Tunisie : le président de l’ISIE limogé dans un contexte de crise politique
TUNIS – Un jour après l’annonce des résultats préliminaires des élections municipales partielles à Mdhila (gouvernorat de Gafsa), dont le scrutin avait été suspendu le 6 mai suite au saccage des urnes après la distribution de bulletins erronés, le journal Le Maghreb a annoncé le limogeage, lundi 28 mai, du président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Mohamed Tlili Mansri. Une information confirmée par le concerné lors de son passage sur les ondes de Shems FM.
C’est le conseil de l’Instance qui a pris cette décision à l’unanimité, en s’appuyant sur l’article 15 de la loi organique relative à l’Instance, qui stipule que « le président de l'ISIE ou l'un des membres du conseil sont démis de leurs fonctions en cas de faute lourde dans l'accomplissement des obligations leur incombant ou en cas de condamnation par un jugement irrévocable pour un délit intentionnel ou un crime, ou dans les cas où ils ne répondent plus à l’une des conditions exigées pour être membre au conseil de l’ISIE. »
Le limogeage du président ne deviendra effectif qu’après sa validation par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Cette décision devra être soumise au Parlement et argumentée lors d’une séance plénière par au moins la moitié des membres du conseil de l’Instance, avant d’être validée par au moins 109 voix.
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« Je révèlerai plus de détails quand je serai convoqué par l’ARP. Je dois avant continuer à assurer le processus des élections dans ce pays », a annoncé Mohamed Tlili Mansri.
Il estime par ailleurs avoir réussi à « assurer sa mission », « les élections municipales s’étant déroulées « dans les meilleures conditions ».
Un constat auquel la députée Sabrine Goubantini du Bloc national (progressiste, il est composé de dissidents de Nidaa Tounes et d’Afek Tounes) n’adhère pas. Selon elle, la prestation de Mohamed Tlili Mansri est « faible » comparée à son prédécesseur.
Traduction partielle : « Il est vrai qu’il n’y a pas eu d’incident majeur lors des élections municipales, mais les élections de 2011 et de 2014 se sont mieux déroulées, notamment sur le plan de l’organisation et de la communication »
Le député Yassine Ayari estime quant à lui que ce limogeage est « une affaire politique », le résultat d’une « entente entre les deux partis au pouvoir » (Nidaa Tounes et Ennahdha) qui peuvent ensemble rassembler les 109 voix.
Selon lui, le but est de retarder les prochaines élections législatives et présidentielles, prévues en 2019, à 2020 ou 2021.
Il explique que « pour élire un nouveau membre de l’ISIE, il faut récolter 145 voix », ce qui n’est pas faisable, comme c’est le cas actuellement pour le tribunal constitutionnel – l’ARP n’est toujours pas parvenue à élire les quatre membres du tribunal constitutionnel qui doivent conduire au vote de quatre autres membres par le Conseil de la magistrature et à la désignation de quatre autres par le président de la République.
Traduction partielle : « La loi autorise ce report [le report des élections législatives et présidentielles] dans le cas où il existe un danger imminent qui entrave la tenue des élections (…) Donc ils [Nidaa Tounes et Ennahdha] sont obligés de trouver ce danger imminent et ce qui est le plus facile, c’est de ne pas avoir d’ISIE, ni de tribunal constitutionnel »
L’ancien président de l’ISIE, Chafik Sarsar, avait annoncé sa démission en mai 2017, à la surprise générale. Quelques jours après, il avait dénoncé de fortes pressions.
Ce n’est qu’en novembre 2017, que Mohamed Tlili Mansri, avocat, a été élu président de l’ISIE avec 115 voix, après l’échec de l’ARP à quatre reprises – les députés n’étant pas parvenus à départager les candidats – à réunir une majorité absolue.
Ce limogeage intervient dans un contexte de crise politique, alors que le président Béji Caïd Essebsi a suspendu le Pacte de Carthage – qui oriente le gouvernement d’union nationale – et que des pourparlers sont en cours pour un éventuel remaniement gouvernemental.
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Youssef Chahed, le chef du gouvernement, secoué depuis plusieurs semaines par une contestation y compris au sein de son propre parti, a défendu mardi soir son bilan en soulignant que la croissance avait dépassé les 2,5 % au premier trimestre.
Il a admis que dans certains domaines le gouvernement avait échoué, mentionnant la chute du dinar, et réitérant son engagement à réformer les caisses sociales et les entreprises publiques, largement déficitaires.
« Notre pays a besoin de consensus politique »
-Youssef Chahed, chef du gouvernement
« Notre pays a besoin de consensus politique », a-t-il affirmé alors que des élections présidentielle et législatives sont prévues en 2019.
La puissante centrale syndicale UGTT, et le numéro un de Nidaa Tounès, Hafedh Caïd Essebsi, réclament son départ en arguant des difficultés économiques du pays.
« Hafedh Caïd Essebsi a détruit le parti », a accusé Youssef Chahed, en attaquant directement le fils du président de la République auquel la presse prête des ambitions pour la présidentielle de 2019.
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