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« As time goes by » : Casablanca se réinvente en une ville moderne et cosmopolite

La puissance économique de Casablanca est à des années lumières de l’image de la ville marocaine qui a émergé d'un studio hollywoodien il y a 70 ans
Kathy Kriger, propriétaire du Rick’s Café (MEE/Samantha North)

CASABLANCA, Maroc – Notre histoire commence en 1942 alors que l’Europe est en pleine guerre. Nous nous trouvons dans le bastion nord-africain de Casablanca, où des réfugiés, des agitateurs politiques et des hommes détenteurs d’informations secrètes se retrouvent dans un endroit appelé le Rick’s Café. Ils y échangent les dernières nouvelles, boivent du whisky et jonglent avec des papiers illégaux afin de pouvoir quitter le pays et s’assurer une vie meilleure.

La ville de Casablanca était angoissante et pleine d’incertitude, un flou plein de personnes bloquées entre leur passé d’avant-guerre et leur futur incertain. C’est ainsi que commence l’histoire de l’un des films classiques les plus célèbres de tous les temps : Casablanca.

Mais le Rick’s Café n’a jamais vraiment existé. Casablanca n’a pas été tourné au Maroc. Aucun de ses acteurs n’était marocain. Tout le scénario a été imaginé dans un studio hollywoodien, ce qui explique pourquoi le film Casablanca est à ce point éloigné de la réalité du quotidien dans la ville de Casablanca.

La ville est malgré tout devenue synonyme du film, et certains des aspects glamour du film ont déteint sur l’image de la ville marocaine.


Le « Rick's Café » voit le jour

Soixante ans après l’apparition du film, Casablanca a enfin son propre Rick’s Café. Kathy Kriger, une ancienne diplomate américaine, a inauguré sa version du Rick’s Café en 2004 alors que le monde était encore sous le choc des attentats du 11 septembre et que « la guerre contre le terrorisme » était déclarée. Kathy Kriger a quitté le service diplomatique pour se consacrer à son projet de construction de l’entreprise et de la marque Rick’s Café. Elle a même trouvé un pianiste appelé Sam – ou Issam - pour être plus précis.

 

« À toi de jouer Issam »– le pianiste en pleine représentation au Rick’s Café (MEE/Samantha North)

« Je voulais m’en servir pour montrer aux Américains que le Maroc était bien différent », explique Kathy à Middle East Eye. « Je savais très bien qu’ils mettraient tous les pays [du Moyen-Orient] dans le même panier. Or je voulais qu’ils changent d’avis et arrêtent d’avoir peur. »

Aujourd’hui, douze ans plus tard, le Rick’s Café attire, à Casablanca, un flux régulier de célébrités, de membres de familles royales et de grands noms du monde politique, ainsi que des touristes du monde entier. Ils sont d’ailleurs nombreux à venir de loin pour se rendre au Rick’s Café. Pour certains, le film est la seule image qui les rapproche de Casablanca. Même si cette perception est souvent fausse, le célèbre film suscite de l’intérêt pour la ville, qui serait sinon restée dans l’inconnu. Une certaine renommée est un atout précieux pour les villes et régions qui veulent se faire une place au niveau international.

« Nous sommes connus dans le monde entier », précise Kathy. Le ministre japonais de l’Économie nous rend visite demain soir pour le dîner. Même J-Lo est déjà venue nous voir. Le film Casablanca est tellement connu qu’il attire dans la ville et rassemble des personnes du monde entier. Tout le monde connaît le film ! Certains viennent même d’Europe juste pour la soirée, ils dînent au sein de l’établissement, passent la nuit dans la ville et rentrent chez eux dès le lendemain. »

Bien que l’influence du film s’est répandue aux quatre coins du monde, cela n’a jamais vraiment intéressé le Maroc jusqu’à ce que Kathy Krieger ouvre le Rick’s Café. Depuis, les locaux ont compris l’impact que le film pouvait avoir sur les perceptions générales de leur ville. Certains ont voulu en exploiter le potentiel. Jusqu’à présent, le restaurant de Kathy est le seul Rick’s Café de la ville, et la situation ne devrait pas changer car elle détient les droits associés à ce nom.

