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En ce Ramadan, la nourriture se fait rare et les prix exorbitants pour les Syriens appauvris par la guerre

Alors que les prix de la nourriture et du carburant s’envolent, les Damascènes sont dans l’incapacité de préparer l’iftar, même le plus modeste
Un vendeur de friandises dans un souk de Damas (MEE)
Un vendeur de friandises dans un souk de Damas (MEE)
Par Danny Makki à DAMAS, Syrie

Ahmad vend des naem, un mets du Ramadan, depuis des années. Il fait lui-même ces petits pains en mélangeant de l’eau, de la farine et de la mélasse de raisin, une préparation dont la popularité se confirme chaque année auprès de la population de Damas.

Mais les affaires sont en berne et les prix des ingrédients qu’il utilise sont au plus haut.

« Pour le mois sacré, je travaille généralement tout le temps, mais les affaires ne sont plus ce qu’elles étaient les années précédentes, même avec la guerre. On n’a jamais connu un Ramadan comme ça, on avait généralement un peu de répit en ce qui concerne les prix… mais plus maintenant », déclare-t-il à Middle East Eye.

« Ce Ramadan va être une épreuve, une véritable épreuve »

- Ahmad, vendeur de naem

Après un hiver cauchemardesque sur le plan économique, ce Ramadan s’annonce comme le plus difficile depuis des années pour les Syriens confrontés aujourd’hui à une crise financière accrue, des prix qui s’envolent et des pénuries énergétiques de plus en plus prononcées.

Alors que les prix des produits explosent, ceux qui jeûnent pendant le mois sacré des musulmans sont contraints de réduire leurs dépenses et beaucoup gagnent à peine de quoi nourrir leur famille.

« Les consommateurs sont frileux, ils doivent budgétiser parce que les salaires sont très bas et les dépenses très élevées. Certaines personnes ont même arrêté la viande parce que c’est trop cher, alors ce Ramadan va être une épreuve, une véritable épreuve », soupire Ahmad.

Prix hors de contrôle

Les prix de l’alimentaire explosent. Un kilo de haricots verts atteint 23 000 livres syriennes dans certaines régions – près d’un quart du salaire mensuel d’un fonctionnaire.

La famille syrienne moyenne dépense 2 860 000 livres – environ 730 dollars, près de 40 fois le revenu mensuel médian d’une personne seule.

L’économie syrienne a été mise à mal par dix années de guerre et les dures sanctions occidentales. Les difficultés économiques sont telles que pour se maintenir à flot, beaucoup dépendent principalement du système de « hawala », les transferts de fonds effectués par des proches vivant à l’étranger.  

Alors que les premiers jours du Ramadan sont passés, les Syriens dans les régions sous le contrôle du gouvernement sont confrontés à une augmentation sans précédent du coût de la vie. Les estimations du think tank économique syrien Kassioun révèlent que pour une famille moyenne en mars/avril 2022, le coût mensuel de la vie était estimé à environ 2 860 381 livres, soit une augmentation de 833 405 livres (plus de 200 dollars) depuis janvier.

Face à une augmentation du coût de la vie de 41 % en trois mois, les familles ont du mal à composer leurs menus de l’iftar, le repas de rupture du jeûne.

Les prix de la nourriture ont explosé – le coût de la vie a augmenté de 41 % depuis janvier (MEE)
Les prix de la nourriture ont explosé – le coût de la vie a augmenté de 41 % depuis janvier (MEE)

Fadi, commerçant près de la vieille ville de Damas, confie à MEE que la situation économique est difficile pour lui après un hiver très rude. Et la situation empire.

« Les prix explosent. À chaque Ramadan, ça empire ; mais encore plus celui-ci. J’ai passé les six derniers mois à avoir du mal à payer mes factures. Les personnes lambda n’ont aucun répit, tout est si cher », déplore-t-il.

« Il est de plus en plus difficile de nourrir ma famille chaque mois. Nos affaires ne sont guère florissantes et l’argent nous file entre les doigts – on quitte la maison avec 100 000 livres et on revient sans. »

La hausse marquée des prix concerne également les produits de base du Ramadan, tels que les dattes, qui ont augmenté de près de 50 % depuis l’année dernière. Le prix maximal d’un kilo des dattes les plus chères s’élève à 40 000 livres, soit le double de leur prix en 2021. Un kilo de haricots verts coûte 20 000 livres et le prix des légumes et du poulet ont tous connu une hausse, juste avant le Ramadan.

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Le désespoir et le dédain vis-à-vis de cette situation embrasent les réseaux sociaux.

