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Pour Israël, le développement de l’influence iranienne en Syrie représente une montée des risques

D’anciens diplomates israéliens expliquent l’inquiétude de plus en plus prononcée d’Israël face à l’influence grandissante de l’Iran dans une Syrie déchirée par la guerre
L’épave d’un char dans le secteur du plateau du Golan occupé par Israël, face au village syrien de Hadar, le 17 avril 2016 (AFP)

Les inquiétudes israéliennes au sujet de la guerre civile syrienne s’intensifient à cause de l’influence grandissante exercée par l’Iran et ses alliés chez leur voisin du Nord, selon plusieurs anciens diplomates qui se sont entretenus avec Middle East Eye.

Au cours des cinq années sanglantes de la guerre civile de Syrie, qui a vu périr plus de 250 000 personnes, Israël a toujours affirmé n’avoir nulle autre stratégie que celle de rester neutre.

Cependant, tandis que l’Iran, son ennemi dans la région, joue un rôle clef dans la protection de son propre allié le président Bachar al-Assad, Israël se montre de plus en plus inquiet face à ce qui se trouve de l’autre côté de sa frontière nord, suscitant ainsi l’adoption d’une approche plus attentive de ce conflit, selon un ancien haut diplomate.

« Les services de sécurité israéliens pensent que la principale menace pour Israël en Syrie est en fait l’Iran, accompagné de ses alliés locaux comme le Hezbollah, a affirmé Tzvi Magen, ancien diplomate et maintenant directeur de recherche à l’Institut israélien pour la sécurité nationale.

« Ce qui préoccupe Israël, c’est surtout la force de l’axe iranien qui a tendance à s’intensifier. »

Bien que Bachar al-Assad ne compte pas parmi les amis d’Israël, la frontière située entre les territoires syriens et ceux occupés par Israël sur le plateau du Golan avait une réputation de calme et de stabilité lorsqu’il était aux commandes.

La stabilité frontalière assurée dans le passé par le gouvernement Assad a poussé certains décideurs israéliens à considérer le président syrien comme un « ennemi connu » et donc comme une option plus sûre que n’importe quel nouveau protagoniste, qu’il s’agisse d’un gouvernement élu démocratiquement ou de groupes islamistes.

D’autres décideurs israéliens se satisfont du fait que les puissances moyen-orientales sont occupées à gérer des questions qui ne concernent pas Israël, se faisant ainsi l’écho des sentiments exprimés par le défunt Premier ministre israélien Menahem Begin dans des propos devenus célèbres lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak, où il avait « souhaité la réussite aux deux camps ».

Les représentants de cette politique ont beau considérer comme un point positif les pertes infligées au Hezbollah (la milice chiite libanaise, un ennemi de longue date pour Israël et également perçu comme un allié de l’Iran), il est devenu de plus en plus clair au cours des derniers mois qu’Israël éprouve de l’inquiétude face à l’expérience militaire non négligeable acquise par le Hezbollah en combattant aux côtés des forces de Bachar al-Assad en Syrie.

Le 11 avril dernier, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a admis pour la première fois qu’Israël avait bombardé des convois d’armements apparemment destinés au Hezbollah.

Cette annonce avait été précédée d’une déclaration de l’ambassadeur d’Israël à Moscou, selon lequel la Russie avait assuré à Israël ne procéder à aucun envoi d’armes pour le Hezbollah.

Cette déclaration fut l’indice à la fois des inquiétudes israéliennes au sujet de l’influence grandissante du Hezbollah en Syrie et de sa coordination avec la Russie, dont l’intervention dans la guerre civile syrienne représente aussi bien des risques que des opportunités pour Israël, a confié un ancien haut responsable de la Défense israélienne à MEE.

