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Sex tape et allégations de corruption : pourquoi Ahmed Chafik s’est retiré de la campagne électorale

Ahmed Chafik aurait affirmé qu’il serait calomnié s’il défiait Sissi lors des élections présidentielles de cette année en Égypte, selon certaines sources
Ahmed Chafik a mis un terme à sa campagne présidentielle lors d’une conférence de presse organisée au Caire dimanche (Reuters)

Des sources proches de l’ancien Premier ministre égyptien Ahmed Chafik ont indiqué à Middle East Eye que celui-ci avait renoncé à la présidentielle égyptienne après avoir appris qu’il serait visé par des allégations d’inconduite sexuelle et de corruption.

MEE croit comprendre que cette menace a été formulée par des proches du président en fonction, Abdel Fattah al-Sissi, suite au retour de Chafik en Égypte début décembre après son exil aux Émirats arabes unis alors qu’il était surveillé par les services de renseignement égyptiens.

Elle intervient dans un contexte d’inquiétude au sein du camp de Sissi qui craignait que Chafik, après cinq ans passés au Émirats arabes unis, ne recueille un vaste soutien pour sa campagne – de l’ancien président Hosni Moubarak à la vieille garde des Frères musulmans, voire auprès de certains éléments au sein des services de renseignement égyptiens.

Les sources de MEE n’ont pas divulgué l’identité du messager mais affirment qu’il prétend posséder des enregistrements vidéo montrant de prétendus actes d’inconduite sexuelle et a menacé de placer Chafik au cœur d’une enquête pour corruption.

Le messager aurait par ailleurs indiqué que l’une de ses deux filles serait également accusée de corruption.

Des sources au sein du camp de Chafik ont indiqué à MEE que ces menaces ont été formulées pour le contraindre à se retirer de la campagne présidentielle.

Dimanche, Chafik a mis un terme à sa courte candidature présidentielle, annoncée à Abou Dabi fin novembre, en confirmant lors d’une allocution télévisée qu’il n’affronterait pas Sissi lors des élections prévues en mars, affirmant que ses cinq années d’exil aux Émirats arabes unis l’avaient « éloigné de […] ce qui se passe dans [son] pays ».

Chafik avait quitté l’Égypte suite à sa défaite face au membre des Frères musulmans, Mohamed Morsi, lors de la première élection présidentielle démocratique du pays après la révolution du Printemps arabe contre Moubarak en 2011. Morsi avait ensuite été renversé par Sissi lors d’un coup d’État en 2013.

Chafik se présente au bureau de vote à l’occasion des élections présidentielles de 2012, lors desquelles il s’est porté candidat (AFP)

Les dernières révélations interviennent après la diffusion par Mekameleen, une chaîne de télévision proche de l’opposition égyptienne et basée en Turquie, d’enregistrements de conversations entre un agent de sécurité et un célèbre animateur télé égyptiens dans lesquelles l’agent demandait à l’animateur de préparer une émission visant à discréditer Chafik au cas où les négociations avec ce dernier se passeraient mal.

L’agent secret, le capitaine Ashraf al-Kholi, aurait indiqué au présentateur, Azmi Megahed, qu’un plan avait été élaboré pour « casser » la tête de Chafik et le calomnier s’il sortait du rang.

MEE s’est entretenu avec des sources proches de Chafik, des membres de l’opposition hors du pays avec lesquelles il était en contact et des sources en Égypte qui ont toutes confirmé l’existence d’une campagne visant à mettre un terme à la candidature de Chafik.

Sous couvert d’anonymat, elles ont également expliqué que Chafik s’était tourné vers des membres des forces armées égyptiennes, vers l’Église copte et les Frères musulmans afin d’obtenir leur soutien pour sa confrontation avec Sissi.

Le soutien de Moubarak

La campagne de Chafik pour se porter candidat à l’élection de 2018 a accéléré en septembre de l’année dernière lorsqu’il a reçu le soutien de l’ancien président Moubarak, de sa famille et de ses partenaires commerciaux ainsi que de certains membres de l’État profond.

Le fait que Chafik soit soutenu par certains membres du milieu du renseignement est également évoqué dans les conversations diffusées par Mekameleen, dans lesquelles Ashraf al-Kholi a mentionné l’existence de « quelques catins » au sein des renseignements généraux égyptiens qui se montraient favorables à Chafik. On ignore quand ces prétendues conversations ont eu lieu.

Chafik s’est ensuite tourné vers un large éventail de leaders de l’opposition égyptienne, y compris ceux du camp réformiste et de la vieille garde des Frères musulmans divisés.

Comme MEE l’a signalé en novembre 2015, les Émirats arabes unis nourrissaient des doutes sur Sissi. Pour l’Arabie saoudite, Sissi ne garantissait pas non plus la stabilité dont l’Égypte avait besoin et n’était pas considéré comme offrant un soutien suffisant à Riyad dans ses campagnes régionales, particulièrement au Yémen.

Selon les sources de MEE, Chafik a reçu trois visites importantes à Abou Dabi en fin d’année dernière.

Celle d’un groupe de généraux égyptiens du Conseil suprême des forces armées (SCAF), celle de Salmane al-Ansari, le fondateur du Comité saoudien des relations et affaires publiques (SAPRAC) basé à Washington, avec qui il s’est entretenu pendant trois heures, et celle d’un représentant de l’Église copte en Égypte.

Aucun de ces visiteurs n’a soutenu publiquement Chafik. Le représentant de l’Église copte a indiqué à Chafik que si les Émirats arabes unis soutenaient sa candidature à la présidence, l’Église ferait de même.