« Je ne sais pas s’il y a une logique ou une raison qui explique que les prix augmentent de cette manière folle. Par exemple, aujourd’hui si vous voulez faire une salade, cela vous reviendra moins cher de l’acheter à un restaurant », écrit un Syrien sur Facebook.

La crise économique a également conduit à des mesures inhabituelles de la part d’un gouvernement à court de liquidités qui cherche désespérément à trouver de l’argent où il le peut. Une nouvelle loi adoptée par le gouvernorat de Damas inflige une amende de 10 000 livres à ceux qui secouent les tapis devant les balcons qui en surplombent d’autres et pour jeter les déchets par les fenêtres et les balcons.

Même les secteurs de l’énergie sont continuellement sous tension, avec l’arrivée retardée du carburant subventionné hebdomadaire, signe de la gravité des pénuries de carburant. Aujourd’hui, un conducteur qui satisfait les critères pour les subventions n’a accès qu’à 25 litres de carburant subventionné tous les dix jours contre chaque semaine auparavant. Le carburant au marché noir coûte le double et est plus difficile à obtenir.  

La situation économique a accru la dépendance de la population à l’argent envoyé par les expatriés syriens à leur famille en Syrie. Ce phénomène a augmenté de manière spectaculaire lors du Ramadan. On estime qu’au total, environ 7 millions de dollars par jour ont été envoyés en Syrie lors des premiers jours du Ramadan. Avec cette demande accrue, on s’attend à ce que les sociétés de change officielles gèrent environ 420 millions de dollars envoyés en Syrie ce mois-ci.

Maya, qui travaille dans le textile, confie à MEE : « J’ai un frère qui vit en Allemagne et qui m’envoie de l’argent toutes les deux semaines. Il m’en envoyait tous les mois, mais cela ne suffit pas donc il m’en envoie toutes les quinzaines. Sans cela, je ne pourrais pas vivre ici. »

Répercussions de la situation en Ukraine

Les répercussions mondiales de la guerre en Ukraine se font déjà ressentir dans le monde, avec la hausse des prix de l’alimentaire et des engrais.

Depuis l’invasion russe, les cours mondiaux du blé ont augmenté de 21 %, l’orge de 33 % et certains engrais de 40 %.

Une telle instabilité fait chanceler encore un peu plus la Syrie. Actuellement, 12,4 millions de Syriens sont en insécurité alimentaire – 4,5 millions de plus par rapport à l’année précédente. C’est même un record.

Neuf Syriens sur dix vivraient désormais sous le seuil de pauvreté et leur qualité de vie se détériore petit à petit. La perturbation éventuelle de la principale source d’approvisionnement en blé de la Syrie serait catastrophique car la production locale a baissé de plus de 60 % en 2021, faisant craindre une famine accrue.

Les cours du blé augmentent à l’échelle mondiale, notamment à cause des difficultés de transport qui découlent de la pandémie, puis maintenant de la guerre en Ukraine, ce qui menace l’approvisionnement de nombreux pays. En Syrie, un kilo de boulgour – l’un des aliments les plus populaires – a augmenté de 100 % et coûte 5 000 livres.

Neuf Syriens sur dix vivent désormais sous le seuil de pauvreté et ont du mal à acheter les aliments de base pour le Ramadan (MEE)
Neuf Syriens sur dix vivent désormais sous le seuil de pauvreté et ont du mal à acheter les aliments de base pour le Ramadan (MEE)

Abdul Latif al-Amin, directeur général de l’Établissement syrien des céréales, explique que les autorités tentent de compenser la pénurie de blé en encourageant la production de semoule, de pâtes, de boulgour et d’autres aliments.

« Il y a des contrats d’approvisionnement en blé depuis la Russie, qui vont arriver successivement via les ports de Lattaquié et Tartous », ajoute-t-il.

Dans le même temps, les fédérations des chambres de commerce et d’industrie ont eu une réunion avec la Banque centrale pour évoquer certains aliments à la lumière des conditions régionales actuelles et par anticipation d’une crise.

Toutefois, l’approvisionnement en blé et en céréales de la Syrie – qui vient principalement de Russie – se porte bien et le ministère du Commerce intérieur et de la Protection des consommateurs assure que les stocks actuels sont acceptables et n’ont pas atteint une zone de risque d’approvisionnement. Selon le ministère, « la saison du blé approche et [les] agriculteurs vont le vendre à de meilleurs prix que les prix du marché, soulignant qu’il n’y a aucune inquiétude à propos du blé et du pain ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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