Un projet immobilier israélien sur le site d’un cimetière musulman suscite l’indignation
JERUSALEM – Les autorités israéliennes ont autorisé la mise en œuvre d’un important projet immobilier prévoyant la construction de logements, de commerces et d’un hôtel sur le site d’un cimetière musulman qui compte parmi les plus vastes et les plus importants du Moyen-Orient sur le plan historique.
Un précédent projet de construction d’un palais de justice sur ce site, qui fait partie du cimetière de Mamilla, avait été abandonné après avoir déclenché une vague de protestations.
Ce cimetière, situé à la sortie de la vieille ville de Jérusalem, serait la dernière demeure des compagnons du prophète Mohammed ainsi que de milliers de guerriers qui ont aidé Salah ad-Din (Saladin) à bouter les croisés hors de la Terre Sainte il y a près de mille ans.
Le lieu a également servi de cimetière aux familles des notables palestiniens de Jérusalem jusqu’à la partition de la ville en 1948, lors de laquelle Mamilla s’est retrouvé de justesse à l’intérieur des frontières du nouvel État d’Israël.
La mairie de Jérusalem avait déclenché une énorme controverse il y a sept ans en autorisant l’érection du « musée de la Tolérance » sur une autre partie du cimetière, obligeant à exhumer en urgence les restes de pas moins de 1 500 défunts.
Zaki Aghbaria, porte-parole de la branche nord du Mouvement islamique en Israël, a déclaré que le nouveau projet représentait dans les faits une extension du projet du musée de la Tolérance, et qu’il mènerait à une nouvelle « profanation » du site.
« Israël est déterminé à intensifier sa judaïsation de ce secteur et de l’ensemble de Jérusalem. Il n’accorde aucune attention à l’importance que ce cimetière peut avoir non seulement pour les Palestiniens, mais pour l’ensemble du monde musulman », a-t-il expliqué à Middle East Eye.
Selon Zaki Aghbaria, ce projet doit être envisagé dans le contexte global des « efforts répétés [d’Israël] pour contrôler les sites islamiques sacrés de Jérusalem », et notamment la zone particulièrement sensible de la mosquée al-Aqsa, qui se trouve à proximité.
De dangereux développements
Ce nouveau projet de construction à Mamilla intervient alors que la Ligue arabe a annoncé qu’elle tiendrait la semaine prochaine une conférence d’urgence afin de débattre de ce que les autorités palestiniennes ont décrit comme de « dangereux développements » sur le site de la mosquée al-Aqsa.
On rapporte qu’environ dix-neuf Palestiniens ont été blessés dimanche dernier à la mosquée al-Aqsa après que la police israélienne a envahi le site afin de permettre à des fidèles de confession juive d’y pénétrer ; parmi ces derniers se trouvait un ministre du gouvernement israélien.
Le nouveau projet immobilier, validé ce mois-ci par le comité de planification locale de Jérusalem, prévoit la construction au-dessus du cimetière d’environ 200 logements, un hôtel de 480 chambres, des commerces et un parking.
Gideon Suleimani, un archéologue israélien qui a travaillé sur les fouilles du site du musée de la Tolérance mais qui compte depuis lors parmi les détracteurs de cet ouvrage, a déclaré que ce nouveau projet s’inscrivait dans la suite logique d’un processus à long terme.
« Cette politique consiste à démanteler morceau par morceau ce qu’il reste de l’héritage musulman de Jérusalem afin d’en débarrasser le quartier et d’en faire une zone juive », a-t-il affirmé.
Meir Margalit, chercheur à l’Institut Van Leer de Jérusalem et ancien conseiller municipal, a annoncé que la prochaine et ultime étape de validation — par le comité régional de planification — était pratiquement gagnée d’avance.
« Désormais, plus rien ne semble faire obstacle à la progression de ce projet », a-t-il confirmé à MEE. « Les travaux de construction débuteront très certainement l’an prochain. »
Meir Margalit a indiqué en outre que le conseil municipal cherchait un moyen d’aménager ce site depuis que son projet d’origine, la construction d’un palais de justice, avait été rejeté par la présidente de la Cour suprême de l’époque, Dorit Beinisch.
Selon Margalit, cette dernière avait subi une forte pression de la part de juristes européens, qui lui avaient écrit pour protester contre d’éventuelles constructions sur un site aussi sensible.
L’évolution vers un projet commercial sur le même terrain, a-t-il ajouté, signifie qu’il sera bien plus difficile de faire pression sur les promoteurs pour les faire reculer.
Une partie du site à réaménager est actuellement occupée par une école construite dans les années 1970. Une grande partie de ce qu’il reste du cimetière se trouve sous l’actuel parc de l’Indépendance, qui a été créé pour commémorer la victoire d’Israël dans la guerre de 1948.
Les travaux du musée de la Tolérance avaient débuté en 2011 malgré de vives contestations de la part de groupes islamiques, d’archéologues israéliens dissidents et de familles palestiniennes.
