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Sidi Mohamed Dadach est-il le Mandela de l’Afrique du Nord ?

La vie de ce Sahraoui est faite de longues années d’emprisonnement et de résistance depuis le tout premier jour de l’occupation de son pays, il y a 40 ans
Sidi Mohamed Dadach pose dans un endroit secret à Laâyoune, au Sahara occidental (MEE/Karlos Zurutuza)

LAÂYOUNE, Sahara occidental – Naman Street est l’une des rares avenues bordées d’arbres à Laâyoune. Les Sahraouis locaux, cependant, l’appellent « Dadach », en l’honneur de Sidi Mohamed Dadach, un célèbre dissident qui a été accueilli ici par des milliers de personnes après avoir passé 24 ans dans les prisons marocaines.

À 1 100 km au sud de Rabat, Laâyoune est une ville constituée d’interminables rangées d’immeubles ternes construits par les Espagnols il y a 80 ans pour accueillir les travailleurs d’une grande mine de phosphate et du port voisin. Toutefois, l’ensemble du Sahara occidental – un territoire de la taille de la Grande-Bretagne – a changé de mains en 1975, lorsque l’Espagne s’est retirée de sa dernière colonie. Aujourd’hui, Rabat le revendique comme sa province méridionale mais les Nations unies parlent d’un « territoire engagé dans un processus inachevé de décolonisation ».

On nous dit que Dadach loue un petit appartement non loin de « sa » rue. Sa maison est constamment surveillée par la police marocaine, tout comme les quelques journalistes qui mettent les pieds dans ce coin oublié du Maghreb.

Medir Plandolit, un journaliste catalan qui a passé 4 ans à Rabat, a parlé à MEE d’un black-out médiatique imposé par le Maroc : « Le Sahara occidental est une zone interdite aux journalistes. Dans le cas peu probable où l’on obtient l’autorisation de visiter la région, on ne peut que rejoindre une visite organisée par les autorités marocaines. Aucune entrevue avec Dadach, ou tout autre leader pro-indépendance sahraouie ou défenseur des droits de l’homme, n’est prévue au programme. »

Le journaliste a également évoqué les « limites » auxquelles doivent faire face les journalistes basés au Maroc : « Il y en a trois : la religion, le roi et la territorialité, c’est-à-dire la question du Sahara occidental », a souligné Medir Plandolit, qui a quitté le pays en 2010 « en raison de la pression croissante » exercée par les autorités marocaines.

Middle East Eye a pu rencontrer Dadach dans un lieu tenu secret de la banlieue de Laâyoune. Une chemise de camouflage verte visible sous ses habits traditionnels laissait entrevoir l’histoire qu’il était sur le point de raconter.

Né en 1957 à Guelta, un village isolé situé près de la frontière mauritanienne, Dadach se rappelle avoir obtenu sa pièce d’identité espagnole en 1972, qui a perdu sa valeur en 1975 quand les Espagnols se sont retirés.

« La coexistence entre eux et nous n’était pas parfaite, mais nous travaillions ensemble et il y avait un certain respect mutuel », a-t-il ajouté. Dadach n’a toutefois pas hésité à rejoindre les rangs du Front Polisario lors de la création de l’organisation pour l’indépendance sahraouie en 1973.

Né pendant l’occupation espagnole, le Polisario allait plus tard mener une guerre longue et épuisante contre le Maroc jusqu’à la signature d’une trêve entre les deux parties en 1991. Basé dans les camps de réfugiés de Tindouf, dans l’ouest de l’Algérie, le Polisario est l’autorité aujourd’hui reconnue par l’ONU comme représentant légitime du peuple sahraoui.

Rabat contrôle presque tout le territoire, y compris l’ensemble de la côte de l’Atlantique, mais il y a une bande de désert minuscule de terre sous contrôle sahraoui, appelés « territoires libérés ».

Les combattants du Front Polisario se mettent en rang dans les « territoires libérés », minuscule bande de terre sous contrôle sahraouie (MEE/Karlos Zurutuza)

 « On nous a dit en 1975 que nous étions en guerre, mais nous n’avions pratiquement aucune arme pour nous battre. Le Maroc avait des chars et des avions de chasse alors nous n’avons pas pu l’affronter avant de recevoir des camions chargés d’armes en provenance de Libye, de Yougoslavie et d’autres pays d’Europe orientale », se souvient cet homme, qui a commencé sa carrière de dissident comme enfant-soldat.

Dadach a été capturé en 1976 par l’armée marocaine, celle-là même qu’il a été contraint de rejoindre deux ans plus tard pour éviter la peine de mort. Son plan était de faire défection et de rejoindre les rangs du Polisario. Son unique tentative, dit-il, a échoué : « J’ai eu un accident avec le véhicule dans lequel je voyageais et je me suis à nouveau retrouvé en prison, cette fois avec un bras cassé. »

Le jeune rebelle a été condamné à mort en 1980 et il a passé 14 ans dans le couloir de la mort. Il se souvient de chaque journée comme d’un triomphe : « J’ai passé toutes ces années sans contact avec l’extérieur dans une cellule de 2 x 1,5 mètres pleine de cafards qui sortaient de la cuvette des toilettes. Je n’arrivais à dormir que de midi à 16 heures parce que les exécutions avaient toujours lieu la nuit et je me réveillais toujours à chaque bruit de la porte principale, à chaque pas des gardiens... ».

