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En Tunisie, le cuivre retrouve son lustre pour le Ramadan

Si la production artisanale d’articles de cuisine tourne au ralenti à cause de la hausse mondiale des prix du cuivre, l’étamage des anciennes pièces reste très demandé
L’étamage coûte entre 20 et 200 dinars (environ 6 et 60 euros) selon la taille et la forme de l’objet (AFP/Fethi Belaid)
L’étamage coûte entre 20 et 200 dinars (environ 6 et 60 euros) selon la taille et la forme de l’objet (AFP/Fethi Belaid)
Par AFP à TUNIS, Tunisie

Entouré de faitouts et de couscoussiers, l’étameur Chedli Maghraoui est débordé dans son vieil atelier à Tunis, où des clients fidèles à la tradition accourent pour redonner du lustre à des ustensiles de cuisine en cuivre utilisés pendant le Ramadan.

Chedli Maghraoui, 69 ans, est parmi les rares artisans étameurs toujours en activité à Tunis. Depuis des années, il travaille seul dans son atelier, ouvert en 1955 à Bab El-Khadra, dans la médina, le métier n’attirant plus les jeunes.

« C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe », dit le proverbe. De nombreux Tunisiens perpétuent une tradition en blanchissant les ustensiles de cuisine en cuivre utilisés pendant le mois de jeûne musulman. 

L’étamage consiste à revêtir l’ustensile d’une couche d’étain pour protéger les aliments d’une éventuelle oxydation du cuivre (AFP)
L’étamage consiste à revêtir l’ustensile d’une couche d’étain pour protéger les aliments d’une éventuelle oxydation du cuivre (AFP/Fethi Belaid)

À l’entrée de son échoppe, plusieurs clientes pressent Maghraoui de finir le polissage de leurs ustensiles avant le début du Ramadan. 

« Ça ne sera pas possible ! J’ai encore d’autres commandes et comme vous voyez je travaille seul ! », objecte l’homme en ravivant le feu dans un kanoun (braséro) traditionnel.

Il fait ensuite fondre habilement un bout d’étain à l’intérieur d’une terrine avant de la brosser et de la plonger dans un grand seau d’eau.

« Cette tradition me rappelle une belle époque et les préparatifs de ma mère pour le mois sacré »

- Sana Boukhris, habitante de Tunis

L’étamage consiste à revêtir l’ustensile d’une couche d’étain pour protéger les aliments d’une éventuelle oxydation du cuivre. La pièce ainsi traitée devient comme neuve.

« C’est une tradition qui existe depuis des siècles et qui reste vivante », souligne Chedli Maghraoui.

Les ustensiles en cuivre ainsi étamés, utilisés par de nombreuses mères de famille tunisiennes, avaient souvent été achetés à l’occasion de leur mariage ou hérités de leur mère.

« J’ai une agréable sensation quand j’utilise mon ‘’douzen’’ [ustensile en cuivre, en dialecte tunisien] tout brillant durant le Ramadan », dit Sana Boukhris, 49 ans.

« Cette tradition me rappelle une belle époque et les préparatifs de ma mère pour le mois sacré », ajoute avec nostalgie cette comptable, mariée depuis 28 ans. « Il y de la baraka [bénédiction] dans ces objets hérités de ma mère ».

Dalila Boubaker, une femme au foyer de 53 ans, n’a pu blanchir que deux objets cette année, alors que de nombreux foyers peinent à joindre les deux bouts dans un pays en proie à une grave crise socio-économique.

« Les prix sont devenus très élevés », déplore-t-elle.

L’étamage coûte entre 20 et 200 dinars (environ 6 et 60 euros) selon la taille et la forme de l’objet.

Un métier menacé de disparition

Si la production artisanale d’articles de cuisine tourne au ralenti à cause de la hausse mondiale des prix du cuivre, l’étamage des anciennes pièces reste très demandé, selon plusieurs artisans.

« Franchement, la période d’avant Ramadan, c’est une période que j’attends tous les ans. Les gens préparent l’étamage de leurs ustensiles de cuisine avant le Ramadan pour qu’ils soient impeccables pendant le mois, la cuisine décorée et que madame se fasse plaisir avec ses casseroles », dit Abdejlil Ayari, 60 ans, un autre artisan de cuivre de la médina.

« Cela fait presque 50 ans que je suis dans cette échoppe. C’était le métier de mon père », ajoute-il, regrettant que ses enfants ne souhaitent pas reprendre le flambeau.

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« On n’accepte plus les commandes ! », assène Mabrouk Romdhane, 82 ans, patron de trois magasins au souk En-Nhas (cuivre en arabe), au cœur de la médina.

Dans ce célèbre souk, une cinquantaine de boutiques exposent des ustensiles de cuisine revisités. À l’approche du Ramadan, des clients achètent cafetières, théières, brûle-encens et petites tasses.

Mabrouk Romdhane vend aussi des pièces anciennes. « Ce sont comme des bijoux pour certains clients », dit l’artisan, regrettant lui aussi le désintérêt de ses enfants pour ce métier.

« Chaque décès parmi mes confrères est une perte pour ce métier et un pas vers sa disparition », confie Chedli Maghraoui. Il a lui-même acheté son atelier il y a une vingtaine d’années à des héritiers qui n’en voulaient pas.

Il montre ses deux mains noircies et abîmées par des crevasses : « La nouvelle génération cherche un travail facile et n’aime pas avoir [des mains comme] ça. »

Par Kaouther Larbi.

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