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Un dirigeant sunnite accuse la politique en Irak de créer des divisions religieuses

Un dirigeant religieux sunnite affirme que Bagdad devrait faire confiance à ses habitants et les armer pour combattre l’Etat islamique en Irak
Mounir Hashim al-Obaidi est un religieux sunnite et un dirigeant de la société à Bagdad, en Irak (MEE)

Istanbul, Turquie – Mounir Hashim al-Obaidi arpente le hall de l'hôtel à Istanbul dans lequel nous avons rendez-vous pour parler de la crise qui affecte son pays d'origine : l’Irak. Il est très grand, physiquement imposant, mais il a le sourire amical et le comportement de quelqu'un qui reçoit naturellement le respect de ses pairs.

Mounir est professeur de droit à l’université Iraqiya de Bagdad. C’est aussi un dirigeant religieux reconnu par les Irakiens sunnites et célèbre pour son rôle dans l’organisation de manifestations contre le gouvernement en 2012 et 2013 pour contrer les dérives sectaires de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki.

L'Irak est embourbé dans une guerre civile paralysante entre les forces gouvernementales et les miliciens chiites qui se battent pour reconquérir le territoire sous contrôle du groupe Etat islamique.

La guerre a souvent été dépeinte comme sectaire en raison de l’opposition, d’une part du gouvernement de Bagdad soutenu par l'Iran chiite et d’autre part de l’Etat islamique qui exploite les griefs à l’intérieur de la communauté sunnite.

Mounir, qui se déclare lui-même dirigeant islamique sunnite, réfute cette version et assure que le conflit est motivé par des questions politiques et assez peu par des différends religieux.

« La guerre en Irak est politique, les divisions entre sunnites et chiites sont seulement un prétexte », dit-il.

« L’Iran utilise les chiites irakiens pour atteindre son objectif politique d’augmenter son influence dans la région. L’Etat islamique utilise l’excuse de protéger les sunnites pour atteindre son objectif d’établir son contrôle sur les terres en Irak et en Syrie. »

« L’Irak est une pièce du puzzle d’une guerre régionale – elle pourrait même être considérée comme une guerre mondiale. On peut observer l’Occident – par là je veux dire les Etats-Unis et l’Europe – se battre contre la Russie et la Chine. Les Russes et les Chinois soutiennent l’Iran pendant que les Américains et les Européens soutiennent l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golf. »

Bien qu'il souligne la part politique du conflit,  Mounir décrit avec empressement la manière dont, selon lui, les autorités dominantes chiites de Bagdad ont abusé des sunnites irakiens. Ces actes, dit-il, ont contribué à une désintégration complète de la confiance entre les deux communautés, permettant aux divisions sectaires de s’épanouir à mesure que le pays devenait de plus en plus fracturé.

Pour lui, les crises actuelles qui consument l’Irak ont leurs racines dans la guerre menée par les Américains en 2003. En effet une grande part des sunnites n’a pas pris part aux gouvernements qui ont suivi l’éviction de Saddam Hussein.

Beaucoup d’amis de Mounir ont rejoint des groupes de militants résistants à l’occupation américaine, qui a duré de 2003 à 2011. Lui-même ne s’est pas engagé. Au contraire, il a appelé les sunnites irakiens à rejoindre la police et les forces militaires de leur pays.

« Je n’étais pas d’accord avec les autres dirigeants qui interdisaient aux Arabes sunnites de rejoindre les forces gouvernementales – Je savais que si nous ne prenions pas part au fonctionnement du pays, nous serions marginalisés », dit-il.

Cette position tranchée de Mounir fit de lui une cible pour la franchise irakienne d'al-Qaïda, créée en 2004. Entre 2005 et 2006, le groupe militant a tenté de le tuer à cinq reprises.

Les quatre premières tentatives d’assassinats, des terroristes ont essayé de tirer sur lui à Bagdad, mais à chaque fois ils ont manqué leur cible. La cinquième fois, à la fin de l’année 2006, des assassins ont caché une bombe devant le domicile de Mounir, alors que le chef religieux et sa jeune famille étaient à l'intérieur, mais l'engin explosif ne fonctionnait pas et il n’a finalement pas explosé.

