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Un responsable du renseignement égyptien se moque d’Abbas dans un appel téléphonique avec Dahlan

Un appel téléphonique divulgué pourrait embarrasser l’Égypte, qui tente de jouer un rôle de médiateur honnête dans la querelle entre Abbas et Dahlan
Sissi accueille le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas à Charm el-Cheikh, l’an dernier (AFP)
Par MEE

Un responsable de haut rang d’un service de renseignement égyptien ridiculise le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lors d’une conversation téléphonique divulguée avec l’homme fort palestinien en exil Mohammed Dahlan, a-t-on révélé samedi soir.

Le major-général Wael el-Safty de la Direction générale du renseignement égyptien (GID), chargée de fournir des renseignements sur la sécurité nationale à la fois à l’intérieur de l’Égypte et à l’étranger, a décrit Abbas comme quelqu’un de « stupide », et son mouvement, le Fatah, comme étant « foutu ».

Ces fuites pourraient être malvenues au Caire pour un certain nombre de raisons : Safty est responsable du portefeuille palestinien du GID, tandis que Dahlan est un personnage controversé qui a déjà été accusé d’avoir reçu le soutien de l’Égypte pour remplacer Abbas. Cet enregistrement est le dernier d’une série de fuites provenant des entrailles de l’État militaire égyptien.

Cette conversation téléphonique divulguée pourrait également embarrasser l’Égypte dans ses efforts visant à jouer un rôle de médiateur honnête pour mettre fin à la querelle entre Abbas et Dahlan.

Les fuites ont été diffusées sur Mekameleen, une chaîne de télévision par satellite égyptienne basée en Turquie connue pour son soutien au chef emprisonné des Frères musulmans, Mohammed Morsi, premier président librement élu de l’Égypte, qui a été renversé par l’armée le 3 juillet 2013 à l’issue d’un coup d’État militaire.

Des enregistrements précédents divulgués par la chaîne de télévision ont été examinés et authentifiés par le principal laboratoire britannique d’analyse judiciaire de discours et de contenus acoustiques, JP French Associates, qui est dirigé par Peter French, professeur de sciences judiciaires du discours à l’Université de York. Le laboratoire apporte aux tribunaux britanniques des analyses judiciaires de voix et propose des conseils et des formations aux organismes internationaux de maintien de l’ordre.

Le fait que des conversations sensibles entre de hauts responsables égyptiens soient espionnées et divulguées aux médias d’opposition témoigne de tensions dans les plus hautes sphères de l’appareil sécuritaire égyptien.

« Il est dénué d’intelligence »

Dans le dernier enregistrement divulgué, seul le côté égyptien de la conversation est audible. On y entend la voix de Safty, mais pas les réponses de Dahlan.

Pourtant, il est évident que la personne à l’autre bout du téléphone est Dahlan, puisqu’il est appelé par sa kunya – nom traditionnel palestinien –, Abou Fadi.

En outre, après avoir échangé des plaisanteries, Safty pose des questions sur les membres de la famille de Dahlan en les nommant.

« Abou Fadi, les années passent », se souvient le responsable du service de renseignement égyptien au début de l’enregistrement.

Peu après, ils commencent à parler de quelqu’un dont « [la] concentration n’est pas maximale ». Safty explique alors que cette personne « n’a rien à proposer ».

Les enregistrements révèlent ensuite clairement que l’homme en question est Abbas, qui est âgé de 81 ans.

« Vous m’avez dit quelque chose dont je me souviens encore aujourd’hui, explique Safty à Dahlan. Vous avez dit qu’il [Abbas] était comme un chameau. »

Cette comparaison implique qu’Abbas débite sans cesse de vieilles idées sans rien apporter de nouveau sur la table. Comme les bovins, les chameaux sont des ruminants qui digèrent puis redigèrent leur nourriture un certain nombre de fois.

« Il est dénué d’intelligence », affirme le responsable du service de renseignement égyptien. « La question de [l’âge d’Abbas] entre également en compte [...] Il ne veut pas changer, il ne veut rien faire. »

À ce stade, la conversation tourne entre des insultes mesquines et des expressions de frustration réelle contre Abbas. Safty se lâche.

