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Réfugiés syriens à la frontière Algérie-Maroc : « Faudra-t-il que quelqu’un meure ? »

Alors que l’Algérie et le Maroc ne parviennent pas à s’entendre sur l’endroit où faire passer les réfugiés syriens bloqués à leur frontière depuis plus de six semaines, les associations des deux côtés s’alarment de la situation humanitaire
Parmi les 25 réfugiés syriens toujours dans l'attente d'être accueillis en Algérie, se trouvent huit enfants dont cette fillette (Facebook)

ALGER« Les réfugiés vont très mal. Voilà trois jours que l’on n’arrive plus, du côté marocain, à leur faire parvenir de quoi boire et manger. » Le docteur Zouhair Lahna, contacté par Middle East Eye, se trouve sur place, à Figuig, petite ville de 15 000 habitants à la frontière algéro-marocaine.

Il s’inquiète de la détérioration de la situation des réfugiés syriens, bloqués depuis plus de six semaines dans une zone tampon désertique, privés d’accès à l’oasis qui se trouve juste à côté. En ce mois de juin, la température dépasse parfois les 40°C à l’ombre, et la nuit, les serpents et les scorpions rendent l’endroit très dangereux.

Alors que les habitants de Figuig, ne supportant plus de savoir les ressortissants syriens en train de mourir à côté d’eux, avaient réussi à en faire passer une quarantaine du côté marocain, le dernier groupe, de quinze personnes, a été rattrapé dans la nuit de jeudi à vendredi et renvoyé dans le désert.

Plus grave, selon le Comité de solidarité avec les réfugiés syriens, dix autres réfugiés qui avaient réussi à se cacher à Figuig ont aussi été rattrapés par l’armée marocaine et, eux aussi, rejetés dans le no man’s land.

Aujourd’hui, ils sont donc 25, selon les informations que nous avons recueillies : huit femmes, dix enfants, et sept hommes dont deux gravement malades.

« La situation des réfugiés syriens bloqués à la frontière algéro-marocaine s’est compliquée ces jours-ci, de façon inattendue, après la déclaration des autorités algériennes affichant leur intention de les accueillir », souligne le communiqué du Comité de solidarité diffusé ce mardi.

Jeudi, Alger avait annoncé vouloir « accueillir à titre humanitaire » le groupe de ressortissant syriens.

« Le problème, c’est que l’Algérie ne veut les récupérer que par le passage de Béni-Ounif, un poste frontalier fermé [la frontière est fermée depuis 1994] pour montrer que le Maroc est bien en train de les expulser. Et le Maroc, lui, refuse », explique Zouhair Lahna.

Une fillette syrienne, dans la zone tampon de Figuig, montre qu’elle n’a plus rien à boire (Facebook)

Le Comité de solidarité donne la même version : « Le 5 juin, le Haut-Commissariat aux réfugiés [HCR], s’est présenté à Béni-Ounif pour superviser la récupération des 25 réfugiés restants. Mais il y a blocage : les autorités algériennes refusent de récupérer ces réfugiés directement à l’endroit où ils se trouvent car, pour elles, cet endroit est un territoire marocain, où elles ne peuvent pénétrer, exigeant leur récupération seulement par le passage frontalier officiel. Les autorités marocaines disent que ces réfugiés sont sur le territoire algérien et qu'ils ne peuvent entrer au Maroc qu'en situation régulière. Elles refusent de les faire transiter par son territoire pour les livrer à l'Algérie au poste frontalier officiel. »

À LIRE : Le Maroc et l’Algérie bloquent l’aide humanitaire aux Syriens coincés à leur frontière

Pendant ce temps, selon les témoignages des personnes qui ont accès aux réfugiés, les militaires marocains, qui aurait été réprimandés pour avoir laissé passer les réfugiés, ne laisseraient plus aucune nourriture passer.

« Les Algériens ont un rapport direct avec les réfugiés, et s’ils le voulaient, pourraient les exfiltrer »

- Zouhair Lahna, médecin

« On sait que les réfugiés ne peuvent compter que sur la magnanimité des soldats algériens qui leur donnent un peu à boire et à manger. Un médecin militaire algérien s’occupe aussi des personnes âgées malades. Ce qui prouve donc que les Algériens ont un rapport direct avec les réfugiés, et que s’ils le voulaient, pourraient les exfiltrer. »

Un collectif d’associations (l’Association marocaine pour les droits humains, EuroMed Droits, la Fédération internationale des droits humaines, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, le Syndicat autonome des personnels de l’administration publique, l’Organisation marocaine pour les droits humaines, ProAsyl et WatchTheMed) a également diffusé ce mardi un communiqué pour dénoncer « les entêtements souverainistes d’Alger et de Rabat » qui « pourraient coûter des vies ».

Une réfugiée syrienne bloquée à la frontière marocaine avec son fils, souffrant à cause de la chaleur (Facebook)

« Faudra-t-il que quelqu’un meure pour que les familles qui y sont bloquées puissent obtenir de l’eau, de la nourriture, et la protection qui leur est due ? Nos organisations exhortent à une solution immédiate avant qu’il ne soit trop tard », s’interrogent les associations. « Nous dénonçons les traitements inhumains et dégradants infligés par les autorités des deux pays pour des motifs territoriaux, au mépris de leurs obligations légales et morales. »

Un collectif d'associations dénonce « les entêtements souverainistes d’Alger et de Rabat » qui « pourraient coûter des vies »

La semaine dernière, le HCR avait déjà appelé le Maroc et l’Algérie à « agir rapidement » et avait demandé « d’urgence un passage sûr » pour le groupe. 

Face à ce qu’il qualifie de « calculs politiciens », Zouhair Lahna s’emporte : « Le problème algéro-marocain ne va pas se régler sur le dos des réfugiés ! Après l’annonce de l’Algérie, tout le monde pensait que les choses étaient réglées. Finalement, c’est loin d’être le cas. »

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