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Prendre soin des chats errants de Gaza « avec tout l’argent qui nous reste »

Malgré les difficultés économiques auxquelles ils sont confrontés, des Gazaouis font preuve d’une grande générosité envers les animaux errants

Mariam al-Barr affirme que faire du logement de sa famille un refuge pour chats lui a permis de trouver sa vocation (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

GAZA, Territoires palestiniens occupés Sur un toit du camp de réfugiés d’al-Shati, au nord-ouest de la ville de Gaza, trois sœurs sont assises en compagnie des 35 chats qu’elles ont sauvés de la rue.

Mariam, Raesa et Elham al-Barr ont transformé leurs logements en abris pour chats, fournissant aux félins errants de leur quartier de la nourriture et des soins médicaux.

Mariam, la plus jeune des trois sœurs, vit toujours avec ses parents dans le quartier d’al-Zaitoun, à l’est de la ville de Gaza. La jeune femme de 29 ans prend soin de huit chats qu’elle a trouvés dans la rue.

« Les chats ont toujours fait partie de notre famille », déclare Mariam al-Barr (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

« Je ne me souviens pas du moment où nous avons commencé [à accueillir des animaux errants] car les chats ont toujours fait partie de notre famille », a-t-elle déclaré à MEE. « Nous avons été élevés dans un foyer où nos parents ont toujours aidé et adopté des chats errants, et nous avons fait la même chose une fois devenus adultes. »

« Mes parents et mes sœurs ne peuvent pas se permettre de nourrir 35 chats tous les jours, ils peuvent à peine assurer nos besoins alimentaires à nous »

- Mariam al-Barr

Mariam, qui a étudié à l’Université islamique de Gaza pour devenir enseignante, n’a pas encore trouvé de travail. Pour s’occuper, elle suit des cours de psychothérapie et de photographie.

« Chaque fois que je vais au cours et que je vois un chat affamé ou blessé, j’oublie le cours et je l’emmène immédiatement chez moi », confie-t-elle.

Mariam al-Barr donne un médicament à un chaton (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Un jour, Mariam a trouvé une chatte blessée qui semblait avoir été heurtée par une voiture. Elle l’a emmenée chez le vétérinaire puis l’a ramenée chez elle pour qu’elle se rétablisse quelques jours avant d’être adoptée par une famille.

« Nous avons un vaste réseau de membres de la famille, d’amis et de voisins qui nous appellent parfois pour nous demander si nous avons des chats à adopter. Mais nous ne donnons aucun chat à l’adoption avant d’avoir vérifié qu’ils en prendront bien soin », précise-t-elle.

Raesa al-Barr a appris à ses enfants à faire preuve de compassion envers les animaux sans défense (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Raesa, 42 ans, et Elham, 45 ans, vivent dans deux petits appartements situés dans le même bâtiment. Elles hébergent certains des chats qu’elles sauvent dans un espace aménagé sur le toit de l’immeuble. Les autres vivent dans leurs appartements respectifs, où leurs enfants et conjoints aident à prendre soin d’eux.

Raesa apprend à ses cinq enfants à protéger les chats du quartier des autres résidents qui les maltraitent parfois et les encourage à les ramener à la maison.

Les enfants de Raesa al-Barr adorent caresser les chats qu’ils abritent (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

« J’élève mes enfants de la même manière que mes parents nous ont élevés moi et mes frères et sœurs, je leur apprends à faire preuve de compassion et à aider les créatures sans défense », a déclaré la femme au foyer à Middle East Eye. « Quand ils vont se coucher, tous mes enfants câlinent les chats qu’ils sauvent plutôt que des ours en peluche. »

Le mari de Raesa, Suhail Zohod, partage sa passion et l’aide la plupart du temps à nourrir, laver et soigner les animaux.

« Quand ils vont se coucher, tous mes enfants câlinent les chats qu’ils sauvent plutôt que des ours en peluche »

- Raesa al-Barr

« Mon mari a toujours soutenu et nourri ma passion d’aider les chats. Il m’apporte souvent des chats en cadeau et traite nos animaux comme s’ils étaient nos enfants », dit-elle. « Il y a quelques mois, il a [adopté auprès d’un ami] un chaton persan pour me faire une surprise, parce qu’il sait que je les adore. »

« Les chats peuvent mourir de faim »

Selon Mariam, ses sœurs et elle dépensent plus de 400 shekels israéliens (environ 111 dollars) par mois pour acheter de la nourriture pour chats.

Les enfants de Raesa et Elham al-Barr aident tous à prendre soin de leurs compagnons à quatre pattes (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Le père et la mère de Mariam sont au chômage, mais la famille possède la totalité du bâtiment où ils habitent. Afin de couvrir une partie des besoins essentiels de la famille, son père loue à ses proches le garage situé au rez-de-chaussée.

