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Riadh Jaïdane, député : « Il y a urgence à réglementer l’état d’urgence en Tunisie »

Alors que Human Rights Watch estime que l’état d’urgence décrété en Tunisie porte atteinte à certaines libertés fondamentales, des députés ont lancé une initiative visant à le réglementer. Son instigateur, le député Riadh Jaïdane, explique sa démarche à MEE
Pour le député Riadh Jaïdane, la décision de prolonger l'état d'urgence est « inconstitutionnelle » (Twitter)
Par MEE

À la fin de cette semaine, une initiative législative visant à réglementer l’état d’urgence en Tunisie, co-signée par dix-huit députés de toutes les sensibilités politiques, doit être transmise au bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Elle passera ensuite devant une commission du parlement qui rendra un rapport, puis sera soumise au vote des députés.

Alors que le 15 octobre dernier, le président tunisien Béji Caïd Essebsi a de nouveau prolongé l'état d'urgence pour trois mois (jusqu'à janvier 2017), Riadh Jaïdane, député à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et président du Mouvement l’appel des Tunisiens à l’étranger, espère que le texte dont il est l’instigateur sera voté « au plus vite ».

« Chaque décision qui a été prise de prolonger l’état d’urgence est inconstitutionnelle car la nouvelle Constitution, adoptée en janvier 2014 prévoit clairement dans son article 49 que tout limitation des droits et des libertés doit être fixée par une loi, c’est à dire un texte voté par le parlement », explique Riadh Jaïdane à Middle East Eye.

En d’autres termes, il suffirait qu’une association dépose un recours devant un tribunal administratif pour que l’état d’urgence soit annulé.

« Il y a urgence à l’encadrer mais aussi à le protéger. Or pour l’instant, c’est toujours le décret de 1978 qui règlemente l’état d’urgence. »

Ce décret, pris par le pouvoir exécutif (et non pas décidé par le parlement), avait été mis en place par le président Habib Bourguiba lors des événements du « Jeudi noir » qui avaient opposé le syndicat de l’opposition, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le gouvernement.

Assignations à résidence arbitraires

Cette initiative est présentée alors que le 24 octobre, Human Rights Watch (HRW) a publié un communiqué sur « les assignations à résidence arbitraires » décidées dans le cadre de l’état d’urgence.

« L'état d'urgence ne donne pas aux gouvernements un chèque en blanc pour réprimer les droits », a souligné Amna Guellali,  directrice du bureau tunisien de Human Rights Watch. « Pour être légitimes, les mesures exceptionnelles, telles que les assignations à résidence, doivent être limitées dans le temps et pouvoir faire l'objet d'une procédure d'appel. »

L’ONG relève que le recours aux assignations à résidence à l'encontre d'au moins 139 personnes dans le cadre de la déclaration de l'état d'urgence en novembre 2015 provoque « la stigmatisation de nombreux individus, qui sont dans l'incapacité de poursuivre leurs études ou de se rendre à leur travail. »

D'après les normes internationales, les assignations à résidence sont considérées comme une forme de détention et elles doivent respecter certaines garanties pour être considérées comme légitimes, même en cas d'état d'urgence.

En juillet déjà, HRW avait déjà mis en garde le gouvernement : l'imposition de l'état d'urgence ne doit pas « prendre le pas sur droits humains et les libertés fondamentales ».

« Les défis auxquels la Tunisie fait face en matière de sécurité justifient sans doute une réponse ferme, mais pas l'abandon de droits dont la garantie dans la constitution promulguée après la révolution a été obtenue de haute lutte par les Tunisiens », avait déclaré à l’époque Éric Goldstein directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Contrôler l’action du gouvernement

Riadh Jaïdane, aussi maître de conférences à la faculté de droit de Nice, et membre du Centre d’études et de recherche en droit administratif, constitutionnel, financier et fiscal (CERDACFF), remarque que depuis quelques mois, la société civile tunisienne est devenue plus critique à l’égard de l’état d’urgence.

« Nous avons entendu parler de plaintes mais nous, députés, n’avons pas les moyens de contrôler l’action du gouvernement. Nous ne pouvons pas demander à l’Administration de nous communiquer ce qu’elle fait. »

En plus du contrôle parlementaire, l’initiative parlementaire prévoit aussi un contrôle judiciaire : un juge doit être en mesure de décider de l’opportunité de cet état d’urgence. Enfin, l’initiative prévoit un contrôle a posteriori, sur la base d’une présentation d’un rapport à la fin de l’état de l’urgence.

Alors que l’économie du pays est au plus mal et que la Tunisie doit attirer touristes et investisseurs (une importante conférence internationale Tunisia 2020 se tiendra à Tunis les 29 et 30 novembre, « il y a urgence à  poser un cadre juridique en harmonie avec la nouvelle Constitution tunisienne et de mettre en place un mécanisme de contrôle parlementaire », conclut le député.

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