« Après avoir raté leur attentat pour faire exploser ma maison, ils [al-Qaïda] ont parlé avec mon frère aîné et lui ont dit directement : “S’il n’arrête pas d’appeler les sunnites à s’engager pour rejoindre l’armée, il ne s’en sortira pas la prochaine fois“. »

Mounir savait que la menace était grave et décida de se taire, et c’est dans son silence qu'il observe les divisions communautaires qui s’élargissent en Irak, à mesure que l'anarchie se repend dans tout le pays.

Six années plus tard, en 2012, Mounir redevient actif politiquement, il accuse les forces de sécurité de Maliki d’avoir arrêté, torturé et emprisonné des dizaines de milliers d’Irakiens sunnites. C’est un fait que personne ne peut alors ignorer.

Mounir raconte que lorsque les autorités ont ciblé des personnalités politiques sunnites – l’ancien vice-Président Tareq al-Hashemi et l’ancien vice-Premier ministre Rafi al-Issawi – cela a suscité d'énormes manifestations dans les gouvernorats sunnites au cours de décembre 2012, qu’il a aidé à organiser.

A mesure que les protestations devinrent de plus en plus importantes, avec des dizaines de milliers de personnes de Diyala à l’est jusqu’à Anbar à l’ouest, les autorités utilisèrent la force pour essayer de mater les manifestations.

Le tristement célèbre massacre de quarante-deux personnes à Hawija, à la périphérie de Kirkouk, en mars 2013, a contribué à une période urgente de médiation entre les manifestants et le gouvernement.

Avec d’autres dirigeants sunnites, Mounir a établi une liste de demandes qui, dit-il, n’ont pas été satisfaites jusqu'à présent par le gouvernement de Bagdad.

« Nous voulions que les prisonniers innocents soient relâchés de prison – Plus de 50 000 prisonniers, 95% sunnites et la plupart innocents. Ils ont été enfermés en prison pour des années sans avoir droit à un procès. »

« Nous voulions que le gouvernement abroge l’article quatre de la loi sur le terrorisme car il était surtout utilisé pour cibler des sunnites. Nous l’appelions d’ailleurs l’article quatre pour sunnites, car en effet il amalgame complètement le fait d’être sunnite et d’être terroriste. »

Les groupes de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International ont documenté les abus commis par le gouvernement soutenu par les milices chiites en Irak, y compris sur le mauvais traitement des prisonniers détenus par les forces de sécurité, bien que les autorités irakiennes aient nié ces allégations.

Mounir lui-même a finalement été arrêté à Bagdad par les forces de sécurité au cours du mois de décembre 2013, mais n'a été détenu en prison qu’une journée, ayant été aidé par ses connexions politiques au plus haut niveau. Il s’est enfui dans la ville kurde d'Erbil, dans le nord de l'Irak, après avoir été libéré et s’y est installé depuis.

Il raconte son espoir de retourner à Bagdad et sa peur d’y être arrêté, maltraité et même tué par les autorités s’il devait s’y rendre maintenant.

Presque immédiatement après son exil brutal de la capitale irakienne en janvier 2014, les mouvements de protestation anti-gouvernementaux ont été mis à l'écart lorsque le groupe Etat islamique a pris le contrôle d'une grande partie d'Anbar. L’Etat islamique a proclamé sa domination dans la province occidentale, six mois avant qu'il ne prenne le contrôle de la deuxième ville du pays, Mossoul.

Mounir décrit le basculement de Mossoul du côté de l’Etat islamique en juin 2014 comme étant «très suspect », argumentant que des milliers de soldats irakiens avaient fui devant quelques centaines de militants. Il est clair selon lui que l'ancien gouvernement dirigé par Maliki est responsable du malaise actuel.

« Nous avons affirmé que nous ne supportons pas l’Etat islamique et les dénonçons comme les criminels qu’ils sont. Mais nous affirmons aussi que selon nous, les pires criminels sont au gouvernement », dit-il.

« Ceux qui ont ordonné à l’armée de se retirer de Mossoul sont pires que l’Etat islamique. Maliki est un criminel de guerre. »

Mounir raconte que lorsque Maliki a été remplacé par l'actuel Premier ministre Haider al-Abadi en août 2014, lui et d'autres dirigeants sunnites ont approuvé le nouveau gouvernement - mais sous conditions que les exigences de la communauté soient respectées.

