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Plongée dans les eaux de Tiran : les excursions en mer Rouge mises en péril par la cession des îles

Les plongeurs et les guides touristiques de Charm el-Cheikh évoquent Tiran après la ratification par le président égyptien du transfert des îles à l’Arabie saoudite
Un touriste regarde l’île de Tiran depuis un yacht en avril 2016 (MEE/Darwish)

SINAÏ – Eissa Mohamed, moniteur de plongée basé à Sharks Bay dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, emmène des touristes en excursions sous-marines autour de l’île de Tiran dans la mer Rouge depuis 1998.

« Depuis que je suis arrivé, je ne plonge plus qu’à Tiran. Bien sûr, Ras Mohamed est beau, mais Tiran est Tiran », a-t-il déclaré.

« Les gens viennent [à Charm el-Cheikh] pour plonger à Tiran »

– Eissa Mohamed, moniteur de plongée

Tiran est l’une des deux îles inhabitées situées dans une région stratégique de la mer Rouge bordée par Israël, la Jordanie, l’Égypte et l’Arabie saoudite. Tiran et Sanafir ont été au centre d’un accord controversé de cession à l’Arabie saoudite, lequel a suscité des manifestations et une indignation à l’encontre du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.

Eissa Mohamed, moniteur de plongée, inspecte son équipement à Sharks Bay sur la mer Rouge (MEE/Darwish)

Eissa et d’autres plongeurs affirment qu’ils n’ont pas pu s’approcher de l’île depuis le 16 juin, après que les autorités ont interdit les excursions de plongée et la pêche à proximité de l’île. La décision a été prise quelques jours après que le Parlement égyptien a approuvé le transfert des îles en faveur de l’Arabie saoudite.

Les forces navales égyptiennes surveillent l’île, indiquant aux visiteurs de rester à au moins un kilomètre des côtes.

« Les mesures de sécurité sont évidemment strictes [et] nous ne pouvons même pas nous approcher de Tiran, ce qui est très déconcertant »

– Eissa Mohamed, moniteur de plongée

« Avant nous pouvions nous approcher de l’île et plonger là-bas. Il était encore interdit d’accoster sur l’île, mais certains se faufilaient, se reposaient un peu sur le sable ou marchaient sur quelques mètres, mais rien de plus, de sorte qu’ils ne se faisaient pas prendre », a rapporté Eissa. « Mais aujourd’hui, les mesures de sécurité sont évidemment strictes [et] nous ne pouvons même pas nous approcher de Tiran, ce qui est très très déconcertant. »

Les îles ont été prises par Israël lors de la guerre de 1967 avant d’être rendues à l’Égypte en vertu des Accords de Camp David de 1979. Les forces de sécurité égyptiennes ont été déployées dans les îles avec les troupes de maintien de la paix de l’ONU, suite au traité de 1979.

Un touriste face à l’île de Tiran sur un yacht en mer Rouge (MEE/Darwish)

Eissa craint que si d’autres restrictions sont mises en œuvre concernant la plongée dans les eaux de Tiran, le secteur du tourisme déjà en déclin dans les stations balnéaires de la mer Rouge pourrait s’effondrer de 80 %. « Ce sera un désastre, une catastrophe », a-t-il déploré.

Khaled Ali, ancien candidat à la présidence et avocat qui est à la tête de l’affaire contre le transfert des îles, a déclaré à Middle East Eye que les détails de l’accord avec l’Arabie saoudite, notamment les restrictions et la façon dont la frontière maritime entre les deux pays sera dessinée, n’ont pas été divulgués que ce soit à lui ou au public.

Les prix pour les excursions de plongée dans les eaux de Tiran vont d’environ 13 euros pour les touristes égyptiens à environ 22 euros pour les étrangers.

Selon les statistiques officielles, le nombre de touristes étrangers en Égypte a diminué d’environ 51 % au premier semestre 2016 par rapport à 2015.

Un touriste attend son tour de plonger avec masque et tuba en mer Rouge en avril 2016 (MEE/Darwish)

Eissa explique que Charm el-Cheikh est célèbre pour deux attractions : Tiran, très populaire parmi les touristes, et le parc national de Ras Mohamed. Les visiteurs peuvent profiter de la plongée sur les deux sites.

Selon Eissa, si les touristes passent cinq jours à Charm el-Cheikh, ils lui demandent généralement de faire des excursions à Tiran pendant quatre jours sur cinq.

« Les gens viennent [à Charm el-Cheikh] pour plonger à Tiran », a-t-il affirmé.

Les eaux claires de Tiran offrent aux touristes une grande variété de récifs coralliens et de créatures maritimes, comme les requins tigres et marteaux ainsi que les tortues marines. Lors des bons jours, ils peuvent même voir un banc de dauphins qui saute dans les vagues.

