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Un développeur de jeux déterminé à mettre la Tunisie en valeur

Walid Sultan Midani, l’une des figures de proue de l'entrepreneuriat en Tunisie, connaît le succès grâce à ses jeux vidéo éducatifs
DigitalMania emploie aujourd'hui treize jeunes motivés dans une villa située dans une banlieue chic de Tunis.

Trois ans après la révolution, la Tunisie, qui a mis en place une nouvelle constitution et assuré l'organisation de trois élections démocratiques, est une « success story » sur le plan politique. En dépit de la lenteur du développement économique, une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs motivés émerge et brave le manque de réformes gouvernementales et d'investissements étrangers.

Walid Sultan Midani, le fondateur de la première société tunisienne de développement de jeux vidéo, DigitalMania, fait partie des chefs de file de cet entrepreneuriat. « Nous voulons créer des jeux qui aient une valeur ajoutée, qui soient plus que des jeux », a-t-il expliqué à Middle East Eye. Alors que beaucoup de ses amis ont quitté la Tunisie pour New York ou Londres, Midani a décidé de rester et d'apporter sa contribution à un contexte commercial en pleine évolution en Tunisie. Une décision qu'il n'a pas regrettée.

Il emploie aujourd'hui treize jeunes motivés dans des bureaux situés dans une villa de la banlieue chic de Tunis. « Ici, nous avons tout », affirme Sami Zalila, qui a rejoint l'équipe en 2014 en tant que gestionnaire de communiqué, tout en me faisant visiter la grande maison décorée d'affiches de jeux, de confettis et de trophées.

« Nous avons même des douches et un petit jardin », a-t-il ajouté. « Nous voulons que chacun fasse preuve de créativité, a expliqué Midani. Nous leur demandons de penser en sortant des sentiers battus, donc nous ne les limitons pas à ces sentiers battus. » Cependant, comme pour la plupart des entrepreneurs, le chemin n’a pas été aisé pour le développeur de jeux.

Une route cahoteuse

Pour Midani comme pour beaucoup d'entrepreneurs ici, tout a commencé à Esprit, université d'ingénierie aujourd'hui renommée. Au départ, l'école rassemblait environ une trentaine d'étudiants. « J'étais l'un des premiers étudiants de cette école », a précisé Midani. Aujourd'hui, près de 4 000 étudiants y sont formés et l'école est devenue un acteur important dans le secteur de l'ingénierie. « C'est là que tout a commencé », a-t-il ajouté. C'est également là que Midani s'est rendu lorsqu'il lui a fallu trouver des personnes motivées pour former son équipe.
Au début, l'équipe composée de six personnes empruntait les locaux du père de Midani et avait un budget de 5 dinars par jour et par personne. « Nous avions un sandwich et un soda », a lancé Midani en riant. Il n'a toutefois jamais été question d'abandonner. En plus, ils se sont beaucoup amusés, affirme-t-il.

En 2012, DigitalMania a été officiellement créée et tous les esprits se sont concentrés sur un jeu, DefenDoor. Le but du jeu est de défendre sa porte face à différents ennemis. Le joueur entre dans l'arène où la bataille a lieu et doit attaquer la porte de son ennemi tout en défendant la sienne. A sa disposition, des centaines de « zorbs » divers et variés : ce sont des personnages petits mais très dangereux, aux différents pouvoirs. Ce jeu n'a jamais été un succès, mais l'équipe a appris de ses erreurs et en est sortie grandie, d'après Midani. « C'est un marathon, pas un sprint. »

Midani a grandi dans une famille d'entrepreneurs, où on lui a appris qu'il fallait compter sur soi-même. « Je pense que je suis né entrepreneur », a-t-il surenchéri en racontant qu'à 14 ans, il s'est mis à acheter des jeans au marché local au prix de 7 dinars pour les revendre 70 dinars à ses camarades de classe. Un bon prix, dit-il avec un clin d'œil. Dix-sept ans plus tard, DigitalMania a développé trente-cinq jeux, dont cinq sont le propre produit de l'entreprise, en trois ans d’activités.

Mettre en valeur la Tunisie

Le plus grand défi de l'équipe a été de convaincre les gens que les jeux vidéo ne sont pas seulement destinés aux enfants et aux « geeks » et ne représentent pas nécessairement un danger ou un lavage de cerveau. L'ambition de DigitalMania n'est pas de développer un nouveau jeu de guerre, a expliqué Midani. Au contraire, l'équipe souhaite que chaque jeu contienne un élément éducatif. Midani pense que les jeux vidéo, qui ont un impact considérable sur beaucoup de personnes, constituent un outil de communication important dont il veut se servir pour toucher également à des questions essentielles comme la corruption, la drogue et le paludisme.

