Retour à Benghazi : beaucoup de ruines, un peu d’espoir
BENGHAZI, Libye – Il étend son bras pour désigner, de l’autre côté de la rue, un peu sur la droite, un amas de gravats : « Là, vivaient cinq familles. Il ne reste plus rien de l’immeuble. Moi, je suis chanceux. »
Hassan al-Mogharbi n’est pas difficile. Car ce n’est pas sur le toit-terrasse de sa maison qu’il montre le malheur de ses voisins, mais depuis ce qui était sa chambre.
L’homme de 43 ans n’a pas eu à ouvrir sa fenêtre, et pour cause, sa maison de trois étages n’a plus de façade, ni de toit. Ce n’est plus qu’un squelette composé de trois plateformes à ciel ouvert, un escalier et un portail.
Selon les riverains, 70 % des habitations de la rue Shahat, en plein cœur du centre-ville de Benghazi, a été détruit par la guerre qui a opposé entre 2014 et 2017 l’Armée nationale arabe libyenne (ANL), commandée par le maréchal Khalifa Haftar, à divers groupes armés d’anciens révolutionnaires et d’islamistes comme Ansar al-Charia et le groupe État islamique (EI).
Il y sept ans, au lendemain de la chute de Kadhafi, ces mêmes rues étaient l’épicentre de la Libye nouvelle. La révolution est partie de la place du tribunal, rebaptisée place de la liberté, à quelques dizaines de mètres de la rue Shahat.
Aujourd’hui, sur un kilomètre carré en bord de mer, là où se situaient les boutiques les plus fréquentées, les cafés les plus prisés de la ville, le paysage n’est que ruines.
« Le premier jour, quand j’ai vu l’état de la maison, je n’ai pas pu rester longtemps. J’étais trop mal. »
- Hassan al-Mogharbi, habitant de la rue Shahat
Pour accélérer sa victoire, Haftar a multiplié les bombardements aériens dans ce qui était la dernière poche de résistance des combattants des milices qui avaient décidé de rester jusqu’à la fin.
Hassan al-Mogharbi avec sa femme et ses six enfants quittent leur domicile au début de l’opération Karama, lancée par les hommes de Haftar à l’automne 2014. La famille s’enfuit d’abord de la capitale de la Cyrénaïque, avant d’y revenir mais dans un quartier éloigné des combats.
Raccordement sauvage à l’eau et à l’électricité
À la mi-juillet 2016, alors que les combats continuent aux alentours, Hassan al-Mogharbi décide de revenir seul, dans sa rue tout juste libérée pour voir l’état de sa maison et commencer éventuellement les travaux : « Le premier jour, quand j’ai vu l’état de la maison, je n’ai pas pu rester longtemps. J’étais trop mal », confie-t-il à Middle East Eye.
Il décrète néanmoins que la maison peut être réhabilitée. Celui qui se considère comme le premier de la rue Shahat à être rentré voit autour de lui ses voisins revenir par groupes et constater, eux aussi, les dégâts.
L’employé au département archives du ministère de la Santé se reconvertit alors en ouvrier du bâtiment. Il commence par extraire les fers à béton encore solides pour les redresser afin de les réutiliser.
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Dangereux ? Peut-être, mais il n’a pas le choix : compte tenu de la demande, le prix de la tonne est passé à 240 dinars (152 euros) au lieu de 110 dinars (69 euros) avant 2014.
Une dépense qu’il ne peut se permettre alors qu’il doit déjà louer un logement – en général entre 400 et 500 dinars (entre 253 et 316 euros) par mois – pendant quatre ans et que le manque de liquidités qui touche tout le pays le restreint dans ses dépenses.
S’il espère, comme tous les sinistrés, obtenir un remboursement du gouvernement ou des autorités locales, le fonctionnaire sait qu’il ne peut pas compter sur une aide immédiate.
Un groupe d’ingénieurs, commandité par la municipalité, est venu il y a quelques mois inspecter les constructions encore debout pour vérifier leur solidité. Les conclusions ne sont pas encore connues. En attendant, chacun s’est mis au travail.
Le raccordement sauvage à l’eau et à l’électricité a été la première tâche. Les fils électriques courent partout le long des murs, juste au-dessus des têtes. Par temps de fortes pluies, comme ce fut le cas ces premiers jours de décembre, les tableaux électriques remontés à la va-vite laissent échapper régulièrement des volutes de fumée.
La municipalité de Benghazi a fait une première estimation du coût de la reconstruction : 50 milliards de dinars (31,4 milliards d’euros).