Kathy explique : « Lorsque j’ai essayé pour la première fois d’enregistrer le nom Rick’s Café, j’ai vu qu’une autre personne avait déjà effectué cette démarche. Il s’agissait d’un homme de Casablanca qui avait étudié aux États-Unis. Il n’aimait pas qu’on lui demande s’il était allé au Rick’s Café lorsqu’il rentrait chez lui. Il a donc enregistré le nom lorsqu’il est revenu au Maroc, son diplôme en poche, en espérant en faire quelque chose. »

L’extérieur du Rick’s Café a été entièrement recréé à Casablanca, exactement comme dans le film (The Usual Suspects SA/Rick's Café)

Le vrai visage de Casablanca

Malgré la popularité de la version du 21ème siècle du Rick’s Café, comme l’attestent les larges groupes de touristes qui s’y rendent, l’existence de ce restaurant ne suffit pas en elle-même à représenter la ville. Casablanca, riche de son histoire, a également une culture très dynamique.

La ville actuelle de Casablanca est un mélange du passé colonial et du présent moderne. Le quartier très animé de la médina – un peu délabré même si toujours aussi fascinant – regorge de petits étalages, de vendeurs ambulants et de  petites boutiques d’antiquaires. Dès que vous quittez la médina, les rues sont constituées de bâtiments art-déco, reliquats du passé français. Une ligne de tramway traverse la zone et permet de relier le centre prospère à certaines banlieues plus lointaines.

Le long du littoral, le quartier d’Anfa présente de nombreuses propriétés entièrement protégées et clôturées, des rues ombragées, qui mènent vers l’un des plus grands centres commerciaux de la ville, Place d’Anfa. Racine – un autre quartier agréable – dispose de nombreux grands magasins, de chaînes occidentales et d’immeubles d’appartements luxueux. Sur la route de l’aéroport, de nombreux projets sont en cours de construction, notamment une « ville intelligente ». L’autoroute principale est d’ailleurs éclairée par des lampes fonctionnant à l’énergie solaire.

De manière générale, la ville de Casablanca conserve son caractère très cosmopolite, avec de nombreux restaurants étrangers, cafés et bars fréquentés aussi bien par les Marocains que les expatriés. La variété est impressionnante, et vous y trouverez des bars à sushis, des vendeurs de kebabs turcs, des cafés libanais, des restaurants de viande argentins, des boutiques chinoises et des pubs irlandais sans oublier les restaurants marocains traditionnels de fruits de mer, de tagine et de couscous.

L’impressionnante mosquée Hassan II, avec son minaret qui surplombe l’océan, reste la principale attraction locale. L’ADN de la ville est certainement ancré dans son cosmopolitisme - une caractéristique clé des projets de valorisation de l’image de marque. Tous ces éléments forment le « vrai visage » de la ville de Casablanca, où le passé côtoie le présent et tous les voyageurs sont les bienvenus.

Les autorités locales de la ville ont heureusement déjà pris conscience des atouts d’une d’une image de marque pour la ville et ont mis en place toute une série d’initiatives pour élaborer et appliquer une nouvelle stratégie.

Plutôt que de rester axée sur une image reprenant les souvenirs de guerre et la période coloniale, la nouvelle stratégie est très moderne dans sa perspective. Middle East Eye s’est entretenu avec Khalid Baddou, président de l’association marocaine du marketing et de la communication, sur les objectifs de la ville visant à promouvoir une image plus moderne.

« Le problème [avec le film], c’est qu’il représente Casablanca comme une ville un peu désuète, », explique-t-il à MEE. « Tout le monde garde l’image de la période coloniale avec les chapeaux de couleur rouge etc. Même si en termes de reconnaissance, cela reste positif car tout le monde sait ou presque qu’il existe une ville du nom de Casablanca. »

Casablanca est la capitale économique du Maroc. C’est le centre des affaires, et de nombreuses entreprises étrangères y ont installé leur siège social. Casablanca est aussi un important centre de délocalisation. Les multinationales comme IBM sont surtout installées au niveau du CasaNearShore Parl, où les services d’externalisation sont nombreux en matière d’informatique, centre d’appels et processus opérationnels. Cette zone dispose également d’un nouveau centre d’affaires et d’une grande marina en cours de développement.