« D’un côté, le fait que [les Russes] collaborent avec les Iraniens et le Hezbollah pourrait représenter une menace, a expliqué Ran Ben Barak, ancien responsable du ministère israélien des Affaires stratégiques. Mais de l’autre, la Russie représente pour nous un interlocuteur, quelqu’un qui peut maîtriser les troupes adverses. »

La coordination israélo-russe

Les relations entre Israël et la Russie sont complexes d’un point de vue historique. Moscou a soutenu la fondation de l’État d’Israël en 1948, avant de menacer d’attaquer Israël lors des guerres qui l’ont opposé à des pays arabes en 1967 et 1973.

Le président russe Vladimir Poutine s’est montré disposé à une relation ouverte et positive avec Israël. Il est le seul dirigeant russe à avoir effectué une visite officielle en Israël. En 2014, lors d’une rencontre avec une délégation de rabbins qui visitaient la Crimée peu de temps après le début de son occupation par la Russie, Vladimir Poutine avait exprimé sa sympathie vis-à-vis des mesures prises par Israël pour protéger ses ressortissants, bien qu’il eût également téléphoné à Benyamin Netanyahou pour l’exhorter à mettre fin aux assauts israéliens contre Gaza.

Le pragmatisme israélien en matière de politique étrangère se constate par la volonté du pays de s’engager aux côtés de la Russie malgré le travail mené par Moscou en Syrie en partenariat avec l’Iran, même si certains affirment que cette approche ne relève pas tant d’un choix israélien que d’une réaction à la situation que les États-Unis ont laissé se mettre en place.

« Israël affirme : ‘’Nous nous retrouvons donc face à une situation que les États-Unis auraient pu empêcher, mais ils ne l’ont pas fait’’, a affirmé l’ancien diplomate Tzvi Magen. Les Américains auraient pu empêcher les Russes et leurs alliés de tant s’approcher de notre frontière, mais, puisqu’ils ne l’ont pas fait, nous allons bien entendu parlementer avec eux. »

Israël travaille en coordination avec la Russie sur plusieurs points, et notamment l’utilisation de l’espace aérien syrien, ce qui offre apparemment aux avions israéliens l’opportunité d’attaquer les convois d’armements tant qu’il s’agit de convois destinés au Hezbollah.

Lorsque Samir Kuntar, un responsable exécutif du Hezbollah, a été tué en décembre 2015 lors d’une frappe aérienne à Damas, tout semblait indiquer qu’il s’agissait d’une attaque israélienne.

Tandis qu’Israël n’a jamais officiellement revendiqué la responsabilité de cet événement, celui-ci reste perçu comme un succès dans le combat israélien contre les tentatives du Hezbollah pour mettre en place une présence armée sur le plateau du Golan.

Si Israël, comme beaucoup le soupçonnent, s’avère être derrière cet assassinat, cela mettra en lumière les capacités du renseignement israélien en Syrie et son étroite collaboration avec la Russie, sans laquelle Israël n’aurait pas été en mesure de mener cette action à bien dans l’espace aérien syrien, a exposé l’ancien responsable de la Défense israélienne.

Bien que la Russie et le Hezbollah se retrouvent à combattre pour le même camp, la Russie a également ses propres intérêts à défendre, et elle voit Israël comme un partenaire essentiel à recruter, ou tout au moins à apaiser, pour pouvoir optimiser l’influence russe au Moyen-Orient.

Ceci a mené la Russie et Israël à s’entendre sur une certaine coordination en Syrie, qui a aussi été qualifiée de « désamorçage de conflit » si l’on en croit ce qu’a récemment raconté le roi Abdallah de Jordanie lors d’une réunion avec des membres du Congrès américain, ainsi que l’a révélé MEE.

Lors de cette réunion, le roi Abdallah a décrit l’étroite coopération de son pays avec Israël et le mécontentement des deux pays face à ce qu’ils perçoivent comme une certaine inaction des États-Unis en Syrie.

Cependant, la coordination d’Israël avec la Russie ne devrait en aucun cas être vue comme le signe que les représentants du pouvoir israélien sont satisfaits de la situation actuelle.

