Père Tom Uzhunnalil : pas de liberté pour l’un des rares prêtres au Yémen
L’incertitude entoure le sort du père Tom Uzhunnalil, missionnaire indien au Yémen, qui est toujours détenu par des assaillants inconnus, malgré les annonces récentes de sa libération prochaine.
Il y a deux semaines, le pape François s’est adressé directement aux ravisseurs. Plus tôt ce mois-ci, la ministre indienne des Affaires étrangères Sushma Swaraj a déclaré qu’elle avait obtenu la libération d’Uzhunnalil, mais que la date et les détails de celle-ci restaient inconnus.
Le vice-provincial des salésiens de Don Bosco à Bangalore, où Uzhunnalil a vécu au cours des années qui ont suivi son ordination, a fait part à Middle East Eye de son désarroi au sujet de l’enlèvement, mais a déclaré que les rumeurs circulant sur les médias sociaux selon lesquelles Uzhunnalil avait été crucifié étaient infondées.
« Nous prions pour qu’il revienne vite. Cette paroisse est comme une famille pour nous et nous voulons le voir rentrer en toute sécurité, a-t-il confié par téléphone. Nous faisons bien sûr tout notre possible pour obtenir sa libération. »
Mais alors que les fidèles continuent d’espérer qu’Uzhunnalil puisse rentrer chez lui, l’affaire a suscité des préoccupations quant au fait que de nombreux endroits dans le monde, en particulier au Moyen-Orient, seraient tout simplement devenus trop dangereux pour les missionnaires chrétiens et le clergé.
Le raid de mars lors duquel Uzhunnalil a été enlevé a été particulièrement sanglant. Lorsque des hommes armés ont fait irruption chez les missionnaires de la Charité de Mère Teresa, dans la ville méridionale d’Aden, qui servait de foyer pour personnes âgées, ils y ont tué seize personnes, dont quatre religieuses, avant d’enlever Uzhunnalil.
Sœur Sally a été la seule religieuse à avoir pu s’échapper saine et sauve en se cachant dans la chambre froide du foyer, où les médicaments étaient conservés. Après avoir quitté Aden, elle a été bloquée dans une base de missionnaires en Jordanie ; en effet, l’Inde ne dispose pas de consulat dans le pays, rendant son retour difficile.
Aucun groupe n’a revendiqué publiquement l’attaque, bien que l’on sache que le groupe État islamique et al-Qaïda ont tous deux établi leur présence à Aden depuis que la ville a été libérée des rebelles houthis par une coalition dirigée par l’Arabie saoudite.
« [Uzhunnalil] est une personne attentionnée et dévouée et a toujours placé le ministère et la mission au-dessus de tout », a confié à MEE le frère Jose, qui connaît Uzhunnalil depuis plus de 32 ans et qui a travaillé étroitement avec lui à Bangalore.
« De nombreux chrétiens ont fui après le début de la guerre, mais il est resté et a régulièrement prononcé des messes pour la communauté chrétienne de plus en plus réduite, les personnes âgées et les sœurs de la charité. »
La congrégation des salésiens de Don Bosco, où Uzhunnalil a servi pendant 38 ans, est une congrégation catholique fondée au milieu du XIXe siècle par saint Jean Bosco en Italie pour venir en aide aux populations démunies et désespérées qui n’avaient pas accès au logement ou à l’éducation.
Avec plus de 32 000 représentants dans près de 130 pays, ils disposent d’une présence significative au Moyen-Orient mais éprouvent de plus en plus de difficultés à opérer dans de nombreux endroits.
En tant que seule organisation ayant la permission d’opérer légalement dans un pays majoritairement musulman, les salésiens géraient trois autres centres, à Ta’izz, Sanaa et Hodeidah, en plus de celui d’Aden. Après que la guerre a éclaté en 2015, ils ont mis fin à leurs activités à Ta’izz et Hodeidah, mais ils ont continué à œuvrer pour les plus démunis, les personnes âgées, les jeunes et les communautés marginalisées à Sanaa et Aden.
La demande pour leurs services a augmenté au cours de la dernière année, mais leur capacité à mener à bien leurs activités a été limitée par la détérioration de la situation sécuritaire à travers le Yémen. L’État islamique et al-Qaïda ont tous deux multiplié les attaques, ciblant les politiciens, les mosquées et les civils.
Les choses n’ont pas toujours été comme ça. Lorsque la révolution a éclaté en 2011, beaucoup de chrétiens ont choisi de rester. Jusqu’en mars 2015, lorsque la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a commencé à bombarder des positions houthies au Yémen, certaines églises tenaient des messes du dimanche où affluaient des expatriés originaires des Philippines, d’Inde et d’Occident. Les chrétiens yéménites, qui comptent moins de 10 000 représentants parmi une population de 24,5 millions d’habitants, sont pour la plupart d’anciens musulmans convertis ; cependant, une importante communauté d’expatriés composée de travailleurs en provenance d’Afrique et de réfugiés éthiopiens prospérait également dans le pays.
Abdo Elfgeeh, un Yéméno-Américain qui a grandi au Yémen, garde un bon souvenir d’une ville de Sanaa où chrétiens et musulmans se mélangeaient et vivaient dans les mêmes rues.
« Les majorités musulmanes locales protégeaient les chrétiens », a expliqué Elfgeeh.
« Nous ne savons toujours pas clairement qui a fait cela, a indiqué Jose. Nous ne savons pas si c’est l’État islamique, al-Qaïda ou un autre groupe. »
La confusion était forte au cours de l’attaque, les témoins affirmant qu’ils ne savaient pas au départ pourquoi les religieuses avaient été tuées et le prêtre enlevé. Quand un homme a posé la question, cependant, la réponse était on ne plus claire : « Ce sont des chrétiens », aurait crié un homme armé.
