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Privés de lait, les bébés yéménites meurent de faim alors que le pays plonge dans la famine

Un hôpital de Taïz a mis en place une clinique pour traiter le nombre croissant de bébés et d’enfants en bas âge souffrant de malnutrition, alors que les familles pauvres se retrouvent dans le dénuement et affamées par la guerre
Alawi Mohsen, photographié à l'hôpital al-Modhafar de Taïz (MEE/Azzam al-Zubairi)

Taïz, Yémen - Léthargique et émacié, Alawi Mohsen, 18 mois, a passé les six dernières semaines couché sur un lit de l'hôpital al-Modhafar, à Taïz.

A l'âge où il devrait trotter partout et déborder d'énergie, Alawi présente un ventre distendu, signe révélateur de la malnutrition aiguë qui aurait mis fin à sa vie sans le traitement médical qu’il a reçu d'urgence.

Selon les médecins, l'état d’Alawi s’est amélioré au cours du dernier mois en raison des soins dont il a bénéficié depuis qu’il a été amené à l'hôpital par du personnel de la clinique envoyé sur le terrain à la recherche d’enfants risquant de mourir de faim.

Pourtant, son jeune corps sous-développé est un témoignage frappant du fait que ce ne sont pas seulement les tirs et les bombardements qui emportent la vie des enfants nés dans le Yémen déchiré par la guerre.

Selon des chiffres récents des Nations unies, environ 500 000 enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition, dont les deux tiers sont considérés comme tellement sous-alimentés qu'ils peuvent mourir s’ils ne reçoivent pas d’urgence un traitement médical.

Le nombre de ceux qui souffrent de malnutrition aiguë a doublé au cours de l'année écoulée.

La moitié des Yéménites souffrent de malnutrition alors que la famine se profile

Alawi, qui a huit frères et sœurs, est né à Wadi al-Moasel, au sud-ouest de la ville de Taïz, laquelle a connu certains des combats parmi les plus féroces dans la guerre du Yémen entre les rebelles houthis et les forces loyales au président exilé Hadi.

Au cours de l'année écoulée, des affrontements soutenus dans le quartier où vit la famille d’Alawi, ont gravement affecté sa mère, qui a dû être admise à l'hôpital al-Modhafar en même temps que son fils pour des traumatismes psychologiques.

Pendant ce temps, le père d’Alawi, Saeed Mohsen, ouvrier dans le secteur de la construction, s’est retrouvé sans emploi et sans ressources à cause de la guerre.

Alors que la famille souffrait de la faim, c’est Alawi, privé de lait pour bébé, qui a souffert le plus durement, selon sa sœur aînée, Raja Mohsen.

« Depuis le début de la guerre, nous n’avons presque jamais de pain ou de thé. Nous mangeons parfois du riz, mais il est rare de trouver des légumes ou des fruits, et nous ne mangeons pas de viande du tout. Mais nous ne souffrons pas de malnutrition autant qu’Alawi », explique Raja, âgée d’une vingtaine d’années, à Middle East Eye.

Raja explique que son père ne peut se résoudre à se rendre à l'hôpital pour voir sa femme traumatisée et son fils chétif, alors que la famille dépend maintenant en grande partie des dons de bienfaisance.

« Il n'a pas d'argent pour aider, et il ne peut se résoudre à voir son fils et sa femme en train de souffrir », a-t-elle ajouté.

Raja a ajouté que son frère avait également souffert de négligence en raison des problèmes de santé de sa mère.

« Jusqu'à il y a six semaines, il mourrait de faim. Nous ne pouvions pas l'aider du tout, mais heureusement, une équipe de l'hôpital est venue et l’a apporté, lui et ma mère, ici. »

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Dans un lit à proximité, Maya Maaen Hizam, un autre nourrisson de 18 mois, est également traité pour malnutrition aiguë.

Le père de Maya Maaen, qui vit avec ses six autres enfants dans la région d’al-Dhabab, qui a également connu des affrontements violents l’année dernière, pense que sa fille est victime des circonstances.

« La guerre n'a pas cessé depuis sa naissance », a déclaré Maaen Hizam à MEE. « Maya est la seule de ses frères et sœurs à souffrir de malnutrition. Elle est née au mauvais moment. »

Maya Maaen Hizam (MEE / Azzam al-Zubairi)

Face à la forte hausse des cas de malnutrition, les médecins de l'hôpital al-Modhafar ont ouvert il y a six mois une clinique spéciale consacrée à la recherche et au traitement des enfants de Taïz et des régions avoisinantes qui risquent de mourir de faim.

