Retour au puits : la crise de l’eau au Yémen conduit à la réapparition de méthodes anciennes
TA’IZZ, Yémen – Raweh Mufleh pensait avoir pris sa retraite il y a longtemps.
Aujourd’hui septuagénaire, Mufleh était puisatier dans sa jeunesse. Mais petit à petit, à mesure que les machines arrivaient et que le carburant devenait facilement disponible, il était devenu fossoyeur.
« Au cours des 30 dernières années, les gens ont cessé de chercher de l’eau manuellement à cause de la prolifération des pompes à eau », a-t-il déclaré à Middle East Eye.
Pourtant, même si le monde a changé autour de lui et lui avec, Mufleh s’est accroché au passé.
Il porte toujours le traditionnel fouta yéménite – un vêtement pour hommes allant de la taille aux pieds – et va pieds nus parce qu’il dit que ses pieds sont suffisamment solides pour piétiner la terre brûlante et les épines.
Il n’a jamais mangé de spaghettis, de hamburgers ni aucun autre repas occidental, il préfère les plats yéménites préparés par sa femme. Ils lui permettent de rester fort, affirme-t-il.
Fidèle à ses habitudes, Raweh Mufleh confie qu’il n’aurait jamais imaginé qu’il creuserait de nouveau des puits, mais aujourd’hui, c’est exactement ce qu’il fait.
À sec
Avant la guerre, qui dure aujourd’hui depuis trois ans, l’eau arrivait dans les maisons yéménites à peu de frais, a déclaré Mufleh.
Mais avec les prix élevés du carburant et les infrastructures endommagées, plus de 12 millions de Yéménites n’ont actuellement pas accès à l’eau potable, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies.
Dans les zones urbaines, de nombreux Yéménites dépendent désormais des ONG et des associations caritatives qui fournissent de l’eau en fûts et en bouteilles, mais à la campagne, la distance pour avoir accès à l’eau potable peut être beaucoup plus grande.
« Cela ne pouvait pas arriver à un pire moment pour les enfants du Yémen, frappés par la violence, la malnutrition et une épidémie de maladies, notamment une diarrhée aqueuse aiguë et le choléra », a déclaré Geert Cappelaere, directeur régional de l’UNICEF pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
« Pour plus des deux tiers des Yéménites vivant dans une pauvreté extrême, l’eau potable est désormais inabordable. »
« Cela ne pouvait pas arriver à un pire moment pour les enfants du Yémen, frappés par la violence, la malnutrition et une épidémie de maladies »
- Geert Cappelaere, directeur régional de l’UNICEF
Les habitants demandent donc de plus en plus à des personnes comme Raweh Mufleh de les aider à creuser leurs propres puits, ce qu’il est ravi de faire.
« J’ai appris ce métier quand j’étais jeune », a-t-il expliqué. « Les tentatives répétées de creuser des puits m’ont également permis d’acquérir une grande expérience dans ce domaine.
« Je n’hésite pas à aider qui que ce soit, même gratuitement, car je dois aider les gens à surmonter la crise de l’eau. »
Lorsqu’il commence à chercher de l’eau, Mufleh inspecte le sol d’une zone, observant sa couleur, le type d’herbe et les arbres qui y poussent.
« Ces choses nous aident à savoir s’il y a de l’eau au fond ou non et nous pouvons ensuite décider combien de temps nous allons creuser », a ajouté Mufleh. Il dit avoir guidé des dizaines de personnes au cours de l’année écoulée.
La profondeur des puits variera d’un endroit à l’autre, certains atteignant jusqu’à 60 mètres de profondeur, l’équivalent, à quelques mètres près, de la hauteur de l’Arc de Triomphe à Paris.
La meilleure solution
Au cours des trois dernières années, Rafat Yassin et sa famille de six personnes, qui vivent dans une zone rurale au sud de la ville de Ta’izz, ont eu du mal à conserver un accès régulier à l’eau après la cessation des activités de la Corporation de l’eau, dirigée par l’État, en raison de l’augmentation du coût du carburant.
