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Soupçons de torture sur un sauveteur syrien disparu, filmé en train de dénoncer les Casques blancs

Selon ses collègues à Alep, Abdulhadi Kamel été enlevé et forcé à apparaître sur une vidéo affirmant que la Défense civile syrienne est un « masque de la terreur »
Abdelhadi Kamel, volontaire de la Défense civile syrienne, avant son enlèvement en décembre 2016 (MEE)

BEYROUTH – Le sort du sauveteur syrien, apparu dans vidéo de l’agence de presse officielle soutenant Bachar al-Assad, sur qui on a tiré et qui a été arrêté à Alep, suscite de plus en plus d’inquiétudes.

Des collègues d’Abdulhadi Kamel, vu pour la dernière fois il y a deux semaines, pensent qu’il a été contraint à « passer aux aveux », des aveux filmés dans une des prisons du gouvernement syrien célèbre pour les maltraitances infligées aux prisonniers. Abdulhadi est membre de la Défense civile syrienne, plus connue sous le nom de Casques blancs.

Les aveux qui lui ont visiblement été arrachés apparaissent dans « Les Casques blancs : le masque de la terreur », un film d’Anna News, l’agence de presse du réseau abkhaze, officiellement basée en république d’Abkhazie (république auto-proclamée entre les montages du Caucase et les bords de la mer Noire).

L'influence de la Russie, alliée d’Assad, dans la région sécessionniste de Géorgie est très importante.

https://www.youtube.com/watch?v=90ACRoCzeL8&feature=youtu.be

Dans le clip, Kamel, 26 ans, debout devant un mur beige carrelé, apparaît pâle et en manque de sommeil. Il reconnaît avoir participé à des sauvetages de civils organisés après les frappes aériennes de la Russie et de la Syrie sur Alep.

« Au début, je pensais que nous allions aider les civils », dit-il. « Puis, j’ai appris que pour avoir de l’argent, je devais travailler comme acteur. »

« Nous avons demandé pourquoi nous avions à faire cela. On nous a expliqué qu’autrement, l’Europe et la Turquie ne donneraient pas de l’argent, tout comme les monarchies du Golfe. »

L’endroit où se trouve Kamel dans la vidéo n’est pas clair : Anna n’a pas précisé où l’entretien avait été filmé, mais à certains moments, il semble lire un script.

On leur a tiré dessus et ils ont été enlevés dans des bus

Kamel, engagé avec les Casques blancs à Alep depuis 2013, a une femme et des enfants. Il a été porté disparu après avoir été détenu par les forces du gouvernement pro-syrien alors qu’elles reprenaient les quartiers-Est de la ville, fin décembre.

Selon Middle East Eye, Kamel a essayé d’empêcher les troupes du Hezbollah, qui soutiennent Assad, de saisir un bus qui emmenait un groupe de civils en dehors de la ville et dans lequel se trouvait une femme enceinte.

Des témoins racontent qu’un membre du groupe libanais lui a tiré dans l’épaule et l’a arrêté. Au cours de cet incident, quatre personnes ont été tuées et neuf autres blessées.

Des sources locales ont pu suivre la trace de Kamel jusqu’au service Renseignements des forces aériennes à Alep, où d’anciens prisonniers rapportent régulièrement des abus de la part des officiers. Pour les amis et les parents de Kamel, la vidéo fut la première fois qu’ils le revoyaient depuis son arrestation.

Dans une déclaration, la Défense civile syrienne affirme qu’elle n’a « aucun doute » sur le fait que Kamel a été forcé à faire « de faux aveux » pour des raisons de propagande, car ses collègues ont été « profondément bouleversés de voir leur ami et partenaire dans une détresse si flagrante. »

Le groupe, qui a appelé à sa libération immédiate, précise également : « Un coup d’œil à son visage suffit à comprendre que cet homme ne parle pas selon ses convictions mais qu’il craint pour sa vie. »

Pour Thaer Mohammed, un photographe d’Alep qui a travaillé avec les Casques blancs, Kamel est « un homme respectable » qui aime aider les autres.