En 1994, la condamnation à mort de Dadach a été commuée en prison à vie. Il a pu dire à ses parents et amis qu’il était encore vivant. Dans le même temps, il a pris contact avec d’autres prisonniers liés à des organisations communistes interdites.

« La majorité d’entre eux étaient des Marocains sympathisants de la cause sahraouie », a affirmé Dadach. Entre autres, il s’est lié d’amitié avec Abraham Serfaty, un militant communiste d’origine juive qui a passé 17 ans en prison et 8 ans en exil pour ses idées politiques, avant de devenir conseiller du roi Mohamed VI à son retour au pays en 1999.

Le cas de Dadach a finalement attiré l’attention internationale, ce qui a conduit à une visite de la Croix-Rouge et d’Amnesty International en 1997 et 1998 respectivement. Après ces deux rencontres, ses conditions de détention se sont améliorées jusqu’à sa libération en novembre 2001.

« Ils m’ont réveillé la nuit et j’ai donc pensé que j’allais être exécuté. Je ne savais pas ce qui se passait », se rappelle le militant. « Ils m’ont amené devant le directeur qui m’a dit : ‘’Dadach, vous partez aujourd’hui.’’ Je me souviens avoir quitté les lieux à 3 heures du matin. »

Son premier contact avec la réalité du XXIe siècle fut le téléphone portable qu’on lui a tendu. « Je n’en avais jamais vu avant et il n’arrêtait pas de sonner », a-t-il raconté. Lorsqu’il a été accueilli dans « sa » rue à Laâyoune, on a demandé à Dadach de prononcer quelques mots à la foule. Il fut bref et direct : « Je viens de sortir de prison, mais ma revendication de l’indépendance du peuple sahraoui demeure aussi vivace que le jour où j’ai été fait prisonnier. »

Le rassemblement de masse a atteint son paroxysme avec une manifestation pro-indépendance dans les rues de Laâyoune immédiatement après. Dadach affirme fièrement avoir participé à toutes les manifestations organisées à Laâyoune depuis, y compris celle de Gdeim Izik, le campement de protestation qui s’était installé aux alentours de Laâyoune pendant presqu’un mois en 2010. De nombreux analystes occidentaux soutiennent que ce qu’on appelle le « Printemps arabe » a commencé ici, plutôt qu’en Tunisie.

Un conflit gelé en plein Sahara

Malgré plusieurs appels et emails, les autorités marocaines n’ont pas répondu aux demandes de MEE concernant les circonstances de l’emprisonnement de Sidi Mohamed Dadach.

Certains ont rapproché Nelson Mandela et Dadach, en partie parce que Dadach serait le prisonnier politique ayant passé le plus de temps en prison en Afrique, juste après Mandela. Tous ne sont néanmoins pas convaincus par cette comparaison. Bernabé López García, professeur d’histoire islamique à l’Université autonome de Madrid (UAM), qualifie la longue détention du Sahraoui de « souffrance injuste », mais rechigne à comparer Dadach et Nelson Mandela.

« Le résultat de la lutte de Nelson Mandela est clair pour tout le monde, mais celle de Dadach, ainsi que d’autres militants sahraouis, n’est pas encore visible. D’autres dissidents au Maroc comme Abraham Serfaty ont également été comparés à Mandela, mais on ne peut établir d’autre similitude que leur long séjour en prison », a déclaré l’universitaire espagnol à MEE.

Alors que l’Afrique du Sud a mis fin au système de l’apartheid au début des années 1990, le conflit du Sahara occidental reste ouvert 40 ans après l’occupation. Aminatou Haidar, la célèbre activiste sahraouie des droits de l’homme, a déclaré à MEE que la France et l’Espagne, les anciennes puissances coloniales, sont « en grande partie responsables » de la souffrance de son peuple.

« L’Espagne s’est totalement dissociée de son ancienne colonie tandis que la France – proche alliée du Maroc et pays possédant un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies – ne cesse d’entraver toute résolution vers un référendum ou une amélioration des droits de l’homme », a insisté l’activiste. Jusqu’à présent, a-t-elle ajouté, ni Madrid ni Paris n’ont montré de réelle volonté de résoudre le conflit.

La Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) a été incapable de réaliser la mission pour laquelle elle a été créée en 1991, c’est-à-dire organiser et assurer un référendum libre et équitable.

Pendant ce temps, les organisations internationales comme Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent depuis des dizaines d’années les violations des droits de l’homme des populations sahraouies par le Maroc.

Dadach ne le sait que trop bien, mais cela ne l’a pas empêché de reconstruire sa vie depuis sa libération. Personnage clé dans le mouvement pour l’indépendance sahraouie, il n’en est pas moins l’heureux père de cinq enfants : trois garçons et deux filles.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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