« Je sais que j’ai risqué ma vie pour nourrir mes chats, mais je devais le faire et c’était tout ce qui comptait »

- Walid Afifi

En raison des difficultés économiques de sa famille, Mariam réduit ses dépenses pour les transports et autres frais quotidiens afin de pouvoir acheter de la nourriture pour chats avec son argent de poche.

« Mes parents et mes sœurs ne peuvent pas se permettre de nourrir 35 chats tous les jours, ils peuvent à peine assurer nos besoins alimentaires à nous, alors pour économiser de l’argent et acheter de la nourriture pour les chats, je choisis parfois de marcher de longues distances plutôt que de prendre un taxi », explique-t-elle.

Mariam al-Barr choisit parfois de « marcher de longues distances plutôt que de prendre un taxi » afin de pouvoir acheter de la nourriture pour les chats (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

D’après Raesa, les gens ont commencé à accorder moins d’attention à l’aide aux animaux à cause de la grave crise économique que traverse la bande de Gaza.

« Les chats meurent de faim et souffrent de dépression, tout comme les humains. Ils ne peuvent tout simplement pas nous le communiquer »

 - Raesa al-Barr

Selon l’Observatoire euro-méditerranéen pour les droits de l’homme, 38,8 % des Gazaouis vivent en-dessous du seuil de pauvreté en raison du blocus israélien. Près de 45 % de la population de Gaza est sans emploi et le taux de chômage est encore plus élevé chez les jeunes, atteignant les 60 %.

En juillet 2017, l’ONU a publié un rapport détaillé sur Gaza, indiquant que la bande côtière était devenue « invivable ».

Raesa al-Barr bénéficie du soutien de son mari qui aime les chats autant qu’elle (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Les époux de Raesa et d’Elham travaillent tous deux comme tailleurs et obtiennent parfois des emplois temporaires financés par l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient, dans de petites usines.

« Avec toutes les difficultés financières auxquelles les habitants de Gaza sont confrontés aujourd’hui, tout ce qui les préoccupe à présent est de savoir comment nourrir leurs enfants et payer leurs factures et leur loyer mensuels », explique-t-elle.

Les chats de la famille al-Barr font leur toilette (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Raesa estime toutefois que les problèmes économiques ne devraient pas être une excuse pour ignorer les chats qui ont un besoin urgent d’aide et d’abri à Gaza.

« Des personnes qui ont traversé tant de difficultés et vécu ce que c’est que d’avoir faim et d’être sans défense ne peuvent ignorer la souffrance des autres », a-t-elle déclaré. « Les chats meurent de faim et souffrent de dépression, tout comme les humains. Ils ne peuvent tout simplement pas nous le communiquer. »

Raesa et ses sœurs souhaitent ouvrir un centre de protection et d’adoption de chats (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Les trois sœurs ont pour objectif d’ouvrir un centre de protection et d’adoption de chats, où elles pourraient aider des dizaines d’animaux et leur chercher des foyers d’accueil.

« Nous devons juste trouver un espace où abriter les chats, embaucher un gardien et un vétérinaire, et acheter de la nourriture et d’autres produits nécessaires », indique Mariam, tout en câlinant un chaton nouveau-né. « Cela ne nous coûterait pas moins de 18 000 dollars pour lancer le projet et le faire fonctionner pendant environ un an. »

Quand elle ne s’occupe pas de ses chats, Mariam al-Barr passe le temps en prenant des cours de psychothérapie et de photographie (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Cela « reste un rêve », précise la jeune femme, les trois sœurs n’ayant pas encore trouvé d’organisations de protection des animaux disposées à le financer.

Braver les missiles

Raesa se souvient de la réaction de ses chats lors de l’opération « Bordure protectrice », une offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza qui a tué plus de 2 200 Palestiniens – pour la plupart des civils – et fait plus de 100 000 sans-abri à l’été 2014.

Les chats couraient à travers l’appartement et cherchaient refuge sous les lits et le canapé chaque fois qu’une explosion retentissait dans le quartier, raconte-t-elle. « Les chats ont eux aussi peur des bruits forts et des explosions, tout comme nous. »

En raison des difficultés économiques dans la bande de Gaza, les gens font moins attention aux animaux (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Israël a lancé trois grandes opérations militaires visant la bande de Gaza entre 2008 et 2014, au cours desquelles des milliers de Palestiniens ont été tués. Des bombardements ont également eu lieu sporadiquement depuis le début du blocus imposé par Israël à la bande côtière en 2007.

Walid Afifi, 28 ans, a commencé à sauver des chats à l’âge de 10 ans (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Au cours de l’offensive israélienne de 2014, qui a duré 50 jours, Walid Afifi et plusieurs autres membres de sa famille se sont réfugiés chez un parent vivant dans le quartier d’al-Saraya, dans le centre de la ville de Gaza, à la recherche d’un endroit sûr loin des bombardements. Comme il n’y avait pas de place pour ses chats, il a dû les laisser tout seuls dans son appartement dans le sud de Gaza.

