Une série télévisée saoudienne cherche à contrer la propagande de l’État islamique
Dans le but de contrer la propagande efficace de l’État islamique (EI), une chaîne de télévision saoudienne a produit une série dramatique illustrant les dures réalités de la vie dans le soi-disant califat du groupe.
Le projet, qui a coûté 10 millions de dollars et est diffusé dans le monde arabe par la chaîne satellitaire MBC, reflète le rôle de rempart contre l’extrémisme que s’est attribué le royaume, un rôle souligné lors de la visite du président américain Donald Trump en mai.
La série Black Crows (corbeaux noirs), qui relate le quotidien de femmes et d’enfants vivant sous le règne de l’EI, représente le premier drame télévisé qui s’attaque à des sujets tels que les meurtres et les viols perpétrés par le groupe, contrastant fortement avec l’image idéalisée d’héroïsme et de guerre sainte projetée par l’EI sur les réseaux sociaux.
« Le principal public que nous visons, le plus important et le plus dangereux, est composé de ceux qui sont enclins à soutenir et même à joindre des organisations terroristes », a déclaré le porte-parole de MBC, Mazen Hayek, à Reuters.
« Les médias font partie de leur stratégie offensive. Ainsi, les organisations médiatiques ont le droit, et même le devoir, de faire face à une telle offensive – laquelle bénéficie de moyens financiers conséquents et est menée sur Internet et les médias sociaux », a-t-il ajouté.
Les acteurs de la série et des représentants de MBC ont indiqué aux médias locaux que celle-ci leur avait valu de recevoir des menaces de mort en ligne de la part de partisans de l’EI.
Traduction : « #MBC a renforcé la sécurité dans ses locaux dans la région, y compris à Dubaï, après la diffusion de la série Black Crows ».
Filmée au Liban, la série, qui se déploie sur plus de vingt épisodes, a pour personnage principal la veuve d’un commandant de l’EI qui devient la chef de la police des mœurs féminine.
La série raconte également le calvaire de femmes yézidies capturées et contraintes de devenir des esclaves sexuelles, le quotidien d’enfants soldats et les péripéties d’une femme malheureuse en amour qui part vivre dans un territoire contrôlé par le groupe pour devenir une « épouse djihadiste ». Les intrigues incluent des scènes de maisons brûlées, de fosses communes, de grandes explosions et d’hommes armés agitant des drapeaux noirs.
Depuis que l’EI a lancé son offensive éclair à travers l’Irak et la Syrie, mis en scène des décapitations et publié des vidéos soigneusement conçues afin d’attirer de nouvelles recrues, les gouvernements arabes et occidentaux ont cherché à contrer son message.
Combattre le radicalisme
Au cours de la visite de Trump à Riyad, le roi saoudien Salmane a dévoilé son nouveau Centre mondial pour la lutte contre l’idéologie extrémiste, qui a pour mission de surveiller et réfuter le matériel extrémiste publié sur internet. Le royaume a également créé un Centre de la guerre idéologique au sein du ministère de la Défense.
« Les médias ne suffisent pas, nous avons besoin d’instituts religieux, d’érudits et de mosquées pour travailler avec les médias dans la lutte contre le radicalisme », a déclaré Najat al-Saeed, un analyste saoudien auteur d’un livre sur la télévision satellitaire arabe.
« Des progrès sont faits, mais ils sont lents et ne suffisent pas aux réformistes ou à la communauté internationale. »
La série est diffusée pendant le Ramadan – une saison privilégiée pour les drames télévisés dans le monde musulman. MBC et ses chaînes de divertissement et de cinéma constituent le réseau de télévision satellitaire le plus regardé dans la région arabe. Le sujet traité dans la série Black crows diffère considérablement des programmes traditionnels, qui incluent des drames historiques se déroulant au Moyen-Orient et des séries romantiques.
Selon l’actrice syrienne Dima al-Jundi, qui joue la chef de la police des mœurs, seul l’art peut transmettre la profondeur de la souffrance humaine que le groupe a engendrée. Il est donc important que les téléspectateurs voient la série afin d’en prendre conscience.
« Si vous ouvrez YouTube, vous trouverez des vidéos de meurtres ou d’attentats suicides. Mais les détails de leur vie quotidienne, comment ils recrutent les enfants, comment ils maltraitent les femmes – ça, vous n’en verrez rien. »
Certains, toutefois, considèrent l’Arabie saoudite comme étant elle-même un sponsor de l’extrémisme.
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Le royaume, qui adhère à une forme ultra-conservatrice de l’islam sunnite, considère l’EI comme une menace pour sa propre stabilité. Le groupe accuse les al-Saoud d’être des dirigeants impies en raison de leur alliance avec les États-Unis et a mené plusieurs attaques dans le pays.
Les dignitaires religieux du royaume, dont l’influence dans la société saoudienne participe d’une alliance avec la famille royale qui date de la fondation du royaume il y a 250 ans, approuvent l’exécution par décapitation pour des infractions incluant l’apostasie, l’adultère et la sorcellerie. Ils s’opposent également au fait que les femmes conduisent ou travaillent, et accusent les chiites d’hérésie.
L’Arabie saoudite est venue à bout de la campagne d’attentats menée par al-Qaïda dans les années 2003-2006, mais elle a été frappée au cours des deux dernières années par une série d’attentats à la bombe commis par l’EI. La police saoudienne surveille attentivement les Saoudiens soupçonnés de liens avec les membres du groupe et a détenu plus de 15 000 suspects dans les années qui ont suivi les attentats d’al-Qaïda.
Traduit de l’anglais (original).
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