Une nouvelle scène artistique réveille la médina de Marrakech
MARRAKECH, Maroc – Dans le quartier de Riad Laârouss, dans la médina de Marrakech, il faut traverser une rue ombragée où motos crépitantes, marchands somnolents et enfants participent à l’effervescence propre à la vieille ville. Prendre une rue à gauche, puis tout droit jusqu'à la seconde ruelle à gauche. Puis suivre une flèche plus rouge que le mur sur lequel elle est peinte.
Le n°18 ne se singularise pas des riads avoisinants qui, de l'extérieur, partagent un même air trivial et austère. Des murs ocre décatis qui donnent soif, une porte basse en bois – celui qui vient pour la première fois est notifié d’un « attention à la tête en entrant » – surmontée d’un vasistas grillagé d'où vous ne pouvez ni voir, ni être vu. Il faut frapper à la porte, assez fort pour être entendu – mais pas trop pour ne pas troubler l'activité qui s'y tient, lorsqu'il y en a.
Laila Hida, 34 ans, est la fondatrice du 18 Derb El Ferrane, l'un des principaux espaces culturels de la médina. Le lieu, qui se veut un espace alternatif de création et d’expression culturelle et artistique, accueille des projets curatoriaux, des expositions, des performances, des lectures, des projections.
Le projet, qui a soufflé sa quatrième bougie en septembre, accueillait jusqu’à, il y a peu, un projet curatorial interrogeant « les espaces de l’eau, ses parcours et ses traces (in)visibles, explorant ses incarnations spatiales, sonores, olfactives et visuelles ». Le programme comprenait un cycle de rencontres – notamment avec des chercheurs – des performances et des expositions, des recherches sur le terrain et des cartographies participatives.
À l'origine du 18 Derb El Ferrane, il y n’avait pas « une intention définie, mais simplement une intuition et un élan qui s'est transformé en projet », confie-t-elle. Et une envie, celle de « rencontrer les autres, de se donner la possibilité de connaître ceux qui créent, qui développent une pensée, qui critiquent, qui construisent et constituent une scène ».
Attirée par « la complexité et l'histoire » de l'ancienne ville de Marrakech, Laila Hida concède qu’exister dans la médina n'est pas chose aisée. « L'image qu'elle projette reste celle d'une carte postale orientaliste et exotisante, dans laquelle les touristes viennent chaque année se dépayser, à la recherche d'un rêve alimenté par les offres des voyagistes et la communication touristique », lâche-t-elle.
Une nouvelle génération de créateurs
Depuis quelques années, la gentrification de la médina a entraîné une véritable dynamique culturelle et artistique. Marginalisée sous le protectorat français, désertée par les notables locaux, la médina de Marrakech a connu une longue déchéance, marquée par la dégradation des maisons et la détérioration des espaces publics.
« Le classement par l’UNESCO dans les années 1980 de cette médina sur la liste du patrimoine mondial va peu à peu contribuer à inverser le mouvement. Mais le regain d’intérêt pour celle-ci est surtout le fait d’une élite étrangère. Après les artistes, les couturiers de renommée internationale, les vedettes de cinéma, la vogue de Marrakech s’amplifie avec la diffusion de l’émission Capital, sur de la chaîne de télévision française M6. Des quartiers entiers sont investis par une communauté étrangère avide de vivre le rêve oriental », écrivait en 2010 Ouidad Tebbaa, doyenne de la faculté des lettres et des sciences humaines de Marrakech.
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L’élément déclencheur a en effet été la diffusion, le 14 juillet 1998, d’un reportage sur l’achat de bâtisses dans la médina. Depuis, les médias français se sont saisis du sujet, créant ainsi un engouement pour l’ancienne ville de Marrakech, qui a connu un processus de transformation dû à d'importants investissements immobiliers de la part d'acquéreurs étrangers, qui ont racheté de nombreux riads et généré un regain d'intérêt et une revalorisation du lieu. Des espaces d'exposition, des conceptstores, des lieux culturels et des résidences artistiques se sont par la suite implantés dans les riads de la médina.
