Une révolution de la mode au Moyen-Orient ?
Une fois l’effervescence retombée, après une semaine d’activisme dans le secteur de la mode en avril dernier, tous les participants à Fashion Revolution ont convenu qu’il s’était agi là d’un excellent début – mais qu’il restait encore un très long chemin à parcourir.
« Dans l’ensemble, l’industrie n’a pas beaucoup évolué. Pourtant je suis optimiste pour l’avenir », a affirmé Sarah Ditty, rédactrice en chef du magazine Source, à l’Ethical Fashion Forum – [un réseau à but non-lucratif qui s’attache à promouvoir la durabilité écologique et sociale dans l’industrie de la mode, N.D.T].
Beaucoup de choses demeurent inchangées dans ce secteur qui pèse des milliards de dollars. Tandis que l’on repliait les banderoles et que les tweets sombraient dans l’oubli, il était clair que l’introduction de transformations éthiques dans l’industrie de la mode allait s’avérer un travail de longue haleine. Les droits des travailleurs du textile demeurent sans cesse bafoués dans une industrie obsédée par le profit, l’excès et la beauté.
Né à Londres au lendemain de l’une des catastrophes industrielles les plus importantes des temps modernes – l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza à Savar au Bangladesh, le 24 avril 2013 – Fashion Revolution a été fondé par les créateurs de mode éthique Orsola de Castro et Carry Somers pour répondre à certaines des questions pressantes concernant les travailleurs de l’habillement.
Le mouvement s’est lancé dans l’action en 2014, le jour de l’anniversaire de la tragédie du Rana Plaza. Ses membres ont pour but d’encourager la durabilité dans l’univers de la mode, en mettant en lumière ses coûts réels. Fashion Revolution concrétise les efforts de tous ceux qui œuvrent en faveur d’une industrie de la mode plus éthique. Des équipes dans le monde entier coordonnent des projets destinés à inspirer, pousser à l’action et exiger des changements.
L’effondrement du bâtiment a tué 1 134 ouvriers du textile qui travaillaient dans l’usine qu’il abritait. Bien que l’immeuble ait hébergé une usine d’habillement, une banque et plusieurs magasins, les ouvriers du textile furent les seuls à rester à l’intérieur. On les avait contraints à poursuivre leur travail, bien que le bâtiment ait été évacué par le reste de ses occupants pour des raisons de sécurité. Le Fashion Revolution Day (journée de la révolution de la mode) des deux premières années s’est transformé cette année en Fashion Revolution Week : une semaine de manifestations réunissant créateurs, forums internet, blogueurs, consommateurs et activistes.
Ayesha Siddequa, coordinatrice nationale pour les projets de Fashion Revolution dans les Émirats arabes unis, explique que leur objectif dans les pays du Golfe consiste à « introduire des changements dans les entreprises locales du secteur de la mode ». Ayesha Siddequa était au moment de l’interview absorbée par la préparation d’un événement qui a eu lieu à Dubaï, « The Change Initiative » (le projet de réforme).
« Nous faisons aussi un travail de sensibilisation dans les écoles et les universités. Nous avons des liens avec deux universités, Heriot-Watt à Dubaï et l’université des Arts appliqués et du design à Sharjah, afin de collaborer sur des projets de mode durable, et beaucoup d’autres projets en préparation », a précisé Ayesha Siddequa.
Les Émirats arabes unis (EAU) évoquent souvent le consumérisme et l’excès, et ils ont la réputation de ne pas tellement se préoccuper des droits des travailleurs. Récemment, Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, a déclaré : « Les autorités des EAU semblent être disposées à ne reculer devant rien pour empêcher les gens de s’exprimer au sujet des droits de l’homme », suite à l’interdiction d’entrée dans le pays de plusieurs défenseurs des droits de l’homme. Mais Ayesha Siddequa a affirmé que les EAU « vont dans le sens » d’une amélioration des droits des travailleurs. Bien qu’ « ils aient été auparavant négligés », la campagne récolte de plus en plus de soutien depuis qu’elle a rejoint Fashion Revolution en 2015. « Il y a nettement plus de gens qui parlent de la campagne et qui veulent y participer. »
Trois ans après la naissance de Fashion Revolution, 89 pays ont participé cette année à la semaine d’activisme – une semaine durant laquelle le géant suédois H&M a lancé sa propre initiative éthique à l’échelle mondiale, la « semaine mondiale du recyclage ».
« Le niveau de sensibilisation à ces problèmes dans la région est peut-être de 10 %. Donc on organise beaucoup d’ateliers, de discussions et de collaborations pour les faire connaître. Cette région a encore besoin de quelques années pour rattraper le monde occidental », a ajouté Ayesha Siddequa.
