglomérés. Je ne comprends pas ces actes, vraiment, je ne comprends pas. Au boulot, on m’a demandé si ma religion justifiait cela, j’ai juste baissé la tête ». Ilyes essuie une larme, Marie lui prend la main, ils s’éloignent.
Boulevard Voltaire, devant le Bataclan, ces mêmes roses, ces mêmes mots, ces mêmes bougies, ces mêmes regards apeurés. Sarah aussi est là, elle a tenu, presque en pèlerinage symbolique, à se rendre à chacun des endroits où la mort s’est déversée, dans le 10e et 11earrondissement. Sarah a 31 ans, c’est une jolie jeune femme aux cheveux relevés, entourés d’un foulard de soie aux couleurs vives. Elle habite le 11e arrondissement, « mon quartier depuis toujours » souffle-t-elle nerveusement. « C’est le quartier de la jeunesse mélangée et populaire; tous les soirs ou presque, les terrasses sont pleines, les restaurants turcs, français, italiens, arabes, libanais sont remplis de monde. Ces terroristes ont voulu tuer mais aussi massacrer un certain modèle de vie, le nôtre. On ne les laissera pas faire. La fille d’un collègue était au Bataclan ; tous on peut dire qu’on connait quelqu’un qui directement ou indirectement a été touché. »
Dans le quartier Latin, le cœur étudiant de Paris, l’ambiance est autre. Dans les cafés, un groupe de jeunes étudiants discutent, tentant de mettre de la distance intellectuelle entre les événements et eux. Paul, 23 ans est en masters à Sciences po, il tente de théoriser les attentats par de grandes références à Clausewitz et à son art de la guerre. « Le terrorisme est devenu la continuation de la politique par d’autres moyens. Ce n’est pas que de la pure folie, il faut comprendre aussi leurs motivations pour mieux les combattre ». Margot, 20 ans, étudiante en Lettres dans la Sorbonne voisine, le fait taire d’un geste : « Arrête, qu’est-ce que tu veux comprendre à des gestes pareils. François Hollande a raison, nous sommes en guerre et il n’y a rien d’autre à faire qu’aller les bombarder ». Lylia, 19 ans, esquisse une timide protestation : « Et puis quoi, les enrager encore plus ? Si on bombarde plus, on aura plus de représailles, faut arrêter à un moment ». Les cafés arrivent enfin dans l’ambiance électrique. Alors Marine Le Pen ou pas en 2017 ? glisse-t-on. Paul hausse les épaules : « Elle dit des choses pas fausses ; mais je le vois mal au pouvoir. Il faut nous rassembler, pas nous séparer. Son programme repose sur ça ».
Dans les quartiers populaires…
Plus au nord, dans le Paris du 18e arrondissement, rue Barbès, le quartier est comme suspendu aussi. Dans cette partie très populaire de la capitale, symbole du Paris arabe et africain, Tarik tient le magasin de tissus du coin, il offre un thé, soupire et remarque : « ça va nous retomber dessus tout ça. Ma fille est allée hier à son cours d’arabe de la mosquée, on lui a dit de rentrer, que le cours était annulé. J’entends déjà que des actes contre les musulmans se sont multipliés après les attentats. Mais il y a avait des musulmans parmi les victimes non ? On est doublement pris au piège». Sa fille justement, Alya arrive du lycée. C’est une adolescente de 15 ans qui visiblement a des choses à dire : « Pourquoi ça serait de ma faute à moi ? Je n’ai rien fait, je suis née en France. Pourquoi dès qu’on parle de terrorisme, c’est nous et seulement nous. Et la France elle fait quoi en Syrie ? On a demandé à notre prof d’histoire si les bombardements ne touchaient pas aussi les civils syriens. Elle était gênée la prof… ». Son père soupire à nouveau: « mais c’est vrai Papa, faut le dire ça… ».