Des touristes marchent sur un pont sur la mer Rouge, avec l’île de Tiran en arrière-plan (MEE/Darwish)

Mokhtar Mohamed, moniteur de plongée qui vient de sortir de l’eau, a déclaré que les eaux de Tiran conviennent à tous les niveaux de plongée. Il a souligné que la lagune du nord de Tiran est idéale pour les débutants, car elle n’est profonde que de cinq ou six mètres.

« Tiran appartient à l’Égypte »

Le 24 juin, Sissi a ratifié les traités relatifs à la frontière maritime après l’approbation par le Parlement de l’accord, lequel a fait l’objet d’une bataille juridique confuse : un tribunal annulant le traité et un autre le confirmant.

L’année dernière, le gouvernement de Sissi a annoncé l’accord maritime avec l’Arabie saoudite, un allié qui a versé des milliards de dollars d’aide à l’Égypte. Les gouvernements égyptien et saoudien prétendent que les îles sont saoudiennes mais ont été louées à l’Égypte pour se protéger.

Cependant, un guide touristique de 31 ans, qui a préféré conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité, croit que les îles ont toujours été égyptiennes et insiste sur ce fait devant les touristes dès qu’il le peut.

« Nous voyons Tiran à l’œil nu depuis Charm el-Cheikh. Les Saoudiens ne peuvent le voir qu’en utilisant un télescope depuis la frontière la plus proche entre nous », a-t-il déclaré à MEE.

Le 25 juin, il était avec un groupe de touristes se dirigeant vers l’île de Tiran lorsqu’ils ont été arrêtés par les forces de sécurité et ont reçu l’ordre de rester à une distance d’un kilomètre de l’île.

Le pavillon égyptien sur un bateau dans les eaux de Tiran avant la restriction d’accès à l’île en avril 2016 (MEE/Darwish)

Les touristes étaient frustrés, car ils avaient spécialement réservé une excursion pour se rapprocher de l’île et plonger dans ses eaux immaculées. « Les touristes sur le bateau se sont plaints », a-t-il indiqué.

Il prévoit une diminution de 25 % de ses revenus suite aux dernières restrictions sur la plongée près des îles. Les guides touristiques gagnent en moyenne 15 euros par jour en excursion à Tiran.

Il soutient également que, avec l’île de Tiran inaccessible, la réserve naturelle de Ras Mohamed dans le Sinaï accueillera le double de visiteurs, ce qui pourrait endommager sa vie marine.

Un bédouin local, qui préférait conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité, pilote une vedette de Ras Gamila sur la mer Rouge à Tiran. Il a parlé de la frustration qu’il avait ressentie devant le fait que les habitants du coin n’ont pas su adopter une position forte contre la décision de céder les îles.

« Si seulement nous [dans le sud du Sinaï] étions unis et que nous nous étions opposés à la cession [des îles] … mais il n’y a que des tribus ici », a-t-il dit.

Il a ajouté que les pêcheurs locaux qui vivaient de la prise de poissons dans les eaux entre Tiran et Sanafir ont également été touchés après l’interdiction de la pêche par le gouvernement dans la région.

Histoire des îles

Toutefois, tout le monde n’est pas d’accord sur l’identité des propriétaires légitimes des îles. Lors d’un voyage en bateau séparé de Sharks Bay à Tiran, Belal Mohamed, un moniteur de plongée qui travaille à Charm el-Cheikh depuis 2005, a expliqué aux touristes que Tiran appartient à l’Arabie saoudite.

« Elle [Tiran] incarne la beauté, avec ses coins et ses récifs, il n’y a pas de mots pour décrire à quel point c’est fascinant »

– Eissa Mohamed, moniteur de plongée

« Je tiens cette information de mes propres instructeurs qui étaient basés à Charm el-Cheikh longtemps avant ma génération de plongeurs », a-t-il déclaré à MEE.

L’histoire des îles est contestée : l’Égypte avait revendiqué ces îles et y avait établi des installations militaires en 1949. Les îles sont situées à trois milles de la côte égyptienne et à quatre milles de l’Arabie saoudite.

Ayman Hamza, un moniteur de plongée, a déclaré avoir appris d’anciens instructeurs que les îles ne sont ni égyptiennes ni saoudiennes parce que les citoyens ne peuvent y accoster.

« Nous dirons simplement aux touristes lors de notre présentation générale que c’est l’île de Tiran à la frontière entre l’Égypte et l’Arabie saoudite », a-t-il déclaré.

Même si Belal Mohamed passait la plupart de ses excursions de plongée à Tiran pour sa superbe vie marine, il a indiqué que les eaux de l’île peuvent être remplacées par d’autres sites de plongée similaires, comme la région appelée Hadabet Om El-Seed à Charm el-Cheikh.

« Ainsi, avec ce changement, nous ne sommes pas spoliés », a-t-il déclaré. « Nous conservons une diversité. »

Mais pour les autres plongeurs, Tiran appartient à l’Égypte et sa beauté est irremplaçable.

« Elle [Tiran] incarne la beauté, avec ses coins et ses récifs, il n’y a pas de mots pour décrire à quel point c’est fascinant », a déclaré Eissa Mohamed.

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