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Une intifada évangélique ? Le pèlerinage d’une jeune femme vers la solidarité avec la Palestine

Megan Giesecke a grandi au cœur du sionisme chrétien américain, mais une expérience en Terre sainte a transformé sa vision des choses
Une croix s'élève derrière le mur de séparation israélien dans la ville de Bethléem (Cisjordanie), le 18 novembre 2013 (MEE/Ryan Rodrick Beiler)

Megan Giesecke a grandi à Dallas, au Texas, au cœur de l'Amérique chrétienne évangélique conservatrice. Dans sa ville natale se trouve également le Séminaire théologique de Dallas (DTS), autrefois une force majeure dans la promotion de la doctrine du « dispensationalisme prémillénaire », la croyance selon laquelle les chrétiens seraient « enlevés » de la Terre avant le jugement final sur l'Armageddon. Un élément clé de cette croyance veut que l'Etat moderne d'Israël soit l'accomplissement de la prophétie biblique et un signe annonciateur du retour imminent de Jésus-Christ.

Ces croyances se propagent à travers des best-sellers, comme The Late Great Planet Earth de Hal Lindsey, et la série Left Behind qui a récemment été adaptée en un film avec Nicolas Cage. Si la théologie dispensationaliste a depuis été délaissée par de nombreuses églises, sa popularité a contribué à créer un sionisme instinctif qui continue de se répandre dans la sous-culture évangélique de l'Amérique.

Elevée dans ce contexte sioniste par défaut, Megan Giesecke a vu ses croyances au sujet d’Israël commencer à prendre une forme très différente au cours de sa deuxième année au Wheaton College, l'une des principales universités évangéliques des Etats-Unis. Cette année-là, un ami a étudié à l'étranger et a vécu dans une famille d'accueil palestinienne chrétienne dans la ville de Bethléem, en Cisjordanie.

« Lorsqu'il est revenu sur le campus, il a invité plusieurs d'entre nous à venir manger du houmous, boire du thé, voir ses photos et discuter de la situation, se souvient Megan. Je me rappelle avoir posé des questions très confuses, comme ce que « Cisjordanie » signifiait et quelles langues les gens parlaient là-bas. Mais mon ami a répondu patiemment à nos questions et nous a encouragés à étudier par nous-mêmes ce qui se passait là-bas. »

Le témoignage de son ami l'a amenée à commencer à se rendre aux projections de documentaires et aux groupes de discussion sur le sujet dans le campus. En 2012, lors de sa dernière année universitaire, Megan a eu l'occasion de visiter elle-même la Palestine car l'un de ses professeurs, Gary Burge, menait un groupe à Bethléem pour assister à la conférence « Christ at the Checkpoint ».

Arrivée en Cisjordanie, elle a été choquée de voir des endroits comme Hébron et ses routes séparées, et de rencontrer un colon idéologique des Etats-Unis qui était fier de revendiquer le droit des juifs de coloniser « la Judée et la Samarie ».

« Après ces expériences, après avoir vu le mur de séparation, passé un point de contrôle à six heures du matin et discuté avec les gens qui survivent à tout cela », Megan dit avoir conclu que soutenir le sionisme, en particulier tel qu'il est exprimé par l'Etat moderne d'Israël et son occupation militaire, « [n'était] plus une option » pour toute personne prétendant suivre « un Dieu d'amour ».

Jeff Halper, activiste du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD), parle à un groupe d'étudiants du Wheaton College lors d'une pause durant la conférence « Christ at the Checkpoint », Bethléem, le 7 mars 2012 (MEE/Ryan Rodrick Beiler)

Depuis ces rencontres au potentiel transformateur, elle a vu (et contribué à faciliter) un changement chez d'autres personnes. Lorsque l'expérience de Morgan l'a incitée à passer une année en bénévolat dans une organisation palestinienne à Jérusalem, ses parents étaient très inquiets, sa mère estimant notamment qu'en tant que chrétiens, ils étaient partisans d'Israël.