« Je me sens triste et très en colère quand je regarde cette vidéo », témoigne-t-il à MEE. Lui aussi pense que son ami été forcé de parler sous la torture.

« Tentatives pour décrédibiliser la Défense civile syrienne »

Les 3 000 volontaires des Casques blancs ont sauvé presque 83 000 vies depuis la création du groupe en mars 2013.

Mais le groupe, nominé pour le prix Nobel de la paix l’an dernier, a aussi souvent fait l’objet de critiques de la part des soutiens du gouvernement Assad pour recevoir des fonds et de l’aide des gouvernements occidentaux et pour leurs liens présumés avec les groupes rebelles.

Les Casques blancs ont sauvé presque 83 000 vies depuis la création du groupe en mars 2013 (AFP)

Dans « Le masque de la terreur », le journaliste de l’agence Anna, habillé en tenue de corvée avec un gilet pare-balles de soldat, rend visite à cinq anciens sièges de la Défense civile syrienne à Alep. Il prétend avoir trouvé des documents établissant un lien entre les sauveteurs et les terroristes.

Anna News, qui se décrit comme « une agence de médias de masse » créée en 2011, a régulièrement envoyé des journalistes en Syrie pour couvrir le conflit. En 2013, le juge russe Sergey Aleksandrovich Berezhnoy a reçu des tirs dans le visage alors qu’il accompagnait des journalistes d’Anna comme journaliste volontaire sur son congé annuel.

Pour le moment, l’agence n’a pas répondu aux questions de MEE.

Selon les Casques blancs, les allégations selon lesquelles les sauvetages sont faux « ne sont fondées sur rien » et font partie des tentatives du gouvernement d’Assad et de ses alliés pour décrédibiliser la Défense civile syrienne et les autres organisations humanitaires.

Une source, qui a travaillé aux côtés du groupe affirme qu’ils ont fait l’objet d’abus. « Voilà comment on montre la révolution dans les nouvelles en mode propagande, post-vérité. C’est le dernier exemple d’organisations humanitaires devenues des cibles en raison de leur efficacité et de l’impact de leur travail. »

Le film d’Anna prétend aussi prouver qu’il existe des liens entre les sauveteurs de la Défense civile syrienne et les groupes interdits en Syrie.

La présence de groupes armés dans l’opposition a entraîné des accusations selon lesquelles les Casques blancs sympathisent avec les groupes armés tels que ceux de Jabhat al-Sham liés à al-Qaïda.

Mais une source qui connaît bien le travail des Casques blancs précise : « Accorder une danse au diable afin de pouvoir agir ne signifie pas qu’on ait envie de danser. »

« Intervenir dans des zones où ces groupes sont aussi présents implique que vous devez dialoguer avec eux pour obtenir ce que vous voulez – dans le cas des Casques blancs, sauver des vies. Cela ne veut pas dire que vous êtes d’accord avec eux. »

Alors que des images d’un homme habillé dans la tenue de la Défense civile syrienne portant un fusil ont circulé sur Internet, notre source rappelle par ailleurs que les Casques blancs sont enregistrés comme un groupe non-armé.

« Les Casques blancs comptent 3 000 membres et dans toutes les organisations, vous trouvez des imbéciles qui prennent de mauvaises décisions, à l’image de ce sauveteur qui a été vu en train de porter une arme. Ce seul mauvais choix nous fait perdre beaucoup de crédit. »

Pour le gouvernement d’Assad, les histoires de faux aveux d’opposants diffusés sur les médias ne sont pas nouvelles. Ce fut même le cas pour des femmes autrefois détenues dans ses prisons.

Dans un rapport publié en 2015 par le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, plusieurs femmes racontent avoir été forcées à « avouer » avoir eu des relations sexuelles avec des combattants rebelles. Leurs déclarations ont ensuite été diffusées à la télévision officielle syrienne.

Traduit de l’anglais (original).

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