Une nouvelle génération d'artistes, de créateurs et d'activistes marocains et étrangers a également décidé de transformercet espace cosmopolite enun creuset de création. Hassan Hajjaj, certainement le plus emblématique d’entre eux – surnommé le « Andy Warhol de Marrakech » pour sa démarche pop’art – a grandement contribué à faire connaître la médina avec ses photographies colorées et jubilatoires, et en l’inscrivant comme l’une de ses principales sources d’inspiration.
Ainsi, « il existe aujourd'hui, que ce soit dans le produit touristique, l'artisanat ou la culture, des projets qui ont fait le choix de la contemporanéité et qui développent une nouvelle image pour la ville », relève Laila Hida, qui ces projets sont « le reflet de ce que nous sommes aujourd'hui, une génération porteuse d'une histoire et d'un héritage qu'elle interprète, enrichit et retranscrit dans son propre langage. Ce sont ces nouvelles formes d'expression qui nous intéressent ».
Fragilité des modèles
Aujourd'hui, l'ancienne ville de Marrakech compte de nombreux espaces dédiés à l'art et à la culture : le 18 Derb El Ferrane, l’un des plus actifs, mais aussi le riad Denise Masson, administré par l'Institut français de Marrakech, Dar Bellarj, dédié à la valorisation du patrimoine matériel et immatériel du Maroc, le soutien à la création artistique et à l’artisanat d’art, Priscilla Queen of the Medina, un riad géré par Queens Collective, un collectif d'artistes opérant dans la ville ocre, ou encore Riad Biba, quartier général de Mint Collective, un groupe d’artistes constitué à Londres, en 2012.
La Biennale de Marrakech, qui ne se tiendra pas en 2018, aura beaucoup contribué, depuis 2005, à la visibilité des initiatives locales en matière de création artistique, tout comme les partenariats avec les institutions, écoles d’art, maisons d’édition, etc. À titre d’exemple, « Kibrit », un programme collaboratif de recherche et production axé sur les processus de réactivation mémorielle a permis de faire travailler ensemble le 18 Derb El Ferrane, l’Atelier de l’Observatoire de Casablanca, Rhizome à Alger, la Maison de l’image à Tunis, la municipalité de Ramallah, en partenariat avec l’ONG JISER et le centre de recherche et de création CeRCCA de Barcelone.
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La multiplicité des espaces et des acteurs, et leur volonté de pérenniser cette dynamique culturelle et artistique ont donné naissance à une scène bouillonnante, où les projets se bousculent, et les collaborations et les partenariats transnationaux permettent d'insérer Marrakech dans la scène mondialisée de l'art, « particulièrement à travers des collectifs comme Mint collective, KE'CH Collective, Queens collective et d'autres nouveaux espaces, sans oublier la Biennale de Marrakech, la Marrakech Art Fair, et bientôt la Mamounia, qui accueillera la Contemporary African Art Fair, une foire internationale dédiée à la promotion de l’art contemporain d’Afrique et de la diaspora », énumère Aniko Boehler, anthropologue et commissaire d'exposition qui travaille sur des projets artistiques à Marrakech depuis 2002.
Pour Laila Hida, « la multiplicité des initiatives culturelles et artistiques ne peut être que bénéfique pour la ville et pour la scène. Les artistes ont besoin d'un système dans lequel il existe des structures diverses aux démarches différentes, pour trouver et développer la leur. Pour nous, c'est important aussi, car cette dynamique nous stimule dans notre travail et dans l’écriture de nos projets. »
Selon elle, il reste « encore beaucoup d'espaces à occuper. Chaque année voit la création de projets nouveaux dans l'industrie créative, mais souvent avec la même fragilité liée à des questions évidentes de moyens. Le challenge des modèles émergents est de tenter de trouver des solutions de fonctionnement qui leur permettent de s'auto-suffire. »
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