« Malgré leur malaise face à mon choix, j'ai accepté le poste, se souvient Morgan. Peu à peu, les choses ont commencé à changer. Quand je suis partie pour Jérusalem, mes parents soutenaient ma décision mais avaient toujours des doutes quant au fait de soutenir le peuple palestinien. »

Après huit mois d'e-mails et d’appels via Skype, ils lui ont rendu visite et ont été directement témoins de l'occupation.

« Ma mère, qui est très attachée au respect des règles, était absolument consternée d'apprendre qu'Israël violait le droit international, et a commencé à comparer Israël à un "enfant gâté", se rappelle Giesecke. Mon père hésitait toujours : il estimait qu'il n’avait pas clairement entendu le point de vue des Israéliens. Toutefois, mes deux parents ont tous deux abandonné l'idée que nous devions soutenir aveuglément Israël. »

Pour Morgan, son parcours et celui de ses parents illustre un modèle qu'elle a vu chez de nombreux évangéliques qui se sont forgé un nouveau point de vue sur la Palestine.

« Le changement le plus profond et le plus probable se produit chez ceux qui deviennent investis à travers des amis qui y sont allés, ou chez ceux qui s'y sont rendus eux-mêmes, indique Morgan. Mes parents en sont un excellent exemple, et c'est ce que répètent sans cesse les gens que j'ai rencontrés depuis. »

Elle a un conseil pour ceux qui souhaitent défier la perception commune des évangéliques : « L'un des moyens les plus puissants de communiquer avec la famille, les amis ou les membres de l'église qui pensent différemment est tout simplement de partager des histoires. Les histoires se rejouent dans notre tête plusieurs jours et même plusieurs mois après que nous les avons entendues. Expliquer les réalités injustes en Palestine par une histoire plutôt que par des arguments politiques semble beaucoup plus efficace. »

Selon Dale Hanson Bourke, auteure de The Israeli-Palestinian Conflict: Tough Questions, Direct Answers, des témoignages comme celui de Morgan Giesecke sont révélateurs d'une tendance croissante : « J'ai remarqué une grande différence chez les jeunes évangéliques. Ils ne voient tout simplement pas Israël à la manière de leurs parents. »

Les chrétiens conservateurs américains sont depuis longtemps un rempart du soutien politique pour Israël. Selon un sondage du Pew Research Center réalisé en 2013, les évangéliques blancs sont deux fois plus susceptibles que les juifs de croire qu'« Israël a été donné au peuple juif par Dieu » (82 % contre 40 %).

Toutefois, même David Brog, directeur de Christians United for Israel (CUFI), la plus grande de toutes les organisations sionistes des Etats-Unis, tire aujourd'hui la sonnette d'alarme : « L'époque où le soutien des évangéliques pour Israël est tenu pour acquis est révolue. »

« Les jeunes croyants (de 18 à 30 ans environ) se rebellent contre ce qu'ils perçoivent comme le littéralisme biblique et le conservatisme politique excessifs de leurs parents », a écrit Brog dans la revue Middle East Quarterly au printemps dernier. « Cherchant avec une vigueur renouvelée à imiter la posture de Jésus devant les opprimés et les victimes de la tyrannie, ils veulent décider par eux-mêmes quel camp est opprimé dans le conflit israélo-arabe. »

Des sionistes chrétiens expriment leur soutien à l'armée israélienne lors de la marche annuelle de Jérusalem, le 4 octobre 2012 (MEE/Ryan Rodrick Beiler)

C'est l'un des rares points sur lesquels Brog pourrait se trouver en accord avec les chrétiens évangéliques palestiniens, comme Munther Isaac, vice-doyen académique au Bethlehem Bible College et directeur de la conférence bi-annuelle « Christ at the Checkpoint » à laquelle Morgan Giesecke a assisté en 2012.

