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Le Grand barrage de la Renaissance à la source de toujours plus de tensions entre le Soudan et l’Éthiopie

Accusée par le Soudan, l’Éthiopie nie avoir entamé la deuxième phase de remplissage du réservoir du barrage, alors que les affrontements à la frontière entre les deux pays se poursuivent
Vue aérienne du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu à Guba, dans le nord-ouest de l’Éthiopie, le 20 juillet 2020 (Adwa Pictures/AFP)
Vue aérienne du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu à Guba, dans le nord-ouest de l’Éthiopie, le 20 juillet 2020 (Adwa Pictures/AFP)
Par Mohammed Amin à KHARTOUM, Soudan

Les relations entre le Soudan et l’Éthiopie sont entrées dans un nouveau cycle de tensions la semaine dernière : Khartoum accuse Addis-Abeba d’avoir entamé un deuxième remplissage du Grand barrage de la Renaissance, une affirmation démentie par les Éthiopiens.

Les responsables soudanais retiennent leur souffle alors qu’ils effectuent de nouveaux tests techniques pour confirmer que le deuxième remplissage qu’ils soupçonnent a bel et bien commencé.

Dans le même temps, les affrontements à la frontière entre les deux pays se poursuivent, alimentés par des tensions entre les groupes ethniques éthiopiens locaux et l’armée soudanaise, qui s’est emparée des territoires contestés d’al-Fashaga.

Le gouvernement soudanais a pris des précautions techniques pour protéger ses barrages, tandis que le ministère des Affaires étrangères a engagé des consultations à grande échelle avec des interlocuteurs africains dans le but de résoudre la crise. 

La construction par l’Éthiopie du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD) sur le Nil Bleu préoccupe les pays situés en aval, l’Égypte et le Soudan. 

Le Caire craint que le barrage ne compromette son approvisionnement en eau du Nil, tandis que Khartoum s’inquiète de sa sécurité et des flux d’eau passant par ses propres barrages et stations hydrauliques.

« Des preuves solides »

La semaine dernière, le Soudan a organisé un exercice militaire conjoint avec l’Égypte. Le gouvernement soudanais a menacé l’Éthiopie d’employer la violence. Ces manœuvres auraient suscité l’inquiétude d’Addis-Abeba.

Interrogé par Middle East Eye, Mustafa Hussein al-Zubair, négociateur en chef du Soudan pour les pourparlers sur le barrage éthiopien, martèle que le deuxième remplissage a commencé, ce que prouveraient les « développements techniques ».

Ce responsable soutient que le Soudan dispose de preuves solides de la poursuite du remplissage.

« C’est tout d’abord ce que prouvent les travaux en cours [d’augmentation de la hauteur du] couloir central du barrage, en plus de l’augmentation du niveau d’eau dans le lac du barrage par rapport aux derniers mois », affirme-t-il, sans donner plus de détails.

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MEE comprend que le ministre soudanais de l’Irrigation et des Ressources en eau a été informé la semaine dernière du lancement du deuxième remplissage par des responsables.

Les responsables lui ont indiqué lors d’une réunion qu’ils avaient des preuves que le processus avait commencé début mai et qu’il serait achevé d’ici fin juillet ou début août.

« L’Éthiopie a commencé le deuxième remplissage de son réservoir : nous avons des enregistrements des barrages soudanais sur le Nil Bleu, notamment ceux de Roseires et Sennar, ainsi que de Jebel Aulia sur le Nil Blanc, pour prouver nos dires », a assuré un responsable lors de la réunion. 

« Il s’agit d’un processus technique. Nous comprenons que les vannes du barrage de la Renaissance ont été ouvertes ou fermées à travers le niveau d’eau du Nil Bleu en territoire soudanais. »

Mais ce n’est pas la première fois que le Soudan se livre à de telles déclarations : il avait déjà porté la même accusation contre l’Éthiopie l’an dernier.

Une nouvelle fois, l’Éthiopie a démenti avec véhémence ces allégations. Mardi 25 mai, le gouvernement éthiopien a dénoncé des allégations infondées.