« Le Fatah est complètement foutu, affirme-t-il. L’Organisation [de libération de la Palestine] est encore pire. »

« Il ne peut même pas contenir les factions [au sein du Fatah], surenchérit-il. Ce sont eux qu’Abou Mazen [la kunya d’Abbas] n’a pas pu contenir, ces gens m’ont rendu complètement fou, leur position a commencé à s’aligner avec celle du Hamas. »

« Il ne peut pas les rassembler », affirme Safty à Dahlan dans l’exaspération la plus totale. « Je le jure, il ne peut pas les rassembler. »

« C’est stupide », confie-t-il, avant de faire une nouvelle fois référence à l’âge avancé de d’Abbas, ajoutant qu’il ne reste pas beaucoup de tours de piste au président de l’AP : « Il se rapproche de l’arrivée, si vous me permettez l’expression. »

Une controverse permanente

Précédemment, MEE a évoqué un plan conjoint égypto-jordano-émirati visant à installer Dahlan en tant que président dans une ère post-Abbas.

Dahlan a été exilé de Gaza et de Cisjordanie et entretient des liens étroits avec la monarchie émiratie.

Dans la bande de Gaza, Dahlan est toujours détesté suite à sa tentative de putsch consécutive à la victoire électorale du Hamas en 2007.

En août dernier, en Cisjordanie, Abbas a sévi contre la prolifération d’armes alors que diverses factions se préparent à un paysage post-Abbas.

Des responsables des services de sécurité palestiniens et de hauts responsables du Fatah ont indiqué à MEE que c’était Dahlan qui avait déclenché la course aux armements en armant ses partisans dans les zones où il conserve encore un soutien.

Abbas continue de refuser une réconciliation avec Dahlan.

Des fuites précédentes divulguées par Mekamaleen ont également révélé l’étendue des interférences émiraties en Égypte, une coordination avec les Émirats arabes unis dans la livraison d’armes en Libye et l’approvisionnement de fonds à Tamarod, un mouvement qui a été créé pour recueillir un soutien populaire contre le président égyptien évincé Mohamed Morsi.

Les enregistrements ont été attribués en premier lieu à Abbas Kamil, responsable du bureau du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.

Le torrent de fuites jaillissant du cœur du régime de Sissi met à mal son image de dirigeant fort. Le GID est l’un des trois services de renseignement du pays, les deux autres étant l’Office of Military Intelligence Services and Reconnaissance (OMISR) et l’Egyptian Homeland Security (EHS).

La communauté égyptienne du renseignement entretient des relations internes notoirement tendues, alors que des conflits entre le GID et l’OMISR ont été fustigés par un ancien directeur, qui a reproché à ces services de ne pas avoir pu prédire la guerre israélo-arabe de 1967.

Le GID a regagné son prestige en jouant un rôle crucial dans la victoire de l’Égypte lors de la guerre d’octobre 1973 contre Israël.

Néanmoins, le GID est surtout connu aujourd’hui en Égypte pour son rôle dans l’ère Moubarak, et encore plus pour son directeur tristement célèbre, Omar Souleiman, qui a été responsable de la direction de l’agence de 1993 jusqu’à la révolution du 25 janvier 2011.

L’importance du GID a été soulignée par le fait que c’est Souleiman qui a annoncé la démission de Moubarak le 11 février 2011. L’ancien directeur du GID est mort l’année suivante.

Les services de renseignement forment un pilier du triumvirat qui régit l’État sécuritaire égyptien, les deux autres étant l’armée – qui a renversé les Britanniques en 1952 et fondé la République arabe d’Égypte – et la police, qui a gagné en pouvoir sous Moubarak pour contrebalancer le pouvoir de l’armée.

« Une photo scandaleuse »

Abbas n’est pas le seul à avoir été ridiculisé au cours de l’appel téléphonique.

« Avez-vous vu l’image d’Abou Nidaa en train de manger ?, demande Safty à Dahlan. C’était une photo scandaleuse, je le jure, un scandale, un scandale, un scandale. »

L’homme dont ils se moquent est Azzam al-Ahmed, membre de haut rang du Fatah, membre du Conseil législatif palestinien et ambassadeur de l’OLP en Irak entre 1974 et 2002.

La photo en question est tout à fait innocente : al-Ahmed est tout simplement en train de manger un plat traditionnel arabe à base d’agneau et de riz avec les mains lors d’une conférence au Qatar.

Al-Ahmed a cependant publiquement et vigoureusement condamné l’ingérence arabe dans les affaires palestiniennes.

Safty demande à Dahlan s’il doit enregistrer le numéro avec lequel il l’a appelé ; Safty promet de l’enregistrer, puis l’appel prend fin.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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