« La jeune génération évangélique est différente de celle des parents et des grands-parents, explique Isaac. Ils ne sont plus obsédés par la prophétie : ils sont orientés vers l'action. »

« Ils participent à ces voyages étudiants en Palestine et en Israël, ils deviennent très préoccupés par ce qu'ils voient et ils veulent faire quelque chose. Puis ils s'imprègnent de tout cela et retournent à leur campus. »

Cependant, si ce changement d'attitude envers Israël chez les évangéliques peut être plus fort chez les jeunes, la tendance ne se limite pas eux. Un sondage réalisé l'année dernière par la National Association of Evangelicals a révélé que 40 % des chefs religieux évangéliques en Amérique ont connu un « changement dans leur réflexion sur Israël et la Palestine ». Le changement le plus courant est « une plus grande prise de conscience des difficultés rencontrées par le peuple palestinien ».

Une partie de cette prise de conscience vient du fait qu'à l'instar des étudiants qui ont eu la chance d'étudier à l'étranger, de nombreux dirigeants ecclésiastiques entretiennent des contacts avec leurs homologues évangéliques palestiniens lors de visites en Terre sainte.

« Il y a assurément des gens qui changent d'avis, explique Isaac. Maintenant, même les chefs religieux chrétiens qui venaient auparavant en visite en Israël sans être exposés à la situation demandent à rencontrer les chefs religieux chrétiens palestiniens. »

Munther Isaac a même été invité à parler à des groupes de touristes parrainés par CUFI et d'autres organisations sionistes chrétiennes. « Par le passé, ils nous ignoraient et nous étions exclus de nombreux cercles évangéliques, précise Isaac. Ils se sont rendu compte qu'ils ne peuvent plus ignorer le camp palestinien. »

Image de Jésus entourée de graffitis, sur le mur de séparation israélien à Bethléem, le 28 juillet 2010 (MEE/Ryan Rodrick Beiler)

Pour tenter de contrecarrer la sympathie croissante affichée envers les Palestiniens par la génération du millénaire, CUFI a lancé un site web à destination des jeunes, appelé Israel Collective, avec la déclaration suivante :

« Les valeurs chrétiennes exigent que nos jeunes soient du côté de l'Etat juif. La génération du millénaire est centrée sur l'amour et la compassion de Jésus. Et Israël est le seul pays du Moyen-Orient qui vit cet amour au quotidien, y compris l'amour pour ses ennemis. La génération du millénaire se tient du côté des opprimés. Et Israël offre le seul refuge aux chrétiens et musulmans arabes opprimés dans toute la région. La génération du millénaire aime la diversité. Et Israël est le pays le plus diversifié du Moyen-Orient, si ce n'est de la planète. »

Le message de CUFI décrit une version de la réalité très différente de celle que vivent les chrétiens palestiniens. Collègue de Munther Isaac, le révérend Alex Awad est un pasteur né à Jérusalem qui a étudié dans une université chrétienne pentecôtiste du Tennessee. Lors de l'événement « Christ at the Checkpoint » qui s'est tenu l'an dernier, il s’est élevé contre ceux qui critiquent le soutien de certains évangéliques pour les Palestiniens et a appelé à l'action :

« Nos détracteurs ont récemment accusé le Bethlehem Bible College et la conférence "Christ at the Checkpoint" d'initier une intifada [soulèvement] dans l'église évangélique. J'espère qu'ils ont raison. Nous voulons voir une intifada contre l'injustice. Nous voulons voir une intifada contre la violence et le terrorisme. Nous voulons voir une intifada contre le racisme. Nous voulons voir une intifada contre les théologies qui font l'apologie de la guerre et de l’effusion de sang. Depuis cette tribune, je veux appeler les évangéliques de tous horizons à réexaminer ces théologies néfastes et à s'en défaire. »

Seul le temps nous dira quel mouvement gagnera la bataille des cœurs et des esprits des évangéliques.
 

Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.

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