« Ce n’est pas vrai, les propos des responsables soudanais sont délibérément trompeurs et visent à semer la confusion », a déclaré le ministre éthiopien de l’Eau Seleshi Bekele. 

William Davison, analyste principal spécialiste de l’Éthiopie pour l’International Crisis Group, estime que le Soudan utilise peut-être un système de mesure différent de celui d’Addis-Abeba pour classer ce qui correspond à un démarrage du processus de remplissage.

« Cette dernière joute fait écho au différend de l’an dernier. Il se pourrait encore une fois que le Soudan intègre l’accumulation d’eau derrière le barrage et les préparatifs techniques au processus de remplissage en soi, tandis que l’Éthiopie voit l’accumulation comme un processus naturel dans la mesure où les pluies font grossir le Nil Bleu », explique-t-il à MEE

Selon lui, le partage des données hydrologiques pertinentes est le seul moyen d’éviter les problèmes entre les pays en amont et en aval. 

« Quoi qu’il en soit, il est avant tout crucial que les deux pays partagent les données hydrologiques pertinentes et que l’Éthiopie informe le Soudan en temps utile de ses intentions afin que le deuxième remplissage puisse se faire sans causer de problèmes excessifs en aval », affirme-t-il. 

Des tensions persistantes 

Mercredi, le Soudan a accueilli l’armée égyptienne dans le cadre d’exercices baptisés « Gardiens du Nil ».

Selon un diplomate éthiopien interrogé par MEE, qui a demandé à conserver l’anonymat étant donné qu’il n’est pas autorisé à parler aux médias, la manœuvre militaire conjointe est un signe inquiétant qui indique que le Soudan et l’Égypte se liguent contre l’Éthiopie. 

« Nous interprétons l’arrivée des forces spéciales égyptiennes au Soudan et même le nom de cette manœuvre comme des signes que le Soudan prend le parti de l’Égypte dans ces pourparlers », déplore-t-il. 

« Mais ce qui est encore plus grave, c’est que les deux pays brandissent un recours probable à la force pour résoudre ce différend. »

La ministre soudanaise des Affaires étrangères Mariam Alsadig Almahdi a toutefois démenti à plusieurs reprises les affirmations éthiopiennes, insistant sur le fait que le Soudan entend employer uniquement des moyens pacifiques, politiques et diplomatiques pour résoudre la crise. 

Pourtant, les affrontements militaires sporadiques le long de la frontière ne contribuent pas à faire redescendre la température.

Dans le Tigré et le Benishangul-Gumuz en Éthiopie, ainsi que dans les États soudanais d’al-Qadarif et du Nil Bleu, les conflits et les escarmouches font rage autour de diverses questions, notamment la délimitation des frontières, l’exploitation des terres agricoles et les activités minières. 

L’analyste politique soudanais Salah Aldoma estime que les différends entre Soudanais et Éthiopiens ne peuvent être résolus autrement que par des moyens pacifiques et diplomatiques. Il ajoute que les deux pays sont très instables et que la poursuite de ces tensions à la frontière menacera la stabilité de toute la région. 

« Les deux pays doivent rechercher un compromis global pour résoudre toutes les crises d’un seul tenant. L’Éthiopie doit faire des concessions concernant le barrage, tandis que le Soudan peut rechercher des moyens d’établir une coexistence saine entre les agriculteurs soudanais et éthiopiens à la frontière », affirme-t-il. 

« Le potentiel du partenariat économique entre le Soudan et l’Éthiopie est très prometteur, dans la mesure où l’Éthiopie a besoin d’un débouché pour les exportations et les importations sur la mer Rouge, tandis que le Soudan a besoin d’électricité qui peut être produite à partir d’autres barrages éthiopiens que le GERD. En outre, de nombreux autres échanges d’avantages pourraient être source de stabilité économique pour des millions de personnes en Éthiopie et dans l’est du Soudan. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation

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