Après le début de la guerre en mars dernier, les destructions et le vandalisme contre les antiquités ecclésiales se sont répandus, entraînant le déclin de la communauté. L’église de la Sainte-Famille à Aden, où Uzhunnalil prononçait les messes quotidiennes, a été menacée à plusieurs reprises avant le raid final. En septembre, des assaillants masqués ont incendié une église catholique romane à Aden.
« Uzhunnalil était conscient que de mauvaises choses pouvaient se produire, mais il est resté malgré tout. Il disait aux autres : "nous sommes en danger, tenez-vous prêts pour tout ce qui pourrait arriver". Pourtant, en sachant tout cela, il est resté au Yémen », a raconté Jose.
L’escalade des conflits à travers le Moyen-Orient et l’Afrique a été une mauvaise nouvelle pour les communautés chrétiennes immigrées, anciennes et plus récentes, de la région. Les racines de cette question sont complexes dans la mesure où les tensions religieuses, sociales et ethniques jouent toutes un rôle et les sentiments anticolonialistes sont également importants.
Selon Open Doors UK, une organisation consacrée aux chrétiens et aux églises touchés par l’oppression dans le monde entier, la persécution contre les chrétiens dans la région a doublé depuis 2013, bien que toutes les minorités aient été victimes d’oppression face à une explosion de la violence.
À l’échelle mondiale, l’ONU indique que 60 millions de personnes ont été déplacées à la suite d’attaques contre la communauté chrétienne, un chiffre record. Le Yémen est considéré comme le 11e endroit le plus dangereux au monde pour un chrétien, l’Irak étant 2e, la Syrie 5e et la Libye 10e, selon la World Watch List d’Open Doors consacrée à la persécution des chrétiens.
Avant l’exode yéménite, en 2014, les chrétiens avaient été forcés de partir de chez eux pour échapper à l’emprise de l’État islamique en Irak et en Syrie. Depuis le début de la guerre civile, plus d’un million de chrétiens ont fui la Syrie, confrontés à des attaques régulières, à des abus sexuels et à des enlèvements perpétrés par les miliciens, bien qu’encore une fois, toutes les composantes de la société aient terriblement souffert des violences.
Même dans les territoires ne subissant pas l’hégémonie de l’État islamique, en Irak, en Syrie et au Yémen, le système juridique est fondé sur la charia (loi islamique) et interdit les musulmans de se détourner de l’islam, une loi qui est de plus en plus appliquée.
« Le "nettoyage" infligé aux chrétiens dans de nombreux endroits du Moyen-Orient donnera lieu à des sociétés moins hétérogènes et réduira la possibilité de voir des sociétés pacifiques », a affirmé à Middle East Eye Nick Baines, évêque de Leeds.
Les missionnaires « risquent leur vie »
Face à un climat devenu plus hostile, le débat s’est intensifié autour du rôle que les missionnaires et les prêtres devraient jouer.
Baines a déclaré que cela « dépendait [fortement] de ce pour quoi – ou ceux pour qui – ils risquent leur vie ».
D’une part, « les chrétiens commencent avec une théologie prônant l’abnégation et le sacrifice de soi » ; ainsi, « le danger n’a pas nécessairement un effet dissuasif sur leur volonté d’aider ceux qui sont touchés par la guerre et les conflits. Cependant, une question plus grave consiste à savoir si en se trouvant là, ils [les missionnaires et le clergé] ne mettent pas la vie des autres davantage en danger », a expliqué Baines.
À Bagdad, Mgr Michael Nazir Ali a raconté qu’il avait vu des religieuses travailler dans certaines des églises et des communautés les plus précaires, sans aucune sécurité. Quand il leur a demandé qui assurait leur sécurité, elles ont répondu que leur service était le seul sur lequel certains membres de ces communautés pouvaient se reposer.
« Bien sûr, il y a de la peur et des risques pour les communautés dans lesquelles nous travaillons, mais si nous avions peur, nous ne pourrions rien accomplir », a-t-il expliqué.
Bien qu’il n’y ait pas de réponse simple à la question de savoir si la présence des chrétiens met les communautés locales en danger, Nazir Ali a indiqué qu’« il y avait des chrétiens sages et des chrétiens imprudents ».
« Auparavant, nous avions des évangélistes américains qui sont arrivés en Irak et au Pakistan et qui y ont fait des choses inacceptables », a-t-il précisé.
Dans l’ensemble, cependant, les missionnaires sont utiles aux communautés vulnérables en venant en aide aux personnes handicapées, aux pauvres et aux plus démunis, ce qui signifie que beaucoup continueront de faire leur travail indépendamment du risque, a-t-il expliqué.
Jose a indiqué qu’il reste encore un prêtre salésien à Sanaa, au Yémen, mais a refusé de divulguer son nom ou le lieu où il se trouve pour des raisons de sécurité.
En Syrie, Pascal Bedros, de l’ordre des Focolari, revient inlassablement sur la ligne de front à Alep, où il œuvre pour tenter d’atténuer les souffrances et les destructions depuis le début de la révolution, en 2011. Malgré les obstacles, il a affirmé être déterminé à rester quoi qu’il arrive.
« Quand nous partons le matin, nous ne sommes pas sûrs de rentrer », a-t-il confié.
« Mais les jeunes et les enfants essaient toujours de trouver quelque chose à célébrer. [Et c’est] pourquoi nous faisons cela : parce que le seul but d’être ensemble est une raison de vivre. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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