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RÉVÉLATION : Le plan soutenu par les EAU pour faire couronner un jeune prince saoudien

Le dirigeant émirati Mohammed ben Zayed soutiendrait un plan visant à faire couronner Mohammed ben Salmane roi d’Arabie saoudite « d’ici la fin de l’année »
Mohammed ben Salmane a acquis une influence internationale croissante pour l’Arabie saoudite (AFP)

Middle East Eye est en mesure de révéler que le vice-prince héritier d’Arabie saoudite est conseillé par les Émirats arabes unis (EAU) sur la façon dont il peut obtenir le soutien des États-Unis et devenir roi d’ici la fin de 2016.

Deux sources saoudiennes bien placées ont confié à MEE sous couvert d’anonymat que le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, conseille à Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz al-Saoud une approche sur deux fronts pour devenir le favori des États-Unis en tant que prochain souverain de l’Arabie saoudite.

Selon la première source saoudienne, Ben Zayed a dit à Ben Salmane que, pour être accepté par les Américains, il doit « mettre fin au règne du wahhabisme » – référence à la forme ultra-conservatrice de l’islam pratiquée en Arabie saoudite.

Ben Zayed, le dirigeant de facto des EAU, a également dit à Ben Salmane d’ouvrir un « fort canal de communication » avec Israël s’il veut être le favori de Washington dans la succession au trône.

La deuxième source saoudienne a indiqué que Ben Salmane est impatient de gagner le soutien de Washington ; comme il l’a dit récemment à de proches collaborateurs, « il accomplira la mission de devenir roi avant la fin de l’année ».

Ben Salmane a 30 ans et a rapidement gagné en importance et en puissance depuis sa nomination à son poste au début de l’année 2015.

Il est second dans l’ordre de succession au trône, ministre de la Défense de son pays et dirige également la cour royale de son rival et premier dans l’ordre de succession au trône : le prince héritier et ministre de l’Intérieur Mohammed ben Nayef ben Abdelaziz al-Saoud.

Alors que le règne de Ben Salmane a jusqu’à présent été gâché par la guerre au Yémen voisin, le prince incarne de plus en plus le visage international de l’Arabie saoudite à travers le lancement de Vision 2030 – son plan pour diversifier l’économie du royaume sans dépendre des recettes pétrolières.

Ses entretiens avec The Economist et Bloomberg lui ont valu beaucoup d’éloges parmi ceux qui veulent que l’Arabie saoudite change non seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan social, et sur les conseils de l’émirati Ben Zayed, le vice-prince héritier saoudien cherchera à changer fondamentalement le rôle de la religion dans le royaume.

« Il [Ben Salmane] a initié un plan pour éliminer progressivement la police religieuse et arrêter les islamistes les plus influents », a indiqué l’une de nos deux sources saoudiennes.

« Il supprimera également le Conseil des grands savants [la plus haute instance religieuse saoudienne] et cessera toutes les activités islamiques qui servent le wahhabisme. »

Ces actions, en cas de succès, serviront à gagner du soutien à Washington, où beaucoup préféreraient actuellement l’expérience de Ben Nayef, leur allié de longue date.

Ces réformes religieuses seraient « saluées comme une grande action par un plan de relations publiques bien orchestré par des entreprises de communication aux États-Unis », a expliqué cette même source.

« L’objectif sera pour lui [Ben Salmane] d’être salué comme un héros par la presse, le Congrès et le milieu universitaire, de sorte que l’administration [américaine] soit contrainte de suivre. »

Le cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane (à droite), prince héritier d’Abu Dhabi et vice-commandant suprême des forces armées des EAU, rencontre le secrétaire d’État américain John Kerry (AFP)

Des analystes de l’Arabie saoudite ont toutefois déclaré à MEE qu’annuler le rôle de l’establishment religieux serait une tâche difficile pour le jeune prince.

« Ben Salmane pourrait bien être l’homme qui mettra fin à ce pacte de gouvernement qui a été initié il y a 60 ans par le roi Fayçal », a déclaré Christopher Davidson, auteur de After the Sheikhs: The Coming Collapse of the Gulf Monarchies.

« Cependant, ce sera beaucoup plus facile à dire qu’à faire. »

Le Conseil des grands savants a été officiellement créé en 1972 par Fayçal, et depuis lors, il exerce un pouvoir politique important. Il est responsable de l’émission d’une décision religieuse déclarant chaque nouveau souverain légitime.

Cependant, il y a déjà eu des initiatives visant à affaiblir le pouvoir de l’establishment religieux. En avril dernier, la police religieuse s’est vue privée de sa capacité à arrêter les gens et il lui a été demandé de faire respecter les valeurs islamiques « avec bienveillance et ménagements ».

Andrew Hammond, ancien chef du bureau de Reuters à Riyad, a déclaré à MEE que si le « wahhabisme d’État » pouvait être « acheté », cela pouvait avoir des répercussions dans la société au sens large.

« Ce sont ceux qui sont en désaccord, les érudits indépendants – voilà le problème », a-t-il affirmé. « Si vous leur faites la guerre si ouvertement en tant qu’institution, quelle légitimité avez-vous ?

« Il n’y a pas de vote, il [Ben Salmane] est jeune et nouveau au pouvoir. Cela semble être une décision irréfléchie qui pourrait avoir l’effet déstabilisateur d’un retour de bâton religieux à moins qu’il intervienne dans le cadre d’un effort plus large visant à redéfinir la légitimité du régime par le biais d’un vrai Parlement. Et je ne pense vraiment pas que ce soit ce qu’il a à l’esprit. »

La deuxième stratégie conseillée par Ben Zayed pour gagner les faveurs de Washington était moins surprenante pour les analystes : tenter de développer une communication étroite avec Israël.