DigitalMania s'est donné un autre objectif majeur : mettre en valeur la Tunisie. « Nous voulons accroître la connaissance de la Tunisie parmi le public. » Par exemple, dans le jeu Defendoor, quand un joueur meurt, il peut soit acheter une brik (un plat tunisien à base de pâte frite) pour regagner une vie, ou un leblebi (un ragoût traditionnel tunisien à base de pois chiches) pour obtenir dix vies. En cliquant sur l’un de ces mets traditionnels, une brève description de leur histoire est fournie au joueur.

DigitalMania souhaitait également que les personnages du jeu portent des noms tunisiens qui resteraient néanmoins compréhensibles à un public international. Midani a donc écrit une liste de noms et appelé des amis aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pour leur demander de prononcer des noms tunisiens tels que Houta et Aadh'am. « Ces noms ont été rapidement retirés de la liste », a indiqué Midani d'un geste désapprobateur. A la place, des noms comme Super Batata, Ftila et Dabdoub se sont révélés plus faciles à prononcer pour le public international et comptent aujourd'hui parmi les personnages du jeu.

Midani a de nombreuses idées concernant les jeux vidéo à venir. Il souhaiterait même créer un jeu axé sur des événements historiques. « Si les joueurs apprennent quelque chose de nouveau après avoir joué à notre jeu, nous en serons heureux. » L'histoire locale est considérable et importante, indique-t-il fièrement. « Peut-être pouvons-nous par exemple leur apprendre des choses sur Hannibal. » La vie de ce grand commandant militaire, surtout connu pour avoir été l'un des meilleurs stratèges de l'Histoire, pourrait inspirer une grande aventure, selon Midani.
Cependant, l’un des enjeux pour DigitalMania est de trouver un équilibre et de réussir à intégrer des éléments de portée éducative tout en continuant à attirer un large public. « Mais si ce n'était pas difficile, tout le monde le ferait », lance Midani. « Nous mettons la barre très haut car nous visons un secteur de niche avec peu de joueurs. »

Les défis à venir

Certains des défis mentionnés par Midani sont liés au marché tunisien. Par exemple, les investissements. « Il faut que le camp des investisseurs comprenne mieux le camp des entrepreneurs », explique Midani. De même, le marché est relativement faible et pâtit encore d'un manque de confiance ; beaucoup n'ont pas connaissance de la trajectoire commerciale et ont peur de prendre des risques. Les solutions pour le secteur de l'entrepreneuriat en Tunisie ne viendront pas du gouvernement, a-t-il soutenu. « Elles doivent venir du secteur privé. »

Toutefois, ce chef d’entreprise de 31 ans est optimiste quant à l'avenir entrepreneurial de la Tunisie. Il est impressionné par la rapidité avec laquelle l'écosystème s'est développé. Un écosystème qui comprend aujourd'hui des incubateurs, des accélérateurs et des investisseurs. A quelques rues des bureaux de DigitalMania se trouve le premier espace de coworking du pays, Cogite, qui a été créé pour accueillir les nouveaux éléments qui changent la donne dans le pays. « Le réseautage et l'assistance sont des ingrédients essentiels pour construire un environnement entrepreneurial durable », a expliqué Houssem Aoudi, co-fondateur de Cogite. Tout comme Midani, il se montre optimiste au sujet de la nouvelle communauté d'entrepreneurs en Tunisie : « Nous avons tout pour devenir la prochaine Silicon Valley », affirme Aoudi.
D'après Midani, il existe aujourd'hui un grand nombre d'initiatives telles que Cogite, dont le but est d'aider les personnes à démarrer leur propre activité. Toutefois, pour que la Tunisie devienne une nouvelle Silicon Valley, une coopération accrue entre les différentes initiatives est nécessaire. Midani aimerait que plus de Tunisiens tentent leur chance. « Nous devons encourager davantage de personnes à se lancer dans l'entrepreneuriat. »

Assurément, chacun sera confronté à différents obstacles sur son chemin, concède-t-il. Pour commencer, il faut une bonne équipe, « et chaque fois qu'une erreur est commise, il faut en tirer les leçons », conseille-t-il à ses homologues. Néanmoins, Midani reste humble : « Nous sommes toujours sur le chemin du succès. Notre histoire est un succès car nous sommes encore en vie. Cela fait maintenant bien longtemps qu'on nous dit que "dans six mois, [nous serons] morts". »
 

Traduction de l'anglais (original).

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