« Je ne pense pas qu’une famille de terroristes se soit installée chez moi. Par contre, ici, il y avait un sniper »
- Abdourahman Saad, résident de la rue Shata
Abdourahman Saad a, lui, vraiment eu de la chance. Il vit à quelques rues de Hassan al-Mogharbi mais son appartement est quasiment intact. Le sexagénaire est revenu y vivre en mai 2017.
« Ils ont volé tout ce qui avait de la valeur à l’intérieur, comme la télévision, mais rien n’a été détruit. Je ne pense pas qu’une famille de terroristes se soit installée chez moi. Par contre, ici, il y avait un sniper », explique-t-il en montrant un matelas souillé et des briques de jus de fruits dans un coin du toit troué par une bombe.
La remise en état de son logement n’a pris qu’un mois et 4 500 dinars (2 841 euros) de travaux. Une broutille quand Hassan al-Mougassabi, le propriétaire d’un des rares cafés qui a rouvert, estime avoir investi 31 000 dinars (19 570 euros) pour restaurer son immeuble qui lui avait coûté 90 700 dinars (57 257 euros) avant la guerre.
Bâtiments encore minés
Ce qui inquiète par contre Abdourahman Saad, c’est la sécurité de ses petits-enfants quand ils viennent le voir.
Jouer dans la rue au milieu d’immeubles encore minés par l’EI, comme le rappellent quelques affiches placardées, de blocs de béton suspendus dans l’air par des tiges de fer elles-mêmes sur le point de céder, et de fils électriques qui grésillent s’avère un passe-temps mortel.
Pour les obliger à rester à la maison, le grand-père a acheté une PlayStation 4. Il y a quelques semaines un homme et un cheval sont morts après l’explosion d’une mine dans une école du coin.
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L’histoire a choqué le voisinage. Hassan al-Mougassabi a d’ailleurs mis ses quatre enfants dans la prestigieuse école pakistanaise. Installée en centre-ville avant les combats, elle a déménagé dans un quartier plus sécurisé.
Des membres de l’armée nationale arabe libyenne continuent d’inspecter les rues non pas pour débusquer d’éventuels ennemis mais pour s’assurer que les gamins ne s’aventurent pas trop dans les gravats, un terrain de jeu tentant.
Cette zone, où Nicolas Sarkozy et David Cameron étaient venus prendre un bain de foule le 15 septembre 2011, jadis célébrée et aujourd’hui dévastée, a été oubliée de tous et même des Benghaziotes eux-mêmes, qui ont déplacé le centre de gravité de leur ville du bord de mer, au-delà du premier des boulevards semi-circulaires qui enserrent la ville.
Aussi, le café Benghazi apparaît comme une incongruité. Sa devanture neuve qui fait face à la Méditerranée est une tâche de modernité dans un flot de destructions. À l’intérieur, des photos du quartier au bon vieux temps servent de décoration.
« Nous venons ici pour nous souvenir de la vie avant, quand nous étions le cœur de Benghazi. Et puis, il y a la vue sur la mer, psychologiquement, ça nous apaise », explique à MEE Hamed Hassi, chanteur célèbre de la ville, entouré de ses amis.
Ils ont vécu ici. Certains sont rentrés, d’autres hésitent, mais tous se retrouvent dans ce lieu pour commémorer un mode de vie disparu. Car, le centre-ville renaîtra probablement de ses cendres mais pas avant des années et différemment.
Cette zone, où Nicolas Sarkozy et David Cameron étaient venus prendre un bain de foule le 15 septembre 2011, jadis célébrée et aujourd’hui dévastée, a été oubliée de tous
Une société libanaise de BTP qui a participé à la reconstruction de Beyrouth via la holding Solidere, dont la famille Hariri (le Premier ministre libanais) est actionnaire, a ainsi soumis un plan de développement.
Réaliser un quartier ultramoderne, reconstruire en s’inspirant de la médina détruite par Kadhafi ou rebâtir à l’identique, la décision n’est pas arrêtée.
Les premiers concernés, les habitants de la rue Shahat ont, pour le moment, une autre préoccupation : le verdict des ingénieurs de la municipalité. Que faire si ces derniers classent les immeubles comme bâtiments à détruire alors qu’ils auront entre-temps rénové leurs habitations ?
« Si c’est le cas, je n’accepterai pas. Ils n’auront qu’à venir », assène Hassan al-Mogharbi qui refusera, cette fois, de partir.
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