L’année dernière, il a été signalé que Riyad et Tel Aviv auraient effectivement coopéré – bien qu’ils n’aient officiellement aucun lien diplomatique – pour essayer d’empêcher les États-Unis de conclure un accord nucléaire avec l’Iran.

Les représentants des deux pays ont partagé des plateformes publiques, comme au Council on Foreign Relations en juin 2015, lorsque le général saoudien à la retraite Anwar Eshki s’est exprimé aux côtés du responsable israélien Dore Gold.

Les relations saoudo-israéliennes sont un sujet sensible en raison du fort soutien de l’opinion publique saoudienne à la cause palestinienne.

Le caractère sensible des relations avec Israël pour les États arabes a également été un problème pour Ben Zayed.

Alors que les liens entre les EAU et Israël se sont renforcés ces dernières années, leur relation est restée largement secrète. Cependant, comme l’a révélé MEE, il y a eu des vols secrets entre les deux nations et un important échange dans les domaines de la sécurité et de l’agriculture.

C’est l’impact positif des relations israéliennes perçu à Washington qui fait que cela vaut la peine de courir le risque pour les dirigeants du Golfe, notamment Ben Zayed et Ben Salmane, selon Davidson.

« Traditionnellement, les clients arabes des États-Unis ont souvent tenté de gagner la faveur des Américains en se montrant au moins en train de faire ami-ami avec l’État qui serait selon eux le plus grand ami de l’Amérique dans la région – Israël », a-t-il déclaré.

Pour l’une des sources saoudiennes, Washington pourrait être influencé et soutenir la prétention au trône de Ben Salmane s’il pouvait mettre en place une bonne communication avec Israël, même si les Américains apprécient Ben Nayef.

Ben Nayef est peut-être premier dans l’ordre de succession, mais son silence – et la proéminence de Ben Salmane – en ont conduit beaucoup à conclure que le pouvoir de ce quinquagénaire expérimenté décline.

Le prince héritier saoudien et ministre de l’Intérieur, Mohammed ben Nayef arrive à la 27e réunion ordinaire des ministres de l’Intérieur des six nations du Conseil de coopération du Golfe (AFP)

Au cours de la récente visite de Ben Salmane aux États-Unis, où il a rencontré le président Barack Obama et le PDG de Facebook Mark Zuckerberg, a émergé un rapport citant des agents du renseignement américains prétendant que Ben Nayef pourrait bientôt mourir.

MEE croit savoir que Ben Nayef est en bonne santé ; Hammond a déclaré que les rapports portaient la marque d’un plan pour promouvoir Ben Salmane comme la meilleure option.

« Cela semble vraiment être un effort concerté pour non seulement faire de Mohammed ben Salmane l’homme du moment et le seul choix possible comme sauveur national et familial, mais aussi pour montrer Mohammed ben Nayef comme las, hors du coup, fini », a-t-il estimé.

La relation étroite de Ben Nayef avec Washington est le fruit de sa longue expérience dans les opérations de lutte contre le terrorisme, qui a conduit à ce qu’il soit considéré comme un partenaire fiable.

C’est lui qui aurait coupé court à la campagne d’attentats à la bombe et de fusillades d’al-Qaïda dans le royaume entre 2003 et 2005.

L’expérience de Ben Nayef dans la lutte contre le terrorisme en tant que ministre de l’Intérieur signifie qu’il a des alliés précieux et profondément ancrés dans l’establishment sécuritaire et militaire de l’Arabie saoudite.

Cette semaine, le Washington Post a décrit les liens entre Ben Zayed et Ben Salmane comme une relation de « mentor ».

Ben Nayef, d’autre part, est connu pour avoir un profond dédain envers le prince héritier d’Abu Dhabi, comme l’illustre un câble diplomatique de 2003 publié par Wikileaks dans lequel Ben Zayed qualifiait le père de Ben Nayef de singe et affirmait que « Darwin avait raison ».

La lutte pour devenir le prochain roi saoudien revêt une grande importance, notamment parce que le monarque actuel, le roi Salmane (80 ans), est en mauvaise santé. Le prochain souverain sera également le premier roi à ne pas être un fils du fondateur du pays, Abdelaziz al-Saoud.

La source saoudienne proche de Ben Salmane a indiqué que de nombreuses rumeurs couraient à Riyad sur le fait que « entre aujourd’hui et décembre, des mesures seront prises pour faire couronner le vice-prince héritier ».

La vision économique de Ben Salmane consistant à vendre des actifs de l’État et de faire venir les sociétés multinationales vise à impressionner un public international, mais selon Hammond, ce n’est guère plus qu’une façade.

« Cela transformerait simplement le paternalisme en une forme de néo-libéralisme qui donnerait à la famille régnante plus de temps pour continuer à voler l’État, monopoliser le pouvoir et travailler à la façon d’empêcher les gens ordinaires d’avoir un mot à dire sur la façon dont leur pays – si on peut l’appeler ainsi – est géré », a-t-il dit.

Davidson a déclaré qu’il était trop tôt pour conclure que Ben Nayef était hors-jeu.

« Les alliés de Mohammed ben Nayef dans les forces armées et les forces de sécurité sont puissants et ils lui sont encore très loyaux », a-t-il expliqué. « Je crois aussi qu’il a une relation de travail avec le Conseil des grands savants religieux. Je n’écarterais certainement pas le prince héritier. »

L’un ou l’autre aura la tâche de surmonter une série de pressions économiques et politiques sans précédent sur le royaume. Les prix du pétrole ont chuté, provoquant un important déficit public et l’Arabie saoudite est à nouveau victime d’une campagne d’attentats – cette fois du fait de militants se réclamant du groupe État islamique.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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