Sans travail, sans leader et sans espoir, les jeunes Palestiniens refusent de capituler
GAZA, Territoires palestiniens – Ahmed Abu Taweel se souvient très bien du moment où Muhamed al-Durra, 12 ans, a été abattu par des soldats israéliens en 2000 alors qu’il était accroupi derrière son père lors d’une manifestation dans la ville de Gaza. C’était le deuxième jour de la seconde Intifada et Ahmed avait 8 ans.
« Nous étions des enfants à cette époque, a-t-il affirmé. Nous avons grandi en cherchant un sens à notre vie, mais nous n’avons rien trouvé. »
« Nous protestons pour exprimer la colère qui couve en nous depuis des années. Les occupants n’ont aucune pitié »
– Ahmed Abu Taweel, 26 ans
Aujourd’hui âgé de 26 ans, Ahmed a décroché un diplôme universitaire en comptabilité mais ne trouve pas de travail. Il ne peut pas quitter Gaza en raison du siège qui a débuté en 2007.
Au lieu de cela, il vit dans le camp de réfugiés de Jabaliya, à Gaza, avec les huit membres de sa famille, dont ses deux sœurs qui sont également au chômage et son père, fonctionnaire de l’Autorité palestinienne, qui ne reçoit que 50 % de son salaire. Il leur arrive souvent de passer la moitié de la journée dans le noir quand il n’y a plus d’électricité.
Et comme beaucoup de jeunes qui manifestent à la frontière entre Gaza et Israël et qui se sont entretenus avec Middle East Eye cette semaine, Ahmed revient chaque semaine parce qu’il estime que protester est la meilleure possibilité dont il dispose pour changer sa vie, même si, ce faisant, il la met entièrement en jeu.
« Ils ont tué nos rêves, l’environnement et la mer en nous laissant seulement quinze kilomètres, et maintenant, ils parlent d’améliorer nos vies ? », s’est-il moqué en réponse à un tract que des drones israéliens ont largué plus tôt cette semaine.
Le tract, qui demande aux manifestants de ne pas s’approcher de la frontière, imagine Gaza en 2025 avec des lumières vives, des arbres sains et de hauts immeubles.
« Nous protestons pour exprimer la colère qui couve en nous depuis des années. Les occupants n’ont aucune pitié. »
« Quand les droits fondamentaux deviennent des rêves »
Tous les vendredis et même les jeudis, Ahmed et ses amis participent à la protestation. Chacun a vécu la perte de proches ou d’amis tués par les soldats israéliens et une enfance parsemée de souvenirs de crises politiques – la seconde Intifada, l’occupation de Gaza et trois guerres destructrices.
L’un d’eux, Ahmed Madi, 23 ans, est lui aussi originaire du camp de Jabaliya. Le mois dernier, lors d’une des protestations du vendredi organisées à la frontière, son cousin de 15 ans, Hussein Madi, a été tué.
« Hussein était un adolescent. Pourtant, il était très conscient de la difficulté de notre vie. Il rêvait d’une maison sans coupures d’électricité et son plus grand rêve était de voyager avec son équipe de volleyball », a-t-il raconté.
« J’aspire moi-même à avoir un travail et une maison pouvant me garantir une vie décente. Quand les droits fondamentaux deviennent des rêves, la situation est très ironique. »
Madi travaillait dans un grand magasin au marché de Jabaliya, mais il y a quatre mois, il a perdu son emploi alors que l’économie gazaouie continuait de se détériorer.
Il a cherché d’autres opportunités d’emploi, en vain. Son père est sans travail depuis dix ans et ses deux frères aînés sont également au chômage.
« J’aspire moi-même à avoir un travail et une maison pouvant me garantir une vie décente. Quand les droits fondamentaux deviennent des rêves, la situation est très ironique »
– Ahmed Madi, 23 ans
Madi espère que les manifestations donneront un élan à la cause palestinienne. Les négociations avec les Israéliens ont été infructueuses, a-t-il expliqué. Les Israéliens voulaient que Jérusalem soit leur capitale, indépendamment des accords d’Oslo de 1993 – négociés avant la naissance de Madi – qui ont fait de Jérusalem un sujet à aborder dans le cadre d’accords ultérieurs sur le statut final. Aujourd’hui, les États-Unis ont pourtant reconnu la ville comme la capitale d’Israël.