Dans ses contacts avec les membres de l’opposition égyptienne, Chafik a livré trois messages principaux. Il leur a annoncé qu’il reconnaissait le besoin de réconciliation, mais aussi qu’il estimait que « beaucoup » de personnes se trouvant en prison ne devaient pas y être.

Troisièmement, Chafik, ancien pilote et commandant de l’armée de l’air égyptienne, a déclaré que même s’il reconnaissait que l’armée égyptienne jouait un rôle fondamental dans la vie politique du pays et devait continuer de le faire, elle devait selon lui « reculer quelque peu et progressivement ».

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Chafik a estimé que l’armée devait relâcher progressivement son emprise sur l’économie. Un plus grand nombre de ses entreprises devaient également réintégrer le secteur privé.

Chafik n’est pas entré dans les détails. Il ne s’est pas prononcé en faveur de la libération de Morsi, contre qui il avait perdu de peu en 2012. De même, il n’a pas indiqué combien des 50 000 prisonniers politiques détenus dans les prisons égyptiennes devaient être libérés.

Il a présenté ses points comme des déclarations destinées à engager un dialogue politique et à former le début de négociations.

Les contacts établis entre Chafik et l’un des deux groupes de Frères musulmans ont attiré l’attention des services de sécurité égyptiens. En réponse, Sissi a lancé une campagne d’arrestations visant ce groupe en Égypte.

Alarmé par le lourd tribut qu’il payait en poursuivant les échanges avec Chafik, ce groupe s’est retiré des discussions.

Le coup de téléphone de Sissi à Mohammed ben Zayed

Quelques jours avant un voyage de Chafik à Paris, prévu le 26 novembre, Sissi a téléphoné à Mohammed ben Zayed, le prince héritier d’Abou Dabi, pour l’informer que Chafik devait rencontrer des personnalités de l’opposition à Paris, dont un membre haut placé du deuxième groupe de Frères musulmans. Sissi a demandé à Mohammed ben Zayed d’empêcher cela.

Des sources ont indiqué à MEE que c’est cet appel qui a poussé Mohammed ben Zayed à empêcher Chafik de quitter le pays. Après avoir échoué à convaincre les Émirats arabes unis de le laisser partir, Chafik a publié un communiqué via l’agence de presse Reuters déclarant son intention de se présenter à la présidence de l’Égypte.

Dans le même temps, Chafik a envoyé une vidéo à Al-Jazeera Arabic – dont les Émiratis ont exigé la censure – accusant les Émirats arabes unis de l’avoir interdit de voyager. Dans la vidéo, Chafik a également déclaré que les Émirats arabes unis s’ingéraient dans les « affaires intérieures égyptiennes ».

« Je souhaiterais exprimer ma gratitude envers les Émirats arabes unis pour m’avoir accueilli pendant toute la période écoulée. Pour autant, je réitère mon rejet de l’ingérence émiratie dans les affaires intérieures égyptiennes et je désapprouve l’interdiction prononcée contre ma libre circulation ou contre l’exercice de mon droit constitutionnel », a-t-il ajouté.

« Je ne reviendrai pas sur ma position, que j’ai énoncée plus tôt. Je suis prêt à affronter tous les problèmes auxquels je suis susceptible de faire face. J’appelle également les autorités égyptiennes à intervenir rapidement afin d’éliminer tout obstacle qui entrave ma liberté de circulation. »

Dans une vidéo envoyée à Al-Jazeera Arabic, Chafik a déclaré que les Émirats arabes unis s’ingéraient dans les « affaires intérieures égyptiennes » (AFP)

Le communiqué relayé par Reuters et la vidéo publiée par Al-Jazeera auraient surpris Mohammed ben Zayed, qui s’attendait à voir Chafik garder le silence, selon des sources.

Par la suite, le ministre émirati des Affaires étrangères, Anouar Gargash, a démenti dans une série de tweets la présence d’un « obstacle » à la sortie de Chafik des Émirats.

« [Chafik] s’est réfugié aux Émirats arabes unis et a fui l’Égypte après les résultats des élections présidentielles de 2012. Nous lui avons offert un accès à toutes les installations ainsi qu’un accueil généreux en dépit de nos profondes réserves vis-à-vis de certaines de ses positions », a déclaré Gargash.

« Ressortir les vieux dossiers »

Chafik a ensuite été arrêté et, selon son avocate Dina Adly, expulsé vers l’Égypte le 2 décembre.

En Égypte, il a été emmené dans un hôtel par les services de renseignement. Bien qu’il ait pu accéder à des personnes du monde extérieur et passer des appels, il a été gardé sous observation.

Les fuites de Mekameleen montrent que les médias ont reçu la consigne d’attendre avant de tirer sur Chafik, mais se sont vu demander de se tenir prêts à l’attaquer lorsque le signal leur aurait été donné.

Al-Kholi aurait indiqué à Azmi Megahed : « Je veux que vous prépariez les vidéos de Chafik lorsqu’il discutait avec les Frères musulmans, parce qu’à l’heure actuelle, il y a du marchandage et nous voulons voir où nous nous dirigeons avec lui. S’il persiste, nous devrons ressortir les vieux dossiers. »

À LIRE : Sissi, le mort-vivant

Dans le même temps, Sissi s’est débarrassé d’une autre menace potentielle à sa présidence. Les sources de MEE ont indiqué que le général Mahmoud Hegazy avait été démis de ses fonctions de chef d’état-major des forces armées dès son retour au Caire d’un voyage aux États-Unis en octobre.

Sissi avait alors reçu des rapports signalant que Hegazy s’était comporté aux États-Unis comme s’il était le prochain président égyptien ; il s’agissait alors de la raison de son renvoi.

À l’époque, la presse avait relié son renvoi à une attaque contre un convoi de police dans le désert occidental du Sinaï, au cours de laquelle plus de 50 policiers ont été tués.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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