« Depuis l’indépendance, Casablanca a toujours fait office de centre économique du pays », ajoute Khalid Baddou. « Mais cela ne suffit plus. Aujourd’hui, Casablanca doit représenter quelque chose d’autre. Notre but est de repositionner la ville et de la rendre plus attractive en renforçant son identité au-delà de l’aspect purement économique. Dans le pays, nous aurons bientôt d’autres régions concurrentes, et chacune disposera de ses propres ressources. Et les règles du jeu seront alors complètement différentes. »

Les autorités municipales de Casablanca souhaitent baser le futur développement de la ville sur le modèle de Dubaï afin d’en faire une véritable plateforme pour tout le continent africain. Les entreprises qui veulent se développer en Afrique pourront utiliser la ville de Casablanca comme point de départ, et profiter de toutes les connections avec d’autres pays africains déjà existantes dans le pays. Pour Jorgen Eriksson, spécialiste de l’image de marque des lieux et PDG de Bearing Consulting, la ville semble aller dans la bonne direction.

Il explique : « Casablanca doit préciser son image de marque, car avec sa culture orientale et ses nombreuses activités économiques, c’est une ville aussi bien dynamique que classique. Pour y parvenir, Casablanca doit revoir son organisation et sa manière de présenter ses infrastructures uniques aux nouveaux visiteurs. Tous les composants existent, mais la ville a désormais besoin d’un nouveau type de conditionnement ! »

Les bâtiments art-déco visibles sur les principaux axes de la ville reflètent le passé colonial de Casablanca (MEE/Samantha North)

L’objectif de Casablanca de devenir le nouveau Dubaï n’est pas vraiment en phase avec l’image promue dans le film d’Humphrey Bogart ou dans le quartier très authentique de la médina et ses rues art-déco datant de l’époque coloniale. En fait, il s’agit quasiment de contraires, avec l’un représentant la modernité et l’autre resté ancré dans le passé.

L’ADN de la ville se retrouve dans son statut continu de ville portuaire, utilisée comme plateforme commerciale par les Phéniciens et les Romains il y a plus de 2 000 ans, puis les Portugais (qui lui ont donné son nom), les Espagnols et le Français, qui l’ont colonisée au 19ème siècle. Tous ces éléments forment le « vrai visage » de la ville de Casablanca, où le passé côtoie le présent et tous les voyageurs sont les bienvenus.

« Le film fait la promotion d’une image mais notre objectif est d’en promouvoir une complètement différente. Le nom de Casablanca est connu mais peu de gens savent réellement ce qu’est la ville aujourd’hui »,explique Khalid Baddou.

Les personnes responsables de la stratégie de marque de Casablanca ne veulent pas rejeter l’héritage de la ville au nom de la modernité. Certains projets déjà en place définissent la nouvelle stratégie de marque de manière à développer Casablanca à partir de ce que le monde entier connait déjà.

« Notre recommandation personnelle en matière de marque inclut l’héritage historique », explique Khalid Baddou. « Nous devons nous appuyer sur cette image que tout le monde a de Casa, en y ajoutant toute la modernité qui s’est développée dans la ville au cours de ces 60 ou 70 dernières années. »

Et d’ajouter : « Les villes doivent renforcer leurs marques à partir de leur vrai ADN, qu’il s’agisse de l’environnement, des entreprises, de l’industrie, du tourisme ou d’icônes locales. La stratégie doit être récente et refléter la réalité. Casablanca - le film est positif en matière de réputation, mais il est indispensable d’avoir une nouvelle image de la ville, adaptée à la réalité d’aujourd’hui. »

Contrairement au film qui a vu le jour dans un studio hollywoodien, la stratégie de changement d’image de la ville s’appuiera sur des piliers solides, en découvrant comment les habitants de Casablanca perçoivent concrètement leur propre ville. Il s’agit d’un aspect important de toutes les stratégies de marque d’une ville – cette étape y compris – qui peut permettre de faire la différence entre l’échec et la réussite.

Khalid Baddou précise : « Notre but est de mieux cerner comment les locaux voient et parlent de leur ville. Pour nous, les employés du secteur privé, Casablanca pourrait très différente de ce que pense la grande majorité de la population. Tout le monde a sa propre vision de la ville. Or la stratégie ne peut pas être « imposée par le haut ». Elle doit s’appuyer sur des principes fondamentaux, en commençant par écouter les habitants et comprendre ce qu’ils disent. »

Traduit de l'anglais (original).

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