Danah Almadani, coordinatrice nationale de Fashion Revolution au Koweït, tient compagnie à Ayesha dans sa quête pour une révolution de la mode au Moyen-Orient. Danah Almadani a raconté comment elle avait découvert Fashion Revolution grâce à un créateur de chaussures et d’accessoires de mode éthiques qu’elle avait rencontré lors d’un cours de design au Koweït. Après avoir quitté le monde de l’entreprise, où elle occupait le poste de directrice du marketing dans l’industrie alimentaire, Danah est devenue professeur de stylisme. Elle a suivi plusieurs cours accélérés au London College of Fashion et a exploré le processus de production dans l’industrie de la mode locale, ayant elle-même lancé sa propre collection-échantillon. Depuis qu’elle a rejoint l’équipe de Fashion Revolution, Danah a compris qu’elle voulait en faire plus.
« J’ai réalisé que je ne voulais pas seulement travailler pour gagner de l’argent – je voulais aussi faire du bien. Je l’ai entrepris comme un défi personnel, un pas en avant dans le secteur de la mode, ainsi qu’une façon modeste d’améliorer les choses, d’apporter une contribution positive », a expliqué Danah Almadani.
Le projet de cette année est une première pour le Koweït, mais Danah et son équipe espèrent y donner suite. « Pour le moment notre objectif principal est de sensibiliser l’opinion. Parce que nous disposons d’un niveau de vie élevé et que la population est à la pointe de la mode, nous avons tendance à investir dans la mode de façon importante – qu’il s’agisse de vêtements, d’accessoires ou cosmétiques. Mais c’est la prise de conscience qui fait défaut. Dans l’ensemble, les gens n’ont pas idée de l’impact que l’industrie de la mode peut avoir sur l’environnement et la population. »
Étant donné cette ignorance générale des objectifs de Fashion Revolution, Danah Almadani a détaillé les tâches de la semaine.
« Nous avions monté une exposition qui s’est conclue par la projection d’un film documentaire présentant quelques statistiques sur l’impact de l’industrie de la mode sur les hommes et sur notre planète. En général les gens ont été surpris, ou bien ils étaient déjà au courant, et ils ont été impressionnés de voir que le Koweït allait de l’avant et prenait position sur le sujet. »
Sarah Ditty, de l’Ethical Fashion Forum, a affirmé que la demande pour une mode éthique s’accroissait à mesure que la prise de conscience augmentait.
« Nous avons constaté que le public prenait de plus en plus conscience des questions sociales et écologiques qui se cachent derrière nos vêtements. Je perçois une demande accrue pour une mode produite de façon éthique et durable. C’est difficile à quantifier, mais si l’on observe le très grand nombre de personnes qui participent à Fashion Revolution sur les médias sociaux, on remarque le désir d’une mode plus propre, plus sécurisée, plus juste, et cette tendance ne fait que s’accentuer », a-t-elle expliqué.
Elle éprouve de l’optimisme devant le changement d’attitude global du public, tout en soulignant que la diversité des pays qui s’engagent dans Fashion Revolution était extrêmement significative.
« Au Moyen-Orient, Fashion Revolution possède maintenant des équipes au Koweït, en Turquie et dans les Émirats arabes unis, ce qui est vraiment formidable. Étant donné qu’en Turquie, les secteurs du coton, du textile et de l’habillement commencent à employer des refugiés syriens, la question des droits de l’homme dans l’industrie de la mode devient encore plus cruciale », a-t-elle ajouté.
Dans les EAU, l’équipe de Fashion Revolution a raconté que le projet suscitait autant d’enthousiasme chez les expatriés que chez les locaux, car il s’agit d’une entreprise à laquelle chacun sent qu’il peut participer. Les « EAU ont 90 % d’expatriés. Ils sont satisfaits que ces changements se produisent, et de pouvoir trouver une alternative à la "fast fashion". Les locaux sont eux aussi contents. Ce qui se vend le mieux dans la région, c’est l’apparence », a commenté Ayesha Siddequa.
Le marché dans les EAU dépend beaucoup du parrainage de célébrités, et l’un des objectifs de l’équipe de Fashion Revolution a été de mobiliser ces personnalités qui ont de l’influence. « Nous venons de signer un contrat avec Sohad Acouri, une créatrice de mode libanaise, pour qu’elle soit l’ambassadrice de Fashion Revolution dans les EAU, et nous essayons d’enrôler de nombreuses autres célébrités », a ajouté Ayesha.
Avec toujours plus de pays participant chaque année, le projet Fashion Revolution est indubitablement parvenu à faire prendre conscience de l’exploitation qui existe dans l’industrie de l’habillement.
Que ce soit ou non sous la bannière de Fashion Revolution, les quelques jours coïncidant avec l’anniversaire de l'effondrement du Rana Plaza sont devenus une période propice à l’activisme. Les appels à réformer l’industrie de la mode afin de la rendre plus équitable pour tous se généralisent et se font de plus en plus entendre. Trois ans après l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza, nos vêtements suscitent une prise de conscience accrue – mais il reste encore du chemin à parcourir.
Traduit de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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