Un peu plus loin, la rue Myrha rendue célèbre par les prières qui débordaient dans la rue le vendredi faute de place dans la mosquée trop petite, et que Marine Le Pen avait comparé à l’occupation allemande. Sofiane, 27 ans, vendeur à la sauvette de Malboros glisse : « Moi je suis Tunisien. Je suis arrivé il y a deux ans. Ma sœur habite en banlieue à Bobigny. Je sais ce que vivent les Parisiens. On a connu ça nous aussi, les attentats, les fous. Mais ils ne sont pas musulmans, ce n’est pas vrai, je n’y crois pas. Je ne sais pas en fait…peut être qu’ils le sont, mais ce sont alors de drôles de musulmans».
À La Courneuve, dans la cité des 4000, vaste ensemble d’immeubles où une population défavorisée vit à la périphérie de Paris, Marwan, Dalil et Anthony sont attablés devant des cafés. Marwan a 28 ans, il a repris des études, il se dit musulman pratiquant « mais tranquille » insiste-t-il. Ses deux amis, Dalil le sénégalais et Anthony le turco-franco-portugais, (« oui c’est possible s’amuse-t-il) le tancent : « arrête de te justifier, ce n’était pas toi au Bataclan, non ? Laisse dire les gens, de toute façon, on sait nous que les musulmans ici sont tranquilles. Mais on aura beau le dire et redire, ça changera rien ». Marwan argumente pourtant : « Toi tu ne sais pas ce que c’est que d’être musulman ici. Tu es là, tranquille, avec juste une petite barbe bien taillé et tu as l’impression que tu es un criminel. Hier je suis monté dans le métro, une dame est descendue en me regardant, ça va pas ! Je n’ai rien fait moi ».
Et maintenant ?
Madjid Messaoudène est un élu du Parti de gauche dans la ville de Saint-Denis, là où se trouve le stade de France. D’origine algérienne, il est un représentant typique de cette jeunesse issue de l’immigration et qui entend bien faire entendre sa voix dans le concert politique français : « Quand j’ai compris que c’était des attentats, je me suis dit : inshallah, ce n’est pas un Arabe. Et là, bingo, c’en étaient 8 », ironise-t-il. Mais l’analyse reprend vite le pas : « Ces gens ont voulu atteindre le peuple dans sa chair, dans sa diversité. Il nous faut absolument repenser notre politique étrangère, nous intervenons en Syrie, en Irak et nous pensons bien naïvement que cela ne va pas nous retomber dessus ? On a bombardé Raqqa, mais comment bombarder une ville sans tuer des civils. Expliquez-moi ? Le coût politique et humain de ces opérations au Moyen-Orient est trop élevé. Tout expliquer par le prisme de la folie djihadiste, dire que ces gens sont juste perdus, sans élargir à nos interventions, c’est manquer de respect aux victimes. Et puis on se jette encore sur l’occasion de taper encore sur les musulmans. La cohésion nationale est plus que jamais fissurée, mise à mal. Pourquoi des jeunes nés en Normandie, en Essonne, à Paris partent-ils en Syrie. Pourquoi est-ce la France et non la Suède ou le Portugal qui est attaquée. Il nous faut des réponses, et pas seulement sécuritaires, comme c’est le cas en ce moment », déclare-t-il à MEE.
Samia Hathroubi, militante associative, est d'accord, elle qui milite activement pour le dialogue inter-religieux: « Je n’ai pas été surprise par les attentats mais par leur ampleur. Comment sont-ils parvenus jusqu’au centre de Paris ?»
« J’ai été choquée par les discours qui nous demandaient encore une fois de nous désolidariser de ces attentats. Mais c’est évident, pourquoi encore ce regard de suspicion. Et puis il nous faut comprendre que ce monde est globalisé : comment a-t-on pu penser que la terreur pouvait s’arrêter à nos portes. Autre question, pourquoi des personnes en France cèdent aux sirènes de Daesh ? On n’est juste en train de récolter ce qu’on a semé depuis des années. Les gens se recroquevillent sur des identités fantasmées. Mais les victimes sont à l’image de la France : jeune et multiculturelle. C’est ça que les terroristes ont visé. Et par là nous sommes tous victimes de ce terrorisme en tant que Français. Mais j’ai par exemple une amie, Fatoumata, voilée, qui ne sort plus de chez elle depuis deux jours. On ne vit pas la même chose, elle et moi. Evidemment, moi je suis moins visible qu’elle, mais il ne faut pas céder devant eux. »
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