Jamal al-Mohaya, un médecin du service malnutrition, a déclaré que la nouvelle clinique avait jusqu'à présent traité 23 enfants, mais qu’ils manquent de la plupart des médicaments dont ils ont besoin.

« Les enfants qui souffrent de malnutrition appartiennent à des familles pauvres qui ne pensent pas à aller à l'hôpital, mais nous avons commencé à envoyer des équipes sillonner la périphérie de la ville de Taïz et ramener ces enfants ici », a-t-il dit.

Mohaya a confirmé que l'hôpital fournissait les médicaments aux enfants gratuitement. Les familles des enfants sont censées rester dans les parages, mais beaucoup ne peuvent se le permettre financièrement et rentrent chez eux.

Cependant, il croit que beaucoup d'autres cas de malnutrition passent inaperçus dans les zones rurales que les équipes de terrain de l'hôpital ne peuvent atteindre en raison de la poursuite des combats.

Taïz : une ville en état de siège

Alors que le siège de Taïz par les Houthis a été brisé en août, la ville est accessible sans risque seulement depuis le sud-ouest, ce qui rend la clinique difficile à atteindre pour de nombreuses familles démunies.

« La plupart des enfants touchés vivent dans le quartier Moza de Taïz et les zones occidentales de la ville, mais nous ne pouvons pas les atteindre à cause de la guerre, et cela coûtera beaucoup pour le faire. J’espère que les organisations internationales peuvent les aider », a déclaré Mohaya.

Mais l'ampleur de la crise humanitaire au Yémen et l'inaccessibilité continue de nombreuses régions du pays pour les organisations d'aide internationale signifient qu’on ne peut peut-être plus faire grand-chose pour les enfants qui sont déjà en train de mourir.

L’UNICEF, l'agence pour l’enfance de l'ONU, a par ailleurs averti vendredi que le pays faisait face à une épidémie de choléra, avec des cas signalés à Sanaa, la capitale, et à Taïz, aggravant la situation.

Jens Laerke, un porte-parole du bureau humanitaire des Nations unies (OCHA) a déclaré à MEE que de nombreuses régions du Yémen sont désormais officiellement reconnues comme étant dans un état de « pré-famine ».

Il a ajouté que le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire dans le pays avait augmenté de 20 % depuis juin 2015, avec sept millions de personnes décrites comme étant en « insécurité alimentaire grave ».

« Nous sommes très préoccupés par ces conditions de pré-famine », a-t-il dit.

Les propos de Laerke font suite aux avertissements de Stephen O'Brien, chef de l'OCHA, selon lequel son organisation dispose de moins de la moitié des ressources dont elle a besoin et nécessite 880 millions de dollars pour faire face à la crise humanitaire qui empire au Yémen.

« Davantage de fonds sont requis d'urgence pour accroître l'aide à travers le pays », a déclaré O'Brien. « L'ONU et nos partenaires humanitaires sont prêts à le faire, mais les donateurs doivent soutenir les efforts de mobilisation des ressources. »

Mais à Taïz, la perspective que des organisations internationales et des ONG viennent à la rescousse des bébés affamés apparaît désespérément lointaine.

« Taïz n’est pas un endroit sûr pour ces organisations, et même les rares qui y travaillent ont leurs propres priorités, qui ne sont pas d'aider les enfants », précise à MEE Emad Ahmed, un activiste social de Taïz.

Ahmed a déclaré qu'il était difficile de faire parvenir une aide alimentaire aux villages isolés, et que même l'aide humanitaire qui réussissait à atteindre la ville de Taïz finissait souvent sur le marché plutôt que d'être distribuée aux personnes en ayant le plus désespérément besoin.

Pour l'instant, Alawi Mohsen reçoit les médicaments et les soins dont il a besoin pour rester en vie. Mais Raja, sa sœur aînée, a admis que le reste de la famille vivait au jour le jour, jamais certains de quand ils pourraient à nouveau manger, et quoi.

« Je souhaite que les gens charitables n’oublient pas mes autres frères et sœurs », a-t-elle confié. « Je ne sais pas s’ils ont suffisamment de nourriture ou non. »

Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.

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