En dépit du danger, Afifi faisait tous les jours l’aller-retour jusqu’à chez lui pour nourrir ses chats et s’assurer qu’ils allaient bien. Bien que le trajet ne fût que de 7 km environ, il avait l’impression qu’il lui fallait des heures pour y arriver.

Lors de l’offensive israélienne de 2014 contre Gaza, Walid Afifi a risqué sa vie pour prendre soin de ses chats (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

« Je m’attendais à tout moment à ce qu’un missile ou un obus me tombe dessus, surtout que toutes les rues étaient vides et que j’étais presque le seul à me déplacer », se souvient le jeune homme de 28 ans. « J’avais peur de me faire tuer en chemin et je mentirais si je disais le contraire. Je sais que j’ai risqué ma vie pour nourrir mes chats, mais je devais le faire et c’était tout ce qui comptait. »

Walid Afifi a commencé à sauver et à adopter des chats à l’âge de 10 ans. Il a déjà trouvé un foyer d’adoption pour six des chats qu’il a récemment trouvés et continue à s’occuper des six autres dans sa cour jusqu’à ce qu’il leur trouve également des familles d’adoption.

Walid Afifi indique que la nourriture pour chats lui coûte environ 200 shekels israéliens (près de 48 euros) par mois (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Le jeune homme, qui travaille comme informaticien indépendant, indique que la nourriture pour chats lui coûte environ 200 shekels israéliens (près de 48 euros) par mois, dans la mesure où les chats mangent souvent les restes de la famille, tels que le riz, le pain et les os de poulet.

« Parfois, quand j’oublie de le faire, mon père leur achète de la nourriture spéciale, comme des croquettes pour chats et du thon en conserve. »

Tout comme les humains, les chats de Gaza ont besoin de soins médicaux et ont peur des attaques israéliennes (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Il y a quelques mois, Walid Afifi a sauvé une jeune chatte atteinte de rachitisme trouvée dans la rue. « Je suis allé chez le vétérinaire et lui ai demandé de m’apprendre à faire une injection à un chat », raconte-t-il. « Je lui ai administrée le vaccin pendant cinq jours consécutifs. Maintenant, elle est en excellente santé et elle a été adoptée par une famille attentionnée. »

Les animaux errants de Gaza

Une autre initiative de sensibilisation à la situation des animaux errants à Gaza est celle menée par trois étudiantes qui nourrissent des chats et des chiens errants tout en s’efforçant de leur trouver un foyer adoptif.

« Si je vois un chat sans abri ni nourriture, je ne peux m’empêcher de le ramener à la maison », confie Walid Afifi (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Maram Mikkawi, 20 ans, et ses deux amies, Amna al-Sousi, 20 ans, et Lamia al-Baioumi, 19 ans, s’occupent des chats et des chiens errants de leur quartier depuis 2015. Il y a quelques semaines, les parents d’al-Sousi ont accepté de les laisser utiliser un appartement inachevé qu’ils venaient d’acheter comme refuge pour les animaux.

« Des personnes qui ont traversé tant de difficultés et vécu ce que c’est que d’avoir faim et d’être sans défense ne peuvent ignorer la souffrance des autres »

- Raesa al-Barr

Les trois amies ont récemment créé une page Facebook, intitulée « Strays of Gaza » (errants de Gaza), où elles publient les photos et histoires de chats et de chiens errants qu’elles rencontrent sur le chemin de l’université.

« À travers notre page, nous visons à donner aux gens des informations sur les créatures qu’ils évitent habituellement », a déclaré Maram Mikkawi.

Les chats mangent parfois les restes de repas faits maison (MEE/Mohammed A. Alhajjar)

Maram, qui étudie la traduction vers et depuis l’anglais à l’Université de Gaza, a assumé cette responsabilité en décembre 2015, après avoir trouvé des chiens errants affamés près du campus et décidé de leur acheter de la nourriture.

Elle et ses deux amies ont lancé une campagne de financement participatif visant à collecter des fonds pour nourrir et soigner les animaux et ont recueilli plus de 500 dollars à ce jour.

« Nous allons utiliser [une partie de] l’argent pour acheter de la nourriture et des petits matelas pour les animaux que nous garderons dans l’appartement », a expliqué la jeune femme.

Avec le reste de l’argent de la campagne de crowdfunding, les trois amies entendent ouvrir un refuge avant l’hiver.

Ces Gazaouis épris d’animaux affirment que s’occuper des chats et des chiens errants est une vocation et qu’ils ne peuvent fermer les yeux sur la souffrance animale. « Si je vois un chat sans abri ni nourriture, je ne peux m’empêcher de le ramener à la maison », a résumé Walid Afifi.

Traduit de l’anglais (original).

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