« Effacer le passé musulman »
Lorsque le projet de palais de justice avait été proposé il y a cinq ans, l’Autorité des antiquités — l’organe national israélien en charge de l’archéologie — avait procédé à six fouilles préliminaires sur le terrain occupé par l’école afin d’y vérifier l’existence d’éventuels tombeaux.
Au cours de cinq des six fouilles, des tombes et des ossements avaient été découverts. Meir Margalit affirme que les archéologues et la municipalité avaient alors tenté de dissimuler ces découvertes.
Lors du précédent projet, celui du musée de la Tolérance, la Cour suprême avait autorisé la construction après certification par les responsables des travaux que seulement « quelques dizaines de tombes » seraient découvertes sur l’intégralité du site.
Cependant, une enquête du quotidien Haaretz a révélé qu’environ 1 500 tombeaux avaient été sortis de terre en grand secret et sans supervision adéquate. Des ouvriers ont expliqué à ce journal que les fouilles avaient été effectuées en telle hâte que des crânes et des ossements s’étaient désagrégés et que d’autres restes avaient été rangés sans précaution dans des boîtes en carton.
Rafi Greenberg, professeur d’archéologie à l’université de Tel Aviv, a affirmé que les contraintes de planning étaient telles que les nouvelles fouilles sur le site de l’école seraient probablement menées de manière similaire, et conduiraient probablement à la destruction de centaines d’autres tombes.
« Dans le cas présent, le problème est qu’aucun membre des autorités ne semble s’inquiéter des droits et de la dignité des morts », a-t-il déclaré à MEE.
« La municipalité de Jérusalem sait qu’il est plus simple de faire fi des interdits religieux quand ils s’agit de s’attaquer à un cimetière musulman, car la population musulmane [de Jérusalem] a beaucoup moins de poids politique.
« Si l’on faisait cela dans les règles, toutes les parties intéressées auraient leur mot à dire sur ce qui a lieu. Est-il imaginable qu’on creuse dans un cimetière juif en Europe sans qu’ait lieu une consultation très sérieuse de la communauté juive locale ? »
Interviewée par MEE, la municipalité de Jérusalem a assuré que si le projet était mis en œuvre, « le prestataire privé qui remportera l’appel d’offres pour procéder aux aménagements du site [aura] l’obligation de tenir compte de toutes les sensibilités ».
De fausses déclarations
Néanmoins, les craintes ont été renforcées par un rapport publié ce mois-ci par l’Académie nationale des sciences d’Israël qui accuse l’administration israélienne d’émettre de fausses déclarations concernant les sites archéologiques. Ce rapport sous-entend que des archéologues israéliens ont cherché à œuvrer en faveur de certains projets politiques, en particulier à Jérusalem où ils ont travaillé en étroite collaboration avec des associations de colons.
Le rapport, rédigé par l’un des plus éminents archéologues israéliens, Yoram Tsafrir, met aussi en lumière la politique de deux poids, deux mesures appliquée par Israël en matière d’archéologie : il existe des restrictions sévères concernant la réalisation de fouilles menaçant des vestiges juifs.
Zaki Aghbaria a affirmé que les espoirs d’empêcher le nouveau projet étaient maigres compte tenu de l’échec de la branche nord du Mouvement islamique et d’autres opposants dans leur tentative de convaincre la Cour suprême d’interdire la construction du musée de la Tolérance en 2008.
« Désormais, notre seul espoir est de manifester et de tenter de faire exercer une pression internationale sur Israël », a-t-il expliqué.
Il a ajouté que le Mouvement islamique était actuellement en train de réfléchir à sa riposte.
Le Mouvement islamique a dû endosser presque seul la responsabilité de s’opposer au réaménagement du cimetière de Mamilla car, depuis 2000, Israël sévit contre la plupart des activités politiques organisées par des associations palestiniennes dans la ville.
Israël a expulsé de la ville des dirigeants du Hamas et a interdit toute activité ayant un lien avec l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, selon un rapport du think tank International Crisis Group, basé à Washington.
Cependant, le Mouvement islamique lui aussi se bat pour rester présent à Jérusalem, des restrictions ayant été prononcées contre bon nombre de ses plus hauts représentants.
Le dirigeant du mouvement, Cheikh Raed Salah, a été interdit de séjour dans la ville à de multiples reprises, et emprisonné pour ses activités sur place. En mars dernier, il a été condamné à onze mois de prison pour incitation à la violence à cause d’un sermon qu’il avait prononcé à Jérusalem.
Selon Meron Benvenisti, ancien adjoint au maire de Jérusalem, de nombreux sites islamiques de la ville ont été transformés, au cours des années, « en décharges, en parkings, en routes et en chantiers de construction ».
Rami Nasrallah, directeur du Centre international de paix et de coopération, une association palestinienne basée à Jérusalem, a déclaré que la ville souffrait d’une « planification extrêmement partisane ».
« Depuis maintenant 48 ans, la politique [israélienne] vise à effacer toute trace de l’identité palestinienne de Jérusalem et à la remplacer par une identité juive », a-t-il affirmé. « Notre défi est de trouver un moyen de mettre un terme à une telle politique alors que celle-ci est menée par l’État et approuvée par les tribunaux. »
Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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