Ces demandes sont les mêmes que pendant les périodes de manifestations : les dirigeants demandent la libération des prisonniers, que l’article quatre de la loi sur le terrorisme soit abrogé,  ainsi que l’entreprise de dé-Baasification soit stoppée, ayant en effet ciblé injustement les sunnites irakiens.

Une autre exigence clé était de demander qu’une garde nationale dirigée localement puisse être établie, comme un rappel de la force qui avait été formée pour vaincre al-Qaïda entre 2006 et 2009. Plus tard, des tribus sunnites avaient été armées pour combattre avec succès al-Qaïda, et Mounir remarque qu’après avoir convenu de reproduire cette approche dans la lutte contre l’Etat islamique, M. Abadi avait échoué à tenir sa promesse.

Cet échec s’est révélé être une grave erreur, déplore Mounir, les récents avancements de l’Etat islamique à Anbar ont incité les forces gouvernementales et les milices chiites soutenues par l’Iran à s’engager dans une guerre qui a forcé quelques 90 000 civils à fuir la province sunnite.

« Les sunnites irakiens se sont retrouvés une fois de plus bloqués entre l’Etat islamique et les militaires chiites. Nous ne souhaitons pas que des personnes vivant à Najaf (une ville chiite dans le sud de l’Irak), se battent et meurent à Anbar. »

« Les clans à Anbar ne souhaitent pas que les militaires chiites viennent chez eux. Ils ont 10 000 combattants pour repousser l’Etat islamique mais Bagdad n’autorisera pas les sunnites à s’armer et se battre », déclare-t-il, ajoutant que les autorités ont tort de ne pas laisser les tribus sunnites prendre les armes.

« C’est pour cette raison que l’Etat islamique a été en mesure de gagner du terrain à Anbar ces dernières semaines. »

Mounir craint que les milices chiites mettent à sac les zones sunnites à Anbar, se référant à des rapports selon lesquels des miliciens ont pillé et incendié des maisons à Tikrit alors qu’ils libéraient avec succès la ville de l’Etat islamique en mars.

Même si Mounir accuse toujours l'Iran de contrôler le gouvernement de Bagdad, et qu’il met en avant les manœuvres politiques et non les conditions religieuses de ce conflit, il met en garde contre les retombées sectaires sur le terrain en Irak.

Selon lui, les militaires chiites appuyés par l’Iran interdisent aux irakiens sunnites de retourner chez eux après avoir libéré les territoires, notamment Tikrit, du contrôle de l’Etat islamique.

Ceci, selon lui, est la preuve du nettoyage ethnique du pays.

« C’est une tactique évidente de basculement démographique du pays. Ils disent qu’ils ne laisseront pas rentrer les sunnites car ils sont liés à l’Etat islamique – mais ce qu’ils veulent c’est accaparer le plus de territoire possible sous le contrôle de facto de l’Iran. »

« A Bagdad par exemple, avant la chute de Saddam Hussein, la ville était divisée à cinquante-cinquante entre les sunnites et les chiites. Maintenant il y a un tiers de sunnites et deux tiers de chiites – la plupart des sunnites ayant été enfermés ou simplement exécutés – c’est du nettoyage ethnique. »

Bien que Mounir décrive longuement les divisions sectaires en Irak, il soutient qu'il n'y a pas de problème intrinsèque entre les communautés sunnites et chiites. Il soutient même qu’en plein conflit il existe toujours de la solidarité entre les populations civiles, comme en témoignent certains sunnites déplacées d’Anbar qui ont trouvé refuge dans les zones chiites.

L’avenir immédiat semble sombre, mais Mounir maintient que le seul moyen de sortir de ce conflit se trouve dans la constitution du pays.

«Nous voulons un fédéralisme correctement mis en place, comme indiqué dans la constitution, avec des zones sunnites, chiites et kurdes », dit-il.

« Il ne peut pas y avoir de gouvernement centralisé pour l’Irak, on doit mettre en place des autonomies régionales, c’est le seul moyen que notre nation en tant qu’entité unie puisse survivre dans le futur. »

Traduction de l'anglais (original) par Margaux Pastor.

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