« Nous sommes des gens pacifiques. Il est vrai que nous souffrons de la division palestinienne, mais nous ne faisons de mal à personne. Nous ne présentons aucun danger pour les forces israéliennes qui nous tuent et qui pensent que [cette violence] nous fera reculer », a-t-il affirmé.
« Nous sommes ici pour défendre nos droits et notre rêve. Nous souffrons parce que nous sommes assiégés mais nous ferons ressurgir l’espoir de leurs armes et de leurs fusils. »
Une liberté payée « au prix fort »
Après les protestations, les manifestants se rassemblent souvent dans des tentes près du camp de réfugiés d’al-Bureij pour se rencontrer et se soutenir mutuellement. Iyad Abu Oweini, un étudiant en histoire de 27 ans, reste dans les tentes longtemps après le coucher du soleil pour discuter des derniers incidents.
Il ne fait plus confiance aux dirigeants et partis politiques palestiniens, mais seulement à la voix de la jeunesse.
« Nous sommes des Palestiniens et chacun a ses propres convictions politiques. Le Hamas contrôle Gaza mais cela ne signifie pas que les manifestants sont du Hamas »
- Mo’men Muteir, 26 ans
« Tout au long de l’histoire, il a été prouvé que la liberté et la dignité se gagnent en se scarifiant pour concrétiser les demandes du peuple. Je sais que c’est une dure réalité, puisque nous allons perdre des êtres chers, mais la liberté se paie au prix fort en Palestine », a déclaré Iyad.
« Nous sommes occupés depuis le mandat britannique, et maintenant, nous sommes occupés par Israël », a-t-il poursuivi.
Selon lui, Israël tente de manipuler le discours sur les protestations à la frontière en affirmant que les jeunes sont affiliés à des partis politiques ou sont des terroristes partisans du Hamas. Si les États-Unis ont adhéré au discours d’Israël, la vérité est néanmoins beaucoup plus simple, a-t-il ajouté.
« Nous sommes des manifestants pacifiques. Aucune manifestation dans le monde ne fait face à des tirs à balles réelles, mais nous, nous sommes confrontés à un usage excessif de la force alors qu’aucun de nous n’est armé », a déploré Iyad.
Son ami de 26 ans, Mo’men Muteir, également au chômage, a fait écho à ses remarques.
« Israël essaie de dire au monde que le peuple de Gaza est du Hamas, ce qui est faux. Nous sommes des Palestiniens et chacun a ses propres convictions politiques. Le Hamas contrôle Gaza, mais cela ne signifie pas que les manifestants sont du Hamas », a-t-il soutenu.
« Nous sommes ici pour avoir notre mot à dire et réclamer nos droits afin de mettre fin à la crise humanitaire dont nous souffrons. »
Ce mardi, alors que des protestations étaient en cours à Gaza à l’occasion de la commémoration de la Nakba, Mo’men pleurait la disparition de son ami Amed al-Odeini, 30 ans, tué lundi par les forces israéliennes au cours de la manifestation à la frontière de Gaza.
« Trump ne sait pas que chaque jeune homme a un rêve et de grandes ambitions que les violations commises par Israël finissent par étouffer »
– Ahmed al-Rawagh, 28 ans
Mo’men explique que son ami Amed participait à l’organisation des grandes manifestations en mars 2011 en Cisjordanie et à Gaza pour réclamer la fin des combats entre le Hamas et le Fatah. Amed a également aidé à diriger des manifestations contre le plan Prawer, qui exigeait la destruction de villages bédouins et le déplacement de leurs habitants avant son abandon en 2013. Son ami n’a jamais épargné ses efforts pour soutenir les droits des jeunes, a affirmé Mo’men.
Selon Ahmed al-Rawagh, 28 ans, lui aussi originaire du camp de réfugiés d’al-Bureij, les autres manifestants et lui-même ont été mal jugés.
« Trump ne sait pas que chaque jeune homme a un rêve et de grandes ambitions que les violations commises par Israël finissent par étouffer », a-t-il affirmé.
« Nous voulons avoir une vie décente et un travail, nous sommes au XXIe siècle, personne ne peut croire que ce sont encore des rêves. Mais nous continuerons [de protester] pour récupérer nos terres et notre dignité. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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