Israël cherche à contrer « l’axe chiite »

Les relations de plus en plus étroites entre Bachar al-Assad et le Hezbollah pourraient ne pas représenter une menace pour Israël à court terme, mais, si Bachar al-Assad sort victorieux du conflit, il y aura une possibilité de présence de l’Iran et du Hezbollah à la frontière israélienne, que les responsables politiques qualifient de « ligne rouge ».

« Tandis que les diverses organisations rebelles comprennent que si elles nous cherchent trop, nous les affaiblirons au point de perturber leur combat en Syrie, le Hezbollah ne suit pas la même logique, a affirmé Ran Ben Barak.

« En tant qu’organisation non-locale qui reçoit ses ordres de l’Iran, le Hezbollah n’a que faire de la population locale et des conséquences de ses actes, et c’est une des raisons pour lesquelles il est perçu comme une menace plus importante » par Israël.

Les récentes démarches de l’Arabie saoudite en vue de suspendre l’aide au Liban à cause de l’implication du Hezbollah dans le combat syrien indiquent qu’Israël n’est pas le seul pays à craindre l’influence grandissante de l’Iran et du Hezbollah.

Les récentes visites de hauts fonctionnaires israéliens en Russie pourraient suggérer que leur pays essaie d’exercer une influence sur les négociations de paix syriennes qui se tiennent à Genève et de s’assurer que la menace représentée par « l’axe chiite » et les autres intérêts israéliens soient pris en compte.

La communication avec les rebelles

La menace potentielle d’une future alliance entre l’Iran et le Hezbollah le long de la frontière nord-israélienne a contraint Israël à tirer profit de la situation actuelle, caractérisée par une absence quasi-totale de troupes du régime Assad dans la zone frontalière.

Malgré le fait que des groupes incluant le Front al-Nosra, qui est affilié à al-Qaïda, opèrent près de sa frontière nord, Israël a développé un ensemble de pratiques et de relations avec les différents combattants rebelles.

« La communication restreinte que nous entretenons avec les groupes rebelles nous permet de rester informés, a affirmé Uri Lubrani, ancien conseiller auprès du ministère israélien de la Stratégie. Mais nous veillons à ne pas nous laisser cataloguer comme les partisans d’un camp en particulier, de manière à pouvoir toujours parler également aux autres groupes. »

La stratégie sur ce front relève de deux objectifs principaux pour Israël : d’un côté, la mise en place de relations basées sur la bonne volonté avec les nouvelles forces armées tout en maintenant son influence militaire, et de l’autre la dissuasion.

Tandis que Bachar al-Assad a toujours continué d’affirmer que la résistance à l’occupation israélienne du Golan et la solidarité avec les Palestiniens étaient des positions politiques clefs, les nouveaux groupes rebelles actifs dans la zone frontalière accordent plus d’importance à d’autres questions.

Les rebelles reçoivent des aides israéliennes

Le Front al-Nosra et la faction locale de l’Armée syrienne libre, connue sous le nom de Front du Sud, ont tous deux déclaré à plusieurs reprises que leur seul ennemi était Bachar al-Assad et personne d’autre.

Cette priorité accordée au président syrien est peut-être partiellement liée au fait que le Front du Sud est très dépendant de la Jordanie, un proche allié d’Israël. Comme le montre un récent rapport de l’International Crisis Group, le contrôle resserré qu’opère la Jordanie sur ses frontières communes avec le sud de la Syrie a impliqué une réduction au minimum du nombre de combattants et donateurs étrangers au sein de ces rebelles.

La plupart des combattants de ces groupes sont des habitants de la région qui sont préoccupés par le conflit interne syrien, et ils cherchent à tout prix à éviter la perspective d’attaques israéliennes sur leurs villages.

Les groupes rebelles reçoivent également une aide humanitaire qu’Israël affirme distribuer à toutes les forces actives à proximité de ses frontières.