Yassin, qui fabrique des portes et des fenêtres pour gagner sa vie, ne peut pas se permettre les 25 dollars nécessaires chaque mois pour acheter de l’eau au camion-citerne.
Yassin a regardé ses voisins creuser des puits, trouver de l’eau potable et s’est mis à frapper le sol pour trouver la sienne.
« J’ai décidé de les imiter car je pense que c’est la meilleure solution de nos jours », a-t-il déclaré à MEE.
Mais après avoir creusé un trou d’environ huit mètres, Yassin a décidé de consulter al-Zumaini, un octogénaire possédant une grande expérience dans la recherche de puits.
« Il m’a dit que je creusais au mauvais endroit et il m’a recommandé le meilleur endroit pour creuser », a expliqué Yassin. « J’ai creusé à l’emplacement recommandé et nous avons trouvé un sol humide après avoir creusé 30 mètres. »
Yassin et son voisin ont déjà passé dix jours à creuser, mais ils sont déterminés à continuer maintenant qu’ils ont trouvé un sol humide.
« Si je trouve de l’eau, je laisserai tous mes voisins venir chercher de l’eau à mon puits, car de nombreuses personnes souffrent du manque d’eau ici », a-t-il affirmé.
Routine quotidienne
Un puits serait bien utile à Nozha Ahmed, 12 ans. La fillette marche deux heures par jour pour aller chercher de l’eau au puits le plus proche de sa maison, dans le district d’al-Shimayateen, à 50 km au sud de la ville de Ta’izz.
Cela fait partie de sa routine quotidienne depuis trois ans, depuis que la Société publique de l’eau, basée à Ta’izz, a cessé de fournir de l’eau potable aux populations en raison de la crise énergétique.
« Au début, c’était très difficile de mettre les bouteilles d’eau sur ma tête, mais jour après jour, je me suis adaptée », a-t-elle déclaré.
Nozha Ahmed est l’aînée d’une fratrie de quatre. Comme son père est occupé par son travail de gardien dans un palais de justice, c’est à elle qu’il revient d’apporter 60 litres d’eau par jour à toute la famille.
Comme pour beaucoup de filles au Yémen, satisfaire les besoins de sa famille signifie parfois que Nozha, élève en sixième, manque la classe.
« J’espère que la Corporation de l’eau reprendra ses activités et que l’eau arrivera à la maison, pour pouvoir reprendre mes études comme avant »
- Nozha Ahmed, 12 ans
« J’espère que la Corporation de l’eau reprendra ses activités et que l’eau arrivera à la maison, pour pouvoir reprendre mes études comme avant et ne pas passer mon temps à aller chercher de l’eau », a-t-elle confié.
Une source bien informée de la Corporation de l’eau de Ta’izz, qui a requis l’anonymat parce qu’il n’est pas autorisé à parler aux médias, a déclaré à MEE qu’à l’instar de nombreuses autres autorités publiques, l’agence avait cessé ses activités au début de la guerre.
« Certains responsables tentent de reprendre le travail de la société mais il est difficile de le faire compte tenu du prix élevé du carburant », a-t-il indiqué à MEE. « Les gens se sont habitués à aller chercher de l’eau et cela fait maintenant partie du lot de leurs souffrances quotidiennes. »
Les ONG, a-t-il déclaré, ont comblé le vide laissé par l’agence publique en fournissant de l’eau aux populations et en soutenant parfois des pompes à eau privées.
« Le principal problème est qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune autorité capable de gérer le travail de la société. Je ne suis donc pas optimiste sur le fait qu’elle recommencera à fonctionner bientôt », a-t-il ajouté.
Raweh Mufleh, le puisatier, a déclaré qu’il valait mieux ne compter sur personne pour avoir de l’eau.
« Je conseille aux habitants des zones rurales qui dispose d’un endroit où creuser leurs propres puits de le faire », a-t-il déclaré. « Cela ne coûte pas si cher – les gens auront de l’eau potable gratuitement. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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