Nir Boms, un universitaire israélien très au fait des mises à disposition d’aides humanitaires, a affirmé qu’environ 2 600 Syriens avaient reçu des soins médicaux en Israël depuis le début de la guerre.

« Cela a commencé presque par accident, après qu’un officier israélien a laissé entrer en Israël un Syrien blessé pour qu’il puisse s’y faire soigner, et cela a continué avec la création d’un hôpital de terrain sur le plateau du Golan », a-t-il affirmé.

Les organisations humanitaires israéliennes ont fait parvenir à des villages syriens des couvertures, des médicaments et de la nourriture pour bébé. Une partie de ce ravitaillement portait intentionnellement des inscriptions destinées à faire savoir aux Syriens que l’aide qu’ils recevaient provenait d’associations israéliennes, a écrit Nir Boms en décembre 2015 dans une note pour l’Institut d’étude pour la sécurité nationale.

Alors qu’Israël affirme que ces mesures d’aide humanitaire ne sont pas prises en coordination directe avec l’un des quelconques belligérants, leur efficacité comme outil d’influence est prouvée.

Protéger les Druzes

En juin 2015, le ministre israélien de la Défense Moshe Ya’alon a révélé que l’aide humanitaire israélienne aux groupes rebelles était accordée sous la condition que ces derniers évitent de laisser « des organisations terroristes » atteindre la frontière et qu’ils évitent d’attaquer les Druzes habitant le secteur.

Un exemple particulier est celui du village druze de Khader, situé dans la portion du Golan contrôlée par la Syrie et connu pour sa loyauté envers le gouvernement syrien, mais qui est encerclé par des groupes rebelles.

« Khader est couvert par la puissance de frappe israélienne, c’est pourquoi c’est le seul endroit qui n’a pas été pris, a soutenu Saleh Tarif, ancien ministre israélien des Minorités et figure proéminente de la communauté druze israélienne.

« La communauté druze d’Israël est très inquiète face à cette situation, et le fait que nombre d’entre nous se soient engagés dans l’armée israélienne nous permet de nous assurer que les membres de nos familles qui se trouvent de l’autre côté de la frontière restent protégés. »

Bien que les Druzes de Syrie soient considérés comme loyaux envers Bachar al-Assad, Saleh Tarif a affirmé que beaucoup d’entre eux avaient refusé de combattre aux côtés de l’armée syrienne dans des régions du pays éloignées de la leur, préférant faire le choix de rester à Khader ou dans la région du Djebel el-Druze pour y défendre leur propre communauté.

D’autres ont sous-entendu que le soutien ferme apporté par Israël aux Druzes de Syrie était plus en lien avec le désir de dissuader les Druzes de nationalité israélienne de s’impliquer dans le conflit et d’éviter la possibilité que des Druzes syriens viennent demander l’asile en Israël : une telle situation mettrait Israël dans l’embarras vis-à-vis de la communauté druze locale et pourrait bouleverser l’équilibre des forces entre la portion du plateau du Golan occupée par Israël et celle contrôlée par la Syrie.

Le difficile exercice d’équilibriste réalisé par Israël dans sa politique vis-à-vis des Druzes de Syrie reflète son engagement plus large dans la guerre civile syrienne, où c’est avec précaution que l’État israélien avance, entre d’un côté la réticence américaine vis-à-vis d’un engagement excessif et de l’autre les avancées de la Russie, afin de façonner comme il le souhaite l’équilibre des pouvoirs dans ce conflit.

Pour l’instant, Israël a réussi à empêcher les attaques le long de sa frontière nord, mais si Bachar al-Assad laisse transparaître un éventuel projet de reprendre le Sud, ce qui déboucherait sur une présence de l’Iran et du Hezbollah à la frontière, Israël se retrouvera peut-être